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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Quand l'église passe du «froid» au «chaud» ou vice versa

7 Avril 2022, 08:00am

Publié par Henri Bacher

Quand l'église passe du «froid» au «chaud» ou vice versa

Dans cet article, nous allons à nouveau mettre l'accent sur le théomimétisme. Nous nous inspirons de l'inversion du courant froid et chaud du Humboldt pour montrer que ces inversions produisent de la richesse. Actuellement nous nous trouvons exactement à l'inversion de deux courants culturels qui ont beaucoup d'effets négatifs, mais aussi un potentiel de renouvellement très important.

L'inversion des courants vu sous l'angle climatique

Le courant de Humboldt ou courant du Pérou est un courant marin de surface, parcourant l'océan Pacifique. Prenant naissance près de l'Antarctique, il est froid, environ 7 à 8 degrés inférieur à la température moyenne de la mer à la même latitude. Il longe les côtes du Chili et du Pérou et, riches en plancton, ses eaux sont très poissonneuses. Il a été nommé d'après le naturaliste Alexandre de Humboldt. Durant le phénomène d'El Niño, il disparaît et laisse sa place à un courant chaud, diminuant le plancton et augmentant alors les précipitations de la façade pacifique de l'Amérique du Sud (Wikipedia). 

Nous allons surtout nous inspirer de la dynamique de l'inversion des courants et dans nos illustrations nous commençons par le El Niño. Ce n'est pas une approche scientifique, mais parabolique.

L'inversion des «courants » vu sous l'angle culturel

Quand l'église passe du «froid» au «chaud» ou vice versa

Le courant «chaud» venant du Moyen-Âge s'inverse au profit d'un courant «froid»

L'oralité est une lecture et un décryptage de la réalité par l'émotion. On ressent avant tout les situations et les messages. La vue, l'ouïe, le toucher, les odeurs vont servir à comprendre par les couleurs, les formes, les mouvements, les sons (musique et autres). L'oralité a un répertoire sensoriel très prolixe. Ce courant «chaud» trouve son apogée et en même temps son déclin vers le 14ème siècle. Un peu comme le courant de Humboldt perd de son efficacité au profit d'El Niño. La Renaissance, mouvement artistique, philosophique est aussi le fruit, dès le 12ème siècle, du développement du pôle des écoles et des universités. Le courant «froid» qui était en devenir sous la culture de l'oralité, structuré surtout sur le mode universitaire, a permis d'inverser la tendance et devenir le pôle dominant, en Europe, grâce à la Renaissance et à l'invention de l'imprimerie par Gutenberg. Ce que des auteurs comme MacLuhan et Pierre Babin qualifient de levier technologique, puissant transformateur de société.

Quand l'église passe du «froid» au «chaud» ou vice versa

Le courant «froid», dominant pendant plus de quatre siècles,
s'essouffle au profit du courant «chaud»

Le courant lié à l'écrit, aux livres et surtout au système scolaire, que nous connaissons très bien - c'est l'ADN de nos communautés réformées et évangéliques - se fragilise par la montée du numérique lié à d'autres leviers technologiques actionnés par l'électricité. La grande puissance du numérique, c'est sa capacité et sa vitesse de développement en l'espace d'un demi siècle et ce n'est qu'un début avec le métavers. 

Quelles sont les conséquences de ces inversions de courants?

O La première conséquence, c'est que ce brassage froid/chaud profite au développement de nouvelles richesses tant sur le plan intellectuel qu'émotionnel ou spirituel. Il est clair que nos théologiens de la culture froide n'apprécient guère de se retrouver à nouveau sous celle du numérique, eux qui sont devenus, grâce à l'école et aux livres, les rois de la culture. Ce courant froid va revenir, c'est sûr et il reprendra sa position dominante, mais pour l'instant il faudra patienter encore un bon bout de temps, peut-être plusieurs générations! 

Ce principe d'inversion est une composante fondamentale de la création de Dieu: la pluie alterne avec le soleil, les saisons sont des alternances, les fleuves commencent par un mince filet d'eau pour se jeter dans la mer et celle-ci redonne de la vapeur d'eau et de la pluie pour alimenter la source en montagne.

O La deuxième conséquence porte sur les rituels, les liturgies liés à chaque courant. Les évangéliques ont l'habitude de nier l'aspect religieux de leurs cultes et autres activités sous prétexte qu'ils ne ressemblent pas à ceux des catholiques. Ceux du courant chaud. Avec les réformés on se compare moins à leur rituel et plus à leur théologie. Logique, puisqu'on sort de ce moule culturel. Chaque courant génère ses liturgies et le problème, ce n'est jamais les liturgies, mais la mise en pratique de la foi. Alors si nous voulons nous battre, faisons-le dans le domaine de la pratique. Je vous rappelle aussi que le courant chaud du Moyen-Âge a envoyé des jésuites-missionnaires jusqu'au Japon. Il n'y a pas seulement les évangéliques issus du 19ème siècle qui ont évangélisé le monde.

O La troisième conséquence ce sont les conflits dans les communautés, mais aussi, personnellement, chez les chrétiens. Deux courants qui s'inversent provoquent toujours des remous qui peuvent être très violents. Ces remises en question, ces chamboulements se retrouvent aussi dans les perceptions intimes de la réalité. Tout conflit communautaire ou personnel, entre deux chrétiens, devrait d'abord s'analyser à partir des chocs culturels et non pas en premier sous l'angle éthique ou psychologique. Ni même sous l'angle spirituel. Une spiritualité générée par le courant chaud n'est ni supérieure ni inférieure aux yeux de Dieu, si la pratique correspond à l'évangile. Encore, soyons prudents, nos pratiques, qu'on dit inspirées par l'évangile, comportent aussi la marque indélébile du courant culturel dont on est issu.

O La quatrième conséquence, c'est la recomposition socio-culturelle de nos communautés. Certaines se lancent carrément à partir de la nouvelle culture chaude dominante et font la part belle à l'émotion. D'autres refluent dans le courant froid. C'est un peu à l'image de la Gospel Coalition. Mais ce qui se passe le plus souvent, c'est qu'on fabrique une culture patchwork.

Quand l'église passe du «froid» au «chaud» ou vice versa

Permettez-moi l'expression, mais la culture patchwork est casse-gueule et difficile à gérer. Il faut que le conseil et le pasteur soient de vrais «artistes-créateurs» pour harmoniser le tout. C'est le mélange des styles musicaux, des styles d'enseignements, des styles de prédication. Finalement personne n'est vraiment content, culturellