Le festival «One» 2024 un nouveau marqueur culturel à l'horizon évangélique?
Sur notre blog, nous n'avons pas attendu 2024 pour rendre compte des évolutions culturelles en cours. Pourtant, le festival «One» de 2024 nous a fait lever le sourcil, comme si un nouveau vent «frémissait» dans nos milieux classiques. Déjà en 2020, nous parlions de Glorious dont nous avions suivi des concerts dans leur fief catholique à Lyon. Avant qu'on parle de Hillsong en France ou en Suisse, la multinationale évangélique, nous avons suivi un culte dans leur fief de Sydney qui est devenu le moule de leur spiritualité 2.0. J'avais même organisé un week-end d'exploration pour des responsables de communautés évangéliques pour explorer la nouvelle spiritualité cultuelle dont la Porte Ouverte Chrétienne à Mulhouse était un des fers de lance en France (du temps où le fondateur Jean Peterschmitt était encore en vie). Autre constatation à faire. Dans les dernières décennies, il fallait se déplacer physiquement pour se faire une idée. En 2024, nous sommes restés dans notre fauteuil, à domicile, à suivre «One» en streaming.
Qu'est-ce qui nous a fait lever le sourcil?
O Un certain culot pour mettre en scène des intervenants, hommes et femmes, qui ne représentent pas forcément le nec le plus ultra de la spiritualité et de la théologie évangélique classiques au vu des mouvements d'églises participants à l'évènement. Ces mouvements n'étant pas connus pour être des innovateurs de la spiritualité émotionnelle, dont Glorious est un exemple flagrant. Il faut une certaine audace pour laisser dire à Marie Ray dans sa phrase d’accroche «et si je te disais que Cendrillon était une influenceuse»? Au lieu de commencer son argumentaire par un texte biblique, comme attendu dans une convention évangélique. C’est également culotté de faire venir un groupe de louange catholique. Bien qu'Ali, la chanteuse du groupe, soit d’origine mennonite, l'un des leaders est prêtre. Il est enfin temps que les communautés se mélangent!
O Un professionnalisme impeccable. Tout semblait huilé, mais vous ne vous rendez pas compte, selon certaines personnes impliquées que j'ai interviewées, du travail de contrôle du contenu, de répétitions. Marie Ray donne l'impression que son intervention semblait tellement naturelle comme une simple conversation, alors que son texte est écrit et qu'elle n'a laissé tomber que quelques bouts de phrases. Elle a mis des heures à apprendre par cœur son texte. Corinne Streiff est tout autant à l'aise. Tous les intervenants des «talks», comme Beat Joss et Emmanuelle Morier sont des pros de la scène et ne parlons pas de Ruben Binyet, le pasteur philosophe.
O La mise en avant d'acteurs des réseaux sociaux. Lors de ce genre d'évènement, on invitait, par le passé, un pasteur ou plutôt un théologien qui a écrit des livres. Ici, c'est la génération des 35 à 50 ans qui monopolise le micro, y compris pour la louange. Si cette tranche d'âge de membres actifs, dans vos communautés, fait défaut, vous êtes en train de disparaître. À «One», ils ont fait le choix culturel dominant de notre monde actuel, celui des réseaux et du carburant émotionnel qui s'est particulièrement manifesté lors des moments de louange et d'animations, comme avec les ballons. À noter que le groupe de louange de la journée, dont plusieurs membres sont issus de la communauté de La Colline à Crissier, n'avait pas besoin de se sentir inférieur à Glorious, même si ces derniers ont, bien sûr, une touche plus professionnelle puisque, justement, c'est leur «profession».
Quelles conclusions à tirer pour les communautés participantes ou organisatrices?
O Tous ces participants vont rentrer dans leur communauté et devront, par exemple, se coltiner un prédicateur du dimanche matin, qui lit en chaire un texte conçu pour la lecture silencieuse au lieu de la déclamation publique. Ils vont comparer avec Marie Ray, Corinne Streiff et les autres «talkeurs» et si ça se répète tous les dimanches, ils vont chercher ailleurs des communautés qui ont des prédicateurs drillés à l'oralité et non à la manière scolaire de transmettre la foi. Idem pour les moments de louanges. «One» dans ce cas, fait office de modèle, mais si les communautés classiques n'évoluent pas selon la culture actuelle, elles vont s'appauvrir, même avec les meilleurs diplômés de nos facultés de théologie.
O Passer de la bonne volonté à la prestation professionnelle. On l'applique pour les pasteurs qu'on pousse de plus en plus vers le niveau académique pour faire plus professionnels, mais la gestion de la communauté du point de vue liturgique, des prises de parole dans le cadre du culte, comme les présidences de cultes, sont laissées à des bénévoles, des bonnes volontés qu'on ne prend pas le temps de former. Il suffit qu'ils aient du courage et on les lance en pensant qu'ils vont s'améliorer en pratiquant. On se retrouve donc avec un pasteur ou une pasteure qui a le permis pour conduire théologiquement un bolide et ils se contentent avec leurs équipes de bénévoles d'animer un circuit hautement amateur sans grandes exigences, juste pour faire des promenades dominicales conviviales.
Conclusion et suggestions
À «One» (2024), on aurait pu sans problème inviter des pas-encore-chrétiens à suivre toutes les prestations. Ce que j'appelle la foi par immersion. Qu'est-ce qui empêche une personne qui n'est pas croyante comme l'évangélique classique de danser en chantant la gloire de Dieu. On a tellement favorisé la foi par instruction et surtout le passage devant le juge éternel qui nous pardonne à condition de le lui demander qu'on oublie qu'on peut aussi se familiariser, apprendre à aimer un Dieu avec qui on aime danser. S'immerger dans une ambiance spirituelle pas seulement réservée à la méditation et au silence, mais qui nous donne envie de continuer à fréquenter un Dieu et des croyants qui se sentent libérés aussi dans leur corps et leur espace physique. Nous qui sommes «empaquetés», ficelés le dimanche matin dans nos comportements liturgiques. Le Dieu du dimanche matin ne ressemble souvent pas à sa Création. Il est plutôt noir et blanc au lieu d'être multicolore. C'est une nature morte comme en peinture.