Propositions pour la formations de nos théologiens et pasteurs
Depuis quelques décennies, j'alerte nos leaders que si nous continuons à peaufiner nos systèmes de formation, comme on le fait, nous allons droit dans le mur. Je ne suis pas le seul à le faire, le cardinal Jean-Claude Hollerich le fait, par exemple, également pour le courant catholique*. Voici donc des idées qui pour l'instant ne sont qu'au stade de la prospective.
* Voir interview dans l'hebdomadaire La Vie (N° 4056)
Pourquoi ce pessimisme?
La formation pastorale est soumise à bien des contraintes. Je n'en citerais que deux. Celle du financement et celle de l'inculturation.
Le financement
D'une part, avec la déchristianisation de l'Europe, dont les églises évangéliques vont également pâtir, les communautés vont rétrécir et le potentiel financier pour soutenir nos systèmes de formation va également se dessécher. Les étudiants en théologie qui auront passé plusieurs années en formation, surtout à un niveau académique, ne vont pas se satisfaire d'un salaire bas de gamme ou n'accepterons pas facilement de prendre un travail séculier en complément alimentaire de leur ministère. Il faut une vocation sacrée pour s'intéresser à une petite communauté qui n'a pas les moyens de s'offrir un «pasteur académique». Regardons la réalité en face, combien de facultés théologiques protestantes existeraient encore aujourd'hui sans le subventionnement de l'état comme en Alsace et dans plusieurs cantons suisses? Les facultés évangéliques bénéficient également de financement ne venant pas seulement du pays de résidence de la faculté. Les sources financières des Etats-Unis vont se raréfier. Le mouvement des églises de cette «mecque» du protestantisme évangélique est aussi en perte de vitesse.
L'inculturation
C'est pour une question culturelle que nos systèmes de formation vont se fragiliser. Le cardinal cité plus haut dit qu'en Europe, nous devons développer une pensée nouvelle sur l'inculturation. Ce cardinal a passé dix-sept ans au Japon, il sait donc de quoi il cause. Il dit que nous sommes au début d'une autre civilisation. Nos formateurs évangéliques ont rarement été en mission «en terre inconnue culturelle», donc le thème de l'inculturation, leur est plutôt étranger. Ils ont baigné, depuis l'école maternelle, dans un système culturel homogène qui prend l'eau et qui se fragilise de plus en plus. Les réformateurs du 16ème siècle étaient dans le courant ascendant de la Renaissance. Nous sommes de plus en plus immergés dans la culture numérique qui s'éloigne de ce socle de base, comme un iceberg qui se détache de la banquise.
J'ai parfois l'impression que la faculté, se comporte comme un couturier d'exception, qui met au point des vêtements théologiques haut de gamme qui ne se portent que le dimanche matin ou lors d'une étude biblique. Ce qui a bien sûr, bien fonctionné par le passé, mais qui ne répond plus aux exigences d'aujourd'hui. À l'image de mon père vigneron luthérien qui allait au culte en costard cravate, alors que nous nous autorisons d'y aller en short.
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L'inculturation: y a-t-il un avenir pour nos facultés?
Oui, à condition de changer de braquet. Si la faculté continue à sélectionner le candidat ou la candidate, sur la base du diplôme et du niveau scolaire, développés sur la banquise précédente, elle fait fausse route. Car elle va trier à partir d'une manière d'acquérir l'expérience et les connaissances qui sont strictement conditionnées par le cerveau gauche, laissant en friche la partie droite du cerveau. L'école forme principalement à partir du cerveau gauche et les réseaux sociaux s'alimentent dans le cadre des compétences du cerveau droit.
Bien sûr, que les individus ne sont pas «paramétrés» gauche/droite d'une manière équilibrée comme un casque audio. De plus, le numérique fonctionne comme une salle de sport culturelle. Les différents stimulateurs artistiques (son, images, vidéo) développent plutôt l'hémisphère droit. Le cerveau ressemble à un «muscle». De plus, chaque culture, surtout mûe par des leviers technologiques comme l'imprimerie et maintenant le numérique, va développer à son avantage, l'un ou l'autre de ces hémisphères. Nos facultés classiques se développent surtout avec l'hémisphère gauche et mettent en deuxième position le cerveau droit. Il est considéré comme un cerveau-adjoint, juste pour illustrer ce que le gauche met en valeur. Or, aujourd'hui, le gauche devient adjoint et le vrai leader culturel c'est le droit. Comme la culture de l'écrit avait tendance à fonctionner en solo, la culture numérique liée aux images fera de même. En sélectionnant les candidats à partir du diplôme, donc du niveau scolaire, vous allez sélectionner des unijambistes culturels et former des pasteurs unijambistes.
Que faut-il entreprendre pour la formation?
Partir du principe, qu'il n'y a que Dieu qui peut inspirer et agir d'une manière équilibrée. Les humains auront de plus en plus une approche bancale. Il restera toujours des communautés très influencées par la partie gauche du cerveau, comme les courants de la Gospel Coalition, donc qui auront besoin d'un pasteur (peu une pasteure!!!) formé selon ces critères culturels. Alors que la société actuelle souhaite avoir des «leaders» acquis au côté holistique, émotionnel, artistique, symbolique de l'être humain.
Une proposition pratique
Sélectionner les futurs étudiants sur la base de la Validation des Acquis de l'Expérience (VAE). Ce qui permettra de zapper la porte d'entrée du bac français ou de la maturité suisse, tout en tenant compte du niveau de formation du candidat ou de la candidate. La faculté pourrait offrir des formations bibliques, ecclésiologiques, pastorales pour combler les «trous» du VAE. Le candidat ne s'intégrerait pas dans un parcours de formation, long et chronophage, mais il ferait ses «courses» selon ses lacunes, puisqu'en principe, il aura déjà été sélectionné par une communauté, sur la base de son VAE.
La faculté deviendrait, par des séminaires, des modules spécialisés, une conseillère en formation, pour implémenter son VAE. Elle fonctionnerait aussi comme sélectionneur de contenu qui se trouve en «libre service» sur le net. Le candidat ferait lui-même le choix ou sa communauté l'encouragerait à suivre l'un ou l'autre des modules proposés. Éventuellement la faculté pourrait être validateur final pour ces personnes, hors formation de niveau universitaire, pour permettre le choix d'un pasteur à engager. Sauf que les profs sélectionneurs ne devraient pas être de pur «produit» du cerveau gauche. Peut-être, il faudrait s'adjoindre des conseillers issus de communautés très «droitières», au niveau culturel et non politique. Pour soulager l'aspect financier, cette formation complémentaire pourrait se faire en cours d'emploi. De plus, il faudrait que le validateur final puisse offrir un choix ouvert et multiple. Le système scolaire de formation classique est terriblement réducteur et «standardiseur».
Il restera encore à la faculté le soin de former des théologiens de niveau universitaire, pour ceux qui souhaitent faire des recherches poussées en théologie.
Soft Skills (Source: La Galaxie du Futura)
Un sondage démontre que le vent tourne en faveur des «soft skills», ces compétences qui ne s'acquièrent pas sur les bancs de l'université. Les recruteurs deviennent moins exigeants sur les diplômes et ont une approche plus perméable aux savoir-être professionnels.