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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

En réponse à un colloque sur la formation pastorale tenue le 12 mars 2024 à Lyon

11 Avril 2024, 07:00am

Publié par Henri Bacher

Ce post essaie de donner un autre point de vue sur les difficultés de recrutement de nos futurs pasteurs. Désolé, je ne vais pas apporter de l'eau à votre moulin. 

Première question : Quelle est ma légitimité pour apporter mon grain de sel ?
Je n'en ai aucune pour me poser des questions sur ce genre de rassemblement, du fait que je n'ai même pas le bac. Or, les efforts de formation de nos instituts et académies de théologie ont tiré le niveau vers le haut, donc pour donner mon avis, je suis débarqué. La preuve, c'est que les intervenants de ce colloque, ce sont des personnes de niveau universitaire. Et j'ajouterai, avec une pincée d'ironie, qu'il n'y a pas non plus des femmes intervenantes (enfin, le compte-rendu n'en parle pas).

De quel droit, je peux, quand même, donner mon avis ?
Je pars de mon expérience ministérielle de plus de cinquante ans qui commence aussi à être valorisée pour le recrutement dans les entreprises par le biais du VAE. Ce qui était le cas, par exemple, lors du lancement de l'institut Emmaüs à Saint-Légier en Suisse, en 1925, par Pierre de Benoît. Ce médecin, à la fibre missionnaire, a donné accès à un enseignement non académique à des personnes comme moi, sans bac. Il avait compris que pour envoyer des chrétiens en mission, on n'avait pas besoin de «cerveaux», mais de personnes convaincues, ayant un métier, une vocation et un engagement spirituel. Or, aujourd'hui, l'Europe est devenue une terre de mission et nos concitoyens ne cherchent plus des «cerveaux», mais des leaders, avec beaucoup de convictions, qui cherchent à vivre leur foi, non dans un bureau d'église, à peaufiner leurs messages dominicaux ou des études bibliques de niveau académique, mais à circuler parmi eux comme le Christ et à leur niveau «culturel» qui n'est plus formaté par l'école. Je ne conteste nullement qu'il y a aussi besoin de théologiens de niveau universitaire, mais faire passer l'ensemble des pasteurs dans le «tamis» universitaire me paraît illusoire et contre-productif.

Et puis, il y a la question de la rémunération
Nos jeunes ne sont pas dupes. On fait des études universitaires pour avoir une formation qui puisse leur offrir un revenu en conséquence. Il faut avoir une sacrée vocation pour se taper quelques années d'études et n'avoir qu'un salaire misérable ou qu'il faille même travailler à côté de son ministère, comme ça m'est arrivé pendant vingt ans. D'autant plus que nos communautés évangéliques, non subventionnées par l'État, comme les églises officielles en Alsace et dans certains cantons suisses, se dégarnissent sous le rouleau compresseur de la culture numérique.

Pourquoi y a-t-il pénurie de recrutement de nos pasteurs et ne parlons pas des pasteures ?
L'école républicaine est terriblement contestée et il manque une quantité impressionnante d'enseignants. Comme nos communautés se sont transformées en «yeshiva» évangéliques, nos jeunes ne sont plus attirés par ce modèle scolaire qui prend eau de toute part. Ils sont sur Insta, Tik-Tok, Facebook, Youtube.

Y a-t-il des solutions ?
Les donneurs de leçon comme moi sont nombreux aujourd'hui sur les réseaux sociaux. Néanmoins, je me hasarde à esquisser des pistes, à les expérimenter, avant de les généraliser. 

O Prendre exemple sur Calvin.
Il aurait pu lancer un monastère évangélique, comme nos facultés évangéliques tentent de copier la faculté réformée classique, mais avec une théologie et une spiritualité évangélique héritée des Réveils du 19e siècle. Mais il a pris le contrepied du monastère et il a créé le collège Calvin à Genève qui s'inspirait de la culture montante de la Renaissance. Dans notre culture numérique montante, le modèle scolaire ne fonctionne plus. Quel pourrait être le nouveau modèle ?

O L'exemple de l'école Pierre à Lyon.
En se lançant à partir de la musique, ses concepteurs tablent d'abord sur le talent avant de privilégier le niveau scolaire, comme l'académie. La musique, les images fixes et en vidéo sont le noyau moteur de cette culture, comme à l'époque de la Renaissance, l'émergence de l'imprimerie était le noyau propulseur de la culture de l'écrit. Au départ, Pierre n'était qu'une école de musique, principalement boostée par le groupe Glorious, catholique, mais qui a intégré des évangéliques. Par la suite, elle s'est étoffée en mordant aussi sur le leadership, la théologie. Voici leur texte de présentation : 

Pierre est une école créative à Lyon qui forme en une année des chrétiens à l’audiovisuel, la louange, la théologie, le leadership et à l'entrepreneuriat pour l’Église.

Fait très important à noter: ils intègrent l'entreprenariat pour l'Église. C'est-à-dire des entrepreneurs, donc des entreprises privées, qui se proposent de servir l'Église. Ce seront aussi les nouveaux développements de type financier qui vont handicaper les églises, comme les États mentionnés plus haut, qui subventionnent encore aujourd'hui certaines communautés. Il n'y aura jamais rien de parfait sur Terre. Il n'y a qu'à voir le nombre de concerts, de spectacles qui exigent un billet d'entrée ou des chaînes de télévision, des éditeurs qui ont à la base un entrepreneur. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut éliminer l'entreprenariat chrétien, mais il faut apprendre à les utiliser pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des gens qui vont devoir penser en premier à la viabilité de leur entreprise et non au développement, à leur dépend, de l'Église.

Y aurait-il un avenir pour notre système de formation académique ?
Je pense que non, à moins de se transformer drastiquement. Il se pose un problème énorme, c'est le nombre de jeunes théologiens et les vieux briscards de la théologie évangélique qui ont pris les commandes des systèmes de formation de nos communautés classiques qui n'auront bientôt plus d'étudiants et surtout plus de financements. La pratique de la libéralité par le truchement des dons s'érode également, d'où l'émergence de l'entreprenariat. La pensée pure se vend très mal, d'où aussi la disparition des librairies chrétiennes. Par contre, le spectacle peut se merchandiser beaucoup plus facilement, de même que les voyages en Terre Sainte, les gadgets comme des t-shirts avec un slogan biblique, la publicité sur les clips vidéo, etc.
Bien sûr, on est à la merci de diffuseurs comme Youtube qui ne laissent aucun choix.

Quels sont les choix que je propose ?
O Ne former que des étudiants qui ont déjà un métier, soit de niveau académique ou non. La formation devrait en tenir compte pour ne pas favoriser uniquement les «cerveaux». On peut aménager des créneaux supplémentaires pour ceux qui veulent aller plus loin dans la réflexion académique.

O Généraliser le pastorat à mi-temps pour permettre que d'une part, le pasteur puisse aussi bénéficier d'un revenu financier acceptable en travaillant en dehors de l'église et surtout de pouvoir se lancer avec des communautés émergentes qui ne font pas forcément partie d'une fédération riche. Le mi-temps permet aussi au pasteur d'avoir les pieds dans la réalité de ses paroissiens.

O Sélectionner pour la formation à partir du talent et non du niveau scolaire.

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