Comment se comporter, comme église, dans le désert spirituel généré par les réseaux sociaux?
Nous évoquions déjà cette désertification spirituelle dans un précédent post, mais aujourd'hui nous l'explorons sous le thème du délestage socioculturel et spirituel à opérer dans le fonctionnement de nos cultes du dimanche matin.
Les réflexes à développer
O Délestage
Dans tout renouveau spirituel, on a commencé par un délestage des anciennes conceptions, des pratiques, même les meubles du culte ont évolué: exit les bancs en bois au profit de chaises, exit la chaire massive au profit d'un simple micro qu'on tient à la main et où on est complètement libéré d'un support pour ses notes écrites.
L'apôtre Pierre a dû quitter sa vision spirituelle forgée à Jérusalem avant de rencontrer Corneille (Actes 10). Saint François d'Assise est sorti à poil d'une messe pour signifier qu'il voulait se délester de son ancien habit spirituel et familial et lancer un nouveau mouvement de réveil spirituel.
Calvin s'est délesté «sauvagement» de son ancienne culture catholique. N'a-t-il pas demandé que les catholiques qui n'adhèrent pas à sa doctrine quittent définitivement Genève? Il a même fait interdire de donner le prénom de Marie et de Joseph à son nouveau-né. D'ailleurs, dans le passé, les protestants vaudois donnaient le sobriquet de «joseph» (dzodzet), aux catholiques fribourgeois!
Les Réveillés du 19e siècle ont opéré une autre rupture largement répercutée en France et en Suisse. Elle donnera naissance à ce que nous appellons les «évangéliques classiques».
Aujourd'hui le post-évangélisme fait son apparition qui se déleste, en partie, de son héritage calviniste et des Réveils du 19e siècle.
O Recentrage sur l'essentiel pour un culte
Pour Calvin, c'était clair: enseignement, surtout par la prédication qui devait toujours s'appuyer sur un texte biblique. Il a transformé le culte en «Yeshiva» avant d'en faire un rassemblement dominical pour louer Dieu.
Pour les Réveillés, dont les cultes darbystes ont poussé le modèle cultuel presque à l'excès, le dimanche matin, on chantait ensemble, a cappela, et on priait à haute voix. Il n'y avait pas de prédication, non plus de pasteur qui suivait une liturgie prédéfinie. L'inspiration des chants et des prières, où chacun pouvait y participer, sauf les femmes, se faisait sur la base de l'inspiration donnée par le Saint-Esprit. À cette époque, le Saint-Esprit n'inspirait pas encore les femmes! Le culte du matin comportait toujours le rite de la Sainte Cène. Ce modèle s'implémentait en semaine par des études bibliques, une réunion de prières et un encouragement à lire quotidiennement la Bible. Pour les évangéliques non-pentecôtistes qui se sont développés en faisant souvent sécession de chez les darbystes, la pratique du dimanche matin a évolué vers un modèle qui s'est remis à s'inspirer de Calvin tout en poussant à une relation personnelle avec Dieu. Par exemple, le chrétien ou la chrétienne pouvait publiquement prier à haute voix, dans une expression libre et personnelle.
Pour aujourd'hui, l'accent est mis sur le moment de louange, si possible s'inspirant de la scène musicale laïque (danse, contorsionnement, etc.) et de la prédication qui se veut d'un niveau théologique qui ressemble à celui du pasteur protestant tout en la mâtinant d'un zeste émotionnel ou de supports visuels.
Le modèle que nous proposons pour réactualiser nos cultes
C'est celui de la tente d’assignation mentionnée à plusieurs reprises dans l'Exode, aussi en Nombres 2:2 et 10:33. Elle abritait l'arche d'alliance, la Ménora, le Choul'han et le Mizbéa'h Hazahav. Cette illustration veut juste mettre l'accent sur le fait que c'était un tabernacle portatif.
Pourquoi utiliser une pratique aussi ancienne?
O Cette utilisation d'un tabernacle portatif illustre bien notre problématique actuelle. Nous passons d'une culture ayant pignon sur rue depuis la Renaissance à un espace culturel flottant. Nous avons tapissé l'Europe de nos bâtiments écclésiastiques, mais nous sommes en train de quitter notre «Égypte» lettrée, scolaire vers un désert, sans vraiment connaître notre «pays promis». D'ailleurs, y aura-t-il un pays promis? Dieu s'est adapté à son peuple, il les a inspirés en leur faisant construire une spiritualité «portative» non définitive, provisoire, avant de faire construire un temple à Jérusalem quelques siècles plus tard.
O Nous sophistiquons trop notre spiritualité, comme par exemple en voulant faire passer tous nos pasteurs ou pasteures par un moule académique. Nous sommes fiers de nos «bâtiments» théologiques. D'un autre côté, avec le développement de la culture scénique des réseaux sociaux nous berçons nos voyageurs du «désert» dans une ambiance bien cotonneuse. Ils souhaitent peut-être surtout avoir des leaders qui connaissent la destination du Pays Promis?
