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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

La culture numérique ressemble à une inondation culturelle. Comment réagir en tant qu'église?

22 Janvier 2024, 04:32am

Publié par Henri Bacher

Les cultures du passé, comme celles liées à l'imprimerie, n'ont jamais eu l'impact mondial que le numérique et l'intelligence artificielle (IA) se payent aujourd'hui (au sens propre, comme au sens figuré). Ils ne véhiculent pas seulement des technologies «algorithmés», mais aussi des styles de vie, des croyances, des philosophies, des spiritualités. Mais l'école républicaine aurait-elle eu autant d'impact, s'il n'y avait pas le levier technologique de l'imprimerie qui a précédé le développement scolaire? Le numérique a déjà, en très peu de temps, le même impact, sauf qu'il ressemble à une inondation mondiale, dont personne ne réchappe. Que va-t-il en sortir?

Quelles conclusions faut-il tirer en premier?
O Cette «inondation» va durer longtemps. Ce n'est pas seulement un déluge passager. Elle ne va pas se retirer au profit d'une nouvelle culture (pas de sitôt), parce qu'elle est intimement liée à la fin des temps, puisqu'elle aura les leviers de contrôle de la sphère financière personnelle (Apocalypse 3:17-18). Cette constatation n'a pas de valeur prophétique, c'est juste une déduction de type culturel et socio-politique. Les dictatures de type nazi ou communiste, n'avaient pas encore les leviers financiers de contrôle de chaque individu. Elles pouvaient encore prendre le pouvoir au travers de la pensée, d'une philosophie, ou d'une religion, mais c'était encore limité. Tous les allemands n'étaient pas nazis, mais aujourd'hui, où l'argent liquide disparaît au profit de la banque numérique, pour acheter ne serait-ce qu'une baguette, il faut un code. Il n'y aura pas non plus l'installation d'un équilibre. Il restera seulement, comme lors d'une inondation, des petits ilots culturels, entourés d'eau. Habités par des insulaires qui savent encore lire et écrire pour les derniers habitants d'un monde qui aura définitivement disparu ou qui sera définitivement marginalisé.

O Il faudra apprendre à «nager» dans un univers flottant. Théologiquement nous venons d'un univers stable, avec des doctrines dont les fondations sont conçues pour la terre ferme. Maintenant, il faut apprendre à construire nos «baraques théologiques» sur des pilotis et ceux-ci ne peuvent pas soutenir de fortes charges en béton.

O Nous devenons des navigateurs ou des surfeurs d'existence, des saltimbanques spirituels, des voyants, des prophètes, des thaumaturges, tout ce que le théologien de l'ilot a en horreur, parce qu'il ne peut pas l'expliquer d'une façon raisonnable et rationnelle. Je ne pense pas qu'un Abraham avait une approche très rationnelle, en mettant son fils sur un autel en vue de l'offrir en sacrifice. Ni un Moïse lorsqu'il daigne faire confiance à un buisson qui brûle, ni un Élisée qui a fait revenir à la surface une hache tombée dans l'eau en lançant un morceau de bois qui, selon le texte, l'a carrément «aspirée» vers le haut (2 Rois 6:5-7).

O La Renaissance et le levier technologique de l'imprimerie ont lancé l'ère de la Parole, liée fondamentalement à l'écrit, à la lettre. Cette culture va exploiter, par exemple, en prédication, surtout les écrits du Nouveau Testament. La culture numérique, également liée à des leviers comme l'intelligence artificielle (IA), va lancer l'ère du Saint-Esprit comme noyau central d'exégèse et de diffusion. Elle va trouver ses ressources et ses justificatifs, plutôt dans l'Ancien Testament. Les évangiles, resteront un trait d'union entre la spiritualité des prophètes, des patriarches de l'Ancien Testament et les théologiens comme Paul. Le Christ n'était ni un prophète ancien, ni un lévite ou un rabbin, ni un théologien, mais il a su synthétiser tous les «ministères». Les théologiens décrypteurs de textes sacrés, vont peu à peu laisser la place aux «rêveurs», aux «sensibles» spirituels, aux charismatiques de cœur, pas aux charismatiques sociologiques, aux «visionnaires». Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne vont pas réfléchir avec leur cerveau gauche, mais ils vont plus s'appuyer sur l'intelligence émotionnelle qui n'est pas à confondre avec le toc toc sous la bretelle. Comment l'apôtre Jean a-t-il pu prophétiser la fin des temps sans ce type d'intelligence?

Comment va-t-on naviguer sur ces espaces flottants?
O Vous comprendrez que le navigateur ne va plus avoir seulement un texte pour se guider vers un horizon qu'il distingue à peine. Avant les satellites, les marins se dirigeaient en observant la position du soleil avec le sextant, les étoiles, le vol d'oiseaux, la direction des vents, les courants. Aujourd'hui son point d'observation sera le satellite et le GPS. Sur la terre ferme le satellite utilise la carte et la notion du chemin qui se cartographie. Quand on explique à un «marin» que le Christ est un chemin, ce vocabulaire ne fait plus partie de son univers. Il va peut-être mieux comprendre la notion de balise, comme celle de l'entrée au port. 

O Pour le marin de l'ancien temps, c'est le vent qui était primordial. Le souffle! Le Saint Esprit n'est-il pas le souffle de Dieu?

