Quand l'entreprenariat chrétien pervertit le christianisme
Le fric pervertit aussi les communautés chrétiennes. Dans le passé, ce sont surtout les politiques qui ont usé de leur position pour utiliser l'Église. Aujourd'hui, il y a un autre phénomène qui se développe, c'est celui de l'entreprenariat chrétien. C'est-à-dire, ce sont des entrepreneurs privés qui prétendent aider l'Église. Pourquoi pas, mais à quelles conditions?
Un exemple percutant
C'est celui du Centre de découverte de la foi et de la liberté à Philadelphie, dont le coût a été de 60 millions de dollars et qui ferme ses portes après trois années d'ouverture. Je ne sais pas s'il y avait des entrepreneurs chrétiens derrière ce projet, mais on pourrait le supposer.
Avant de développer mon argumentation, je vous suggère de consulter l'article de Tim Berners-Lee, le créateur du langage HTML au CERN (Centre européen de recherches nucléaires). Il déplore que la création de ce système hypertexte distribué sur l'internet a plutôt servi le monde de l'argent que le partage des connaissances de façon gratuite et altruiste. L'église, en général, se fait cannibaliser ou détourner par l'argent au même titre que l'invention de ce scientifique.
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Posons quelques bases en relation avec l'entreprenariat chrétien.
Il est tout à fait acceptable qu'un entrepreneur qui opère un business privé puisse à l'occasion faire affaire avec une communauté chrétienne. Il peut également vendre ses prestations, à condition que l'église ne soit pas son seul client et qu'il ne devienne pas son fournisseur attitré à moins de le faire comme donateur.
Pourquoi ce genre de restrictions?
Le marchand va toujours devoir imposer ses vues, il ne peut pas travailler à perte et s'il peut encourager son client, en l'occurrence, la communauté, à investir dans des projets «pharaoniques», comme pour la Société biblique américaine dont il est question plus haut, il ne va pas s'en priver. Qu'il soit chrétien ou pas. Il est forcé d'appliquer les lois du marché et il ne peut pas appliquer les lois du Royaume, sinon il ferait rapidement faillite.
Le business ne peut pas être compatible avec le développement de l'église
C'est antinomique et nous le voyons très bien quand des milliardaires achètent des chaînes de télévision, des éditions pour faire avancer leur point de vue privé et théologique. L'église qui mange dans leur main ne peut pas faire autrement que de tenir compte de l'investisseur privé, comme ça a été le cas des politiques. Pas seulement chez les catholiques, mais Calvin a largement profité des instances politiques pour diffuser le calvinisme, comme aujourd'hui certains courants évangéliques liés à des chefs d'État et des partis politiques. Méfiez-vous des entrepreneurs et lorsque vous faites des dons, vérifiez qui est le propriétaire du prestataire. Parfois, on monte une association à but non lucratif entre le prestataire et les donateurs, mais si l'association fait jouer la concurrence pour ses productions, il n'y a pas de problèmes.
Qu'en est-il du ministère-entreprenial?
Ce sont souvent des musiciens, des graphistes, des bédéistes, des conférenciers, des écrivains, des vidéastes, des influenceurs, etc... qui ont un vrai ministère pour servir l'église, mais qui opèrent pour leur propre pomme, du point de vue financier et aussi sous leur propre autorité, sans le chapeau
d'un conseil associatif. Je les comprends: souvent, les membres d'un conseil, qui supervisent le ministère, ne captent absolument pas le sens du ministère, surtout s'il est innovateur. Pourtant, un ministère doit être chapeauté par une autorité spirituelle qui contrôle. Paul, le faiseur de tentes, vendait peut-être des tentes à certaines églises, mais il n'avait pas monté un business de tentes pour soutenir son ministère. Nuances! Une personne qui attend d'être payée pour ses prestations ne va pas jouer à Natan le prophète pour critiquer celui qui le nourrit (2 Samuel 12:1).
Notre expérience en matière d'argent (à partir de 02:18)
Comment avons-nous appliqué les questions financières dans la pratique ?
Dans le cadre de la Ligue pour la lecture de la Bible, où je fonctionnais pendant huit ans comme animateur de jeunesse, nous avions un salaire fourni par cette association à but non lucratif en Suisse romande. Comme missionnaire au Pérou, de 1986 à 1990, avec une famille de quatre enfants, nous n'étions pas soutenus par une ONG, à part pour les prestations sociales. Nous vivions par ce qui s'appelait à l'époque «vivre par la foi». Nous n'avions jamais fait d'appel d'argent. Par la suite, en rentrant, tout en lançant Logoscom (fermé en 2012), une association pour diffuser la Bible à des personnes qui ne lisent plus, j'ai financé mon ministère en travaillant pendant 20 ans dans une entreprise genevoise, où je n'étais qu'employé. Il y avait un côté pratique intéressant. Je pouvais me consacrer, dans mon temps libre, avec mon épouse dessinatrice, à ce qui était essentiel pour nous. Je pouvais décliner moultes sollicitations de type ministériel qui ne m'intéressaient pas, sous prétexte que je travaillais en entreprise. Nous avons produit deux CD de textes bibliques enregistrés avec une journaliste de la radio, dans un studio professionnel et des centaines de clips vidéos SANS FAIRE D'APPEL D'ARGENT. L'association a récolté du soutien financier pour nos projets, mais mon salaire était assuré par nous-mêmes. Nous avons pu acheter du matériel vidéo professionnel et nous nous demandons encore aujourd'hui comment on a pu financer tout ce travail. Si Dieu nous donne des mandats, il nous finance également, mais pas forcément pour nos constructions de «cathédrales» comme la réalisation de Philadelphie.
Un cas exemplaire d'investissement dans la production des CD
Après deux CD, nous n'avions plus les finances pour continuer. Heureusement, parce que le CD allait disparaître au profit de systèmes de diffusion comme Spotify, SoundCloud et d'autres supports audio. Je pense que la Société biblique, mentionnée plus haut, s'est fait piéger par des promoteurs privés qui leur faisaient miroiter un potentiel qui certes marchait, peut-être, pour les Disneyland, mais pas pour la Bible. D'autre part, l'Occident n'est plus attiré par la Bible et nous devrions complètement changer de braquet pour l'évangélisation. Par contre, les clips vidéo cartonnent et ceux pour les enfants a su comptabiliser plus de trois millions et demi de vues, sans jamais faire d'appels d'argent et sans se financer par la publicité, même si YouTube nous impose la sienne.
Conclusion
O Qui est aux commandes? Qui prend la décision finale?
O Va-t-on faire jouer la concurrence?
O Le projet, est-ce une «cathédrale»?
O Surtout avec un ministère-entreprise, est-ce un prétexte pour s'enrichir ou se constituer un patrimoine? Encore que chacun peut prétendre à un salaire décent. Dieu n'est pas un «négrier».