Le combat entre l'écrit, la lecture et les images, qui va le remporter?
Assurément c'est le monde des images, des sons, de la musique, des clips vidéos qui va remporter ce combat, ne laissant que des miettes à l'écrit, au texte et surtout laissant sur le bas-côtés les exégètes, les écrivains, les «scribouilleurs» comme moi. Un peu comme au Moyen-Âge le traitement du texte restait cantonné dans les monastères, dans des lieux dédiés. C'est ce qui nous pend au nez.
Pourquoi ce pessimisme?
Ce n'est pas du pessimisme, mais simplement une constatation liée à la manière dont notre cerveau gère les images et l'écrit. Maryanne Wolf est une spécialiste en linguistique et à la recherche en relation avec la dyslexie*. Cette chercheuse, s'appuie sur les récentes avancées des neurosciences pour affirmer que les humains n'ont pas été destinés à lire. Nous ne sommes pas «câblés» pour la lecture. D'ailleurs l'invention de l'écrit et de la lecture est tardive dans l'histoire humaine (5000 ans environ). Ce qui veut dire que nous avons besoin d'apprendre à lire. Par contre, on n'apprend pas à l'enfant à voir et à entendre, c'est inné. Il est équipé, câblé pour percevoir la réalité autour de lui sans apprentissage. Ce qu'il faudra apprendre, c'est le sens de ce qu'il voit. Comme nos théologiens et pasteurs s'appuient sur le système scolaire, donc sur des acquis culturels, pour faire église et enseigner, ils ont eu l'avantage d'avoir d'autres qui ont fait ce travail fastidieux d'apprentissage de l'écriture et de la lecture. Car c'est terriblement laborieux, comme par exemple, un chinois qui apprend le français. Mon épouse donne justement des cours de français à une jeune femme chinoise. Cette personne qui arrive en France, perçoit par la vue et l'ouïe, le fonctionnement de la société, pour se nourrir, se vêtir, voyager. En réalité, elle n'a pas vraiment besoin de savoir lire le français à moins de vouloir travailler dans une entreprise ou une organisation qui demande de savoir lire. C'est ça le plus grand problème aujourd'hui. Bien que le savoir écrire et lire est encore un avantage dans pas mal de domaines, de plus en plus, on peut en faire abstraction, surtout dans le domaine spirituel.
* Lecteur reste avec nous! Un plaidoyer pour la lecture. (Ed. Rosie & Wolfe, 2023)
Quelles en sont les conséquences?
Les réseaux sociaux, liés au numérique, sont pilotés techniquement par des concepteurs qui ont appris à écrire et à lire. Le codage est une sorte «d'écriture», mais il est en arrière-plan. Les internautes qui utilisent majoritairement les réseaux comme TikTok, Instagram, Meta, Youtube, etc... entrent dans la réalité comme on entre dans un magasin à porte coulissante, qui s'ouvre automatiquement, sans apprentissage préalable pour y entrer. Un peu comme lorsqu'on conduit une voiture. Pas besoin de savoir lire pour rejoindre sa destination. Les indications pour gérer la conduite sont signalées par des icônes, des boutons graphiques. Le conducteur consulte son parcours sur une carte numérisée, doublée par une voix. Il y a basculement. L'écrit switche du premier plan à l'arrière plan. De plus, l'apprentissage de la lecture demande un certain effort. Le monde des réseaux sociaux ne demande aucun apprentissage, sauf pour des personnes nées entre deux pages de livre. La réalité voulue et conditionnée par l'économie, la politique et même le religieux s'ingurgite simplement en regardant, en entendant, sans effort.
Pourquoi, il n'y a pas dans notre cerveau un «câblage» qui nous ferait lire un texte comme on voit une image?
Les neurosciences expliquent que la faculté de lire, n'est pas innée, mais c'est une sorte de bricolage. Avec notre cerveau, nous utilisons de aires dédiées originellement à la reconnaissance des objets et du visage pour déchiffrer des lettres. La lettre devenant une sorte de «visage», encore faut-il apprendre à reconnecter les lettres ensemble, ce que le neuroscientifique Stanislas Dehaene appelle «recyclage neuronal».
L'autre argument pour comprendre spirituellement l'absence automatique de la lecture, comme pour les images, c'est que Dieu crée un espace de liberté entre lui et les humains. Cet espace, je l'appelle théomimétisme. Un vocable que j'ai bricolé, à partir du biomimétisme, une manière pour des scientifiques de copier la nature pour leurs projets.
Le bloc de béton immergé représente la Création de Dieu (Romains 1:20), le «voir et entendre». La bouée est rattachée au bloc. Ce sont les mécanismes qui utilisent certains aspects de la création, comme la reconnaissance faciale. Ils sont attachés à la création, flottent en surface et c'est la bouée de l'histoire du salut. Cette bouée n'est pas de l'ordre de la Création de Dieu, mais c'est une Révélation, celle transmise, entre autre, par l'oralité et avec l'invention de l'écriture par le texte. La «Bible» en fait le résumé «écrit». C'est une compilation de la Révélation. Le salut n'est pas imposé aux humains comme le programme informatique d'un robot. Il n'est pas évident comme la vue d'un éléphant. On ne discute pas de la véracité d'un éléphant en chair et en os, mais la Révélation peut se discuter. On peut en douter. C'est là que s'infiltre la liberté.
Les faiblesses de mon argumentation
et les questions complémentaires qui se posent à nous
La faiblesse la plus évidente, c'est de se poser la question de la Révélation qu'on eut les Noé, les Abraham, les Moïse, etc... qui n'avaient pas accès à une Révélation écrite. Pourquoi, pas mal de «messages» dans la Bible ont utilisé le format «image»: par exemple, Moïse et le buisson ardent, la montée au ciel du prophète Élie dans un char de feu, les langues de feu lors de la Pentecôte, etc...? Faut-il savoir lire et écrire pour prospérer spirituellement?
Cette constatation que le monde des images va dégommer le monde des livres, n'est-ce pas exagéré?
Non, absolument pas. Entre franchir une porte coulissante qui s'ouvre automatiquement et une porte où il faut frapper et présenter le laisser passer du diplôme qui authentifie qu'on sait lire et écrire, il n'y a pas photo. Ce n'est donc pas par idéologie, moralité, présupposé culturel que va se faire le choix, mais simplement par commodité! Le problème de l'église, c'est qu'elle installe une porte automatique pour assoir ensuite les croyants dans une école pour apprendre la spiritualité à la manière scolaire: asseyez-vous, ouvrez votre cahier et votre livre! Les gens vont ressortir aussi vite qu'ils sont entrés. La musique, les festivals et autres concerts de louange, ne font-ils pas seulement office de porte coulissante? À quand un entraînement spirituel à «porte coulissante»? Où on joue pour apprendre, où on organise des jeux de rôles, on crée des clips vidéos, on fait ce que certains pédagogues appellent «learning by doing», apprendre en pratiquant ou pendant qu'on pratique.