O J'ose encore avancer un autre concept, celui du théomimétisme. Les marins s'inspiraient du soleil, du vol des oiseaux, etc... Ils prenaient en compte la création et son fonctionnement. Le théomimétisme trouve son inspiration dans la deuxième Révélation décrite par Paul (Romains 1:20). 

Les inversions de leadership
O Le Saint-Esprit n'était pas absent dans l'ère de la Parole, mais il n'avait qu'un rôle de pédagogue, de facilitateur. La Bible était devenue la fusée qui mettait en orbite l'humain, pour qu'il tourne autour de Dieu, ce qui n'est pas faux en soi. Tout au plus l'Esprit ne fonctionnait que comme carburant, au service du texte écrit et expliqué. Dans cette nouvelle configuration culturelle, le texte écrit, ne sera plus que vérificateur. Il va aider à vérifier si le programme de la fusée, mis au point par de nouveaux théologiens, n'a pas de bugs dans son programme de lancement. C'est le Saint-Esprit qui connecte le croyant à Dieu, pas le texte écrit, ni une bonne théologie «charismatique». À Pentecôte, c'est l'Esprit qui est descendu sur les humains, pas un concept théologique. Surtout que les «théoriciens», les metteurs-en-textes du Nouveau Testament, sont venus bien après. Aujourd'hui, les nouveaux transmetteurs de la foi deviennent plutôt des metteurs-en-images. On va probablement à nouveau comme avec le texte, mettre entre Dieu et nous, non pas le Saint-Esprit, mais une floppée d'images et d'émotions parce que ça se manipule facilement. Comme on a eu de brillants théologiens du texte, on va se coltiner de brillants réalisateurs émotionnels (vidéastes, musiciens, standuppers) et moins des pratiquants de l'évangile sur le terrain humain, celui des relations. Des chrétiens qui sont des modèles de vie spirituelle pas dans leur expression culturelle, mais dans leur confiance en Dieu, dans leur compassion pour le prochain.

Comment apprendre la pratique avec le Saint-Esprit?
O La théologie de l'ère de la Parole a été élaborée dans un contexte conditionné par l'écriture. La spiritualité issue d'un texte ne peut que modéliser des processus. Elle peut décrire un coucher de soleil, mais ne peut pas faire voir et ressentir directement cette réalité. Le texte théologique ne peut servir que comme filtre de la réalité. Il n'est jamais réalité. C'est une sorte de copie.

O Dans l'Ancien Testament, ce n'est pas les textes des prêtres qui ont lancé les expériences spirituelles, comme nous l'avons souvent fait dans l'ère de la Parole. Abraham a d'abord expérimenté sa foi et son modèle a ensuite été mis par écrit par la suite. Pour Moïse c'était pareil, ainsi que pour Élisée.

O Ce que je veux souligner, c'est que c'est l'expérience qui fonde la foi et le Saint-Esprit est d'abord lié à une expérience spirituelle et non le résultat de l'étude et la mise en pratique d'un texte. Le texte biblique, avec le Saint-Esprit, n'est que cadre comme celui de la peinture d'un beau coucher de soleil.

O Ce qui veut dire que l'apprentissage de la pratique avec le Saint-Esprit ne peut pas se faire avec des textes, des explications écrites, mais doit se pratiquer en groupe dans la réalité des gens. Je vous donne l'exemple d'un accident que j'ai eu au Pérou, avec l'explosion du radiateur de ma voiture. Une semaine d'hosto avec des brûlures au 2ème et 3ème degré sur 30% du corps. Sur mon lit d'hôpital, je me suis rappelé la question d'une collègue qui me demandait conseil. Une personne lui avait transmis de la part de Dieu qu'elle avait reçu le don de guérison pour les enfants de la rue dont elle s'occupait. Elle m'a demandé, je fais comment? Ni moi, ni elle ne faisaient partie d'une église charismatique ou pentecôtiste, même si des pasteurs comme Maurice Ray ou Philippe Decorvet* m'avaient initié à la pratique des dons du Saint Esprit. J'aurais pu lui dire, mais lis l'évangile, il te montre comment Jésus a guéri. C'est l'enseignement par le texte, dont nous sommes les grands spécialistes, mais pas encore l'expérimentation avec l'Esprit. Il a fallu d'abord faire un grand pas de foi pour moi. Je lui ai proposé, pour savoir si Dieu lui a vraiment accordé un don de guérison, de m'imposer les mains en demandant que Jésus me guérisse. Le miracle s'est réellement produit. Revenu, plus tard, en France, mon médecin traitant, en lui racontant mon accident, n'en revenait pas de ne trouver aucune cicatrice sur mon corps. Par la suite, ma collègue a dû bagarrer avec elle-même pour intégrer définitivement ce don de guérison dans sa pratique. On a appris ensemble et on s'est encouragé mutuellement.

Nos concitoyens qui naviguent avec les étoiles, avec un «sexant ésotérique», n'aiment plus les explications scolaires et textuelles, ils veulent expérimenter la spiritualité avec leurs émotions et le Saint-Esprit.

* Pasteurs réformés de Suisse romande. Directeurs de la Ligue pour la lecture de la Bible dans les années septante. Promoteurs avec d'autres du mouvement charismatique.

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