Comment organiser des «cultes portatifs»?
O Nous sommes les premiers à mettre le staff pastoral sous pression en les incitant à copier le professionnalisme des réseaux sociaux. À prêcher comme des standuppers. À animer des cultes qui ressemblent plus à une fête, certes spirituelle, qu'à une Yeshiva calviniste. C'est vachement épuisant.
O Premièrement, il faut revenir à notre contexte socioculturel et politique. Il faut redéfinir le culte comme l'endroit où les fils et les filles du Royaune se rencontrent pour être encouragés à passer le «désert» de leur vie personnelle, familiale, économique. Il faudra développer une approche éducative très poussée. Par exemple, comment apprendre à vivre avec moins, dans des contextes de violences, d'insultes réciproques où le viol est devenu un des principaux sujets de conversation. Où le mensonge est devenu l'arme la plus puissante pour se faire une place au soleil... du désert.
O Pour délester nos cultes, nous préconisons d'organiser quatre cultes par mois, dont l'envergure est chaque fois différente:
Le premier, très professionnel, avec des intervenants (lecteur, prédicateur ou prédicatrice), musiciens formés auparavant à fonctionner sur une scène avec un public. Exit les bonnes volontés. On table avant tout sur le talent lié à des connaissances intellectuelles et au degré de formation. Du fait qu'il nécessite un gros investissement en talents, nous ne le recommandons qu'une fois par mois.
Le deuxième, un remake de la pratique habituelle. Un culte rôdé depuis longtemps, sans artifices spéciaux. Le classique, quoi! Il est plus facile de reproduire une habitude liturgique que d'en créer une nouvelle.
Le troisième dédié entièrement à l'intégration des enfants et des ados. Il faudra inventer un culte non liturgique, mais utilisant à fond la culture des enfants.
Conseils donnés par Johanne Rochat
Le quatrième. C'est un culte «désertique» par exellence. Le «tabernacle portatif» n'était pas conçu pour qu'on n'oublie pas de rendre un culte à Dieu, mais pour signifier que Dieu était présent parmi son peuple. Dans leur désert. Comme Évangéliques classiques, nous avons finalement bien intégré les pratiques religieuses en cours dans le monde. Nous rendons un culte à Dieu. Nous lui offrons un culte d'adoration et de louanges, comme s'il avait besoin de ces rituels liturgiques pour exister. Même si au travers d'un culte on apprend qui est Dieu et comment il faut l'adorer, nous pourrions en tout cas développer un culte par mois qui inverse la vapeur. Nous ne sommes pas là pour faire plaisir à Dieu par notre présence, mais pour que lui puisse faire plaisir aux participants, au travers de nous. Sur les réseaux sociaux, on fait plaisir avec des clips musicaux, humoristiques, avec des conseils avec des combines futiles, etc... Dans l'église, on peut faire plaisir en aimant, ce qu'aucun réseau numérique ne peut offrir. Ce qui veut dire pratiquer l'amour et non pas seulement en parler.
Suggestions pour tel culte
O Pas de liturgie. Peut-être un court moment cultuel pour conclure la matinée avec un chant, une prière, une lecture d'un texte biblique et une bénédiction. Participation facultative.
O Mettre l'accent sur le prendre soin de son prochain. On peut organiser une aide par la prière pour une demande personnalisée, donc un demandeur et une personne qui prie: problèmes de couple, avec les enfants, du point de vue du travail, de la santé, pour résoudre un problème administratif, etc... Les prieurs sont signalés par un badge adéquat et circulent dans l'espace de l'église.
O Il peut y avoir d'autres espaces qui occupent une salle de l'église. Si vous avez des personnes compétentes: conseils juridiques, conseils en éducation, conseils d'orientation professionnelle. Conseils pour trouver de l'aide sociale, etc...
O On peut même ouvrir un espace où les gens proposent des objets à donner.
Il faudra créer une ambiance place de marché, un moment absolument a-religieux. Ce qui veut dire créer une matinée qui baigne dans la convivialité en offrant de la nourriture, des boissons, des espaces de jeu ou par exemple de chants. Jésus aimait circuler au «marché», parmi les gens. Il n'a jamais organisé un espace cultuel dédié. Ce qui permet aussi que des personnes passent juste pour un petit moment, sans être liées à une activité temporelle, comme un culte liturgique. Cet espace dominical pourrait se comparer au parvis du Temple de Jérusalem. Imaginez que durant une de ces matinées vous priez pour la guérison d'une personne et qu'elle soit guérie. Tout le «marché» va être interpelé.
Petite conclusion: Dans le désert, il n'y a pas de chemin. Le chemin se fait au fur et à mesure en marchant. Il suffit de mettre ses pieds dans les traces des pas du Christ qui nous précède dans le désert et lui il connaît le Pays Promis.