Quand «l'infodémie»* et la politique tournent au religieux
Mon objectif, c'est de montrer à quel point le religieux «officiel» a été éliminé en Occident au profit d'un religieux qui ne montre pas son vrai visage, qu'il soit lié à l'information ou à la politique. Ce qui est difficile à comprendre, c'est que nombre de politiques ou des journalistes cornaqués par des entrepreneurs et donc par l'argent, utilisent le fonctionnement socioculturel de la religion, sans forcément se servir d'un vocabulaire strictement religieux. Ils deviennent des leaders a-religieux dans leur langage.
Faut-il encore craindre les religions qui ont pignon sur rue?
Les humains ont de tout temps eu une fibre religieuse. Depuis les hommes des cavernes, dont on a découvert des rites mortuaires qui attestent d'une activité religieuse liée à la mort. Aucune culture ou civilisation «pré-moderne», jusqu'au basculement opéré par l'électricité et la main mise de l'argent, n'a eu la prétention de pouvoir vivre sans système religieux organisé d'une manière officielle. Mon articulation entre l'ancien et le nouveau, je ne la situe pas dans le domaine philosophique, mais dans la sphère technologique, actionnée par l'électricité. Cela ne s'est pas fait du jour au lendemain. En Europe, les deux grandes religions, le catholicisme et le protestantisme, se sont longtemps disputés des territoires pas seulement mentaux, mais aussi géographiques,
relayés par des systèmes politiques qui se servaient de ces conglomérats religieux comme leviers d'influence. Est venu l'islam comme perturbateur et épouvantail qui fait craindre à un certain nombre de politiques que les territoires européens vont être remplacés par un autre système religieux sous couvert du socioculturel. Faut-il avoir encore peur des religions officielles? Je dirais non, car le religieux officiel se fait recycler par une mentalité religieuse orchestrée par les réseaux sociaux, au profit de quelques nantis, qui tirent les ficelles à leur avantage et qui préfigure aussi l'avènement de l'antichrist. Le problème, ce sont les influences cachées. On ne connaît pas vraiment ceux ou celles qui tirent les ficelles.
D'où vient ce basculement?
Les réseaux sociaux ont tellement démocratisé la prise de parole, la diffusion tout azimut de convictions, de croyances, d'expériences qu'ils ont aussi dynamité le recours à un système de hiérarchisation. Il n'y a plus vraiment une référence dans la société en général, qui donne des directives du point de vue éthique, moral, spirituel. Exit les grandes religions. Ceux qui donnent le la, ce sont en premier les personnes qui ont assez de fortune pour accaparer des médias, des diffuseurs à gros potentiel et qui utilisent des «marionnettes» cathodiques pour imposer leur point de vue et surtout, en arrière-plan, pour protéger leur patrimoine. On se retrouve dans une sorte de «royauté» avec leurs chapelets de comtes, de comtesses, de ducs et de duchesses. À la différence qu'ils ont de moins en moins besoin de la religion, catholique, réformée, évangélique, voire islamique pour tirer les ficelles. Ils fabriquent eux-mêmes leur propre système religieux de référence. Sans «culte» visible, sans prêtres adoubés, sans vocabulaire faisant référence au religieux, comme foi, prière, liturgie, etc...
Le piège tendu aux chrétiens
Le chrétien, comme tout autre adepte d'une religion officielle, a été éduqué dans la croyance. La croyance est fortement liée à l'opinion et beaucoup moins à des évidences contrôlables, vérifiables. Je prends l'exemple de la Résurrection du Christ. Elle n'est authentifiée que par les disciples, on pourrait aussi dire par les membres de son parti. Il n'y a aucun Romain ou Juif non chrétien de référence, qui ait pu se présenter comme témoin de la Résurrection. Pour nous, c'est évident, parce que la foi fonctionne sans preuves évidentes, attestées par exemple par une autorité judiciaire ou politique. C'est la colonne vertébrale du christianisme: croire sans voir! Pourquoi les nouveaux politiques comme Trump récoltent autant de suffrages auprès des chrétiens du «Bible-belt» nord-américain? Il utilise le langage et la posture du christianisme. Son noyau moteur repose sur la croyance, l'opinion, pas sur des faits comme celui où il accuse le président Barack Obama d'être le fondateur de Daesh. Un pur mensonge, suivi par bien d'autres.
Ceux que les gens recherchent, ce sont des leaders qui se comportent comme des religieux qui leur livrent un évangile laïque: «Make America great again» (Rendre l'Amérique à nouveau grande). Ça ressemble aux convictions chrétiennes: convertis-toi et tu iras au paradis. C'est un messager d'espérance. Une sorte de messie qui va nettoyer son pays de tous les maux. Les chrétiens comprennent ce langage, c'est le leur. Par contre, ils ne pigent plus les discours, trop compliqués, de nos technocrates. Lorsque Monsieur Trump rassemble une foule de supporteurs qui l'applaudissent, il me fait penser aux grandes campagnes d'évangélisation d'un certain Billy Graham qui remplissait des stades entiers. Les «disciples» du politique se font les propagateurs de sa «foi» dans un monde qui sera forcément meilleur. Son église, c'est son parti et tous les médias dont il est propriétaire et qui diffusent son «catéchisme». Le problème, c'est qu'il est devenu un modèle de «leader religieux» qui traîne derrière lui une ribambelle de politiques, d'influenceurs, de journalistes qui manipulent par l'opinion, par la croyance et ne mettent pas en avant les faits, comme les mensonges de nos dirigeants. Ce qu'on a oublié dans le Christianisme, c'est que la foi est étroitement liée à des faits concrets, à une pratique, avec comme base les dix commandements. Si on veut mettre de la spiritualité chrétienne dans sa politique, on ne peut pas accepter une foi «partielle», comme ces électeurs qui se contentent que leur challenger politique puisse juste défendre une éthique sexuelle ou la protection de la vie du gamin dans le ventre de sa mère.
Si le «Make America great again» devient un mouvement qui élimine les ségrégations, les injustices sociales, les exploitations entre humains, les magouilles politiques et financières on serait probablement au paradis.
* Anti Fake News, Tomas Huchon et Jean Bertrand Schmidt, Ed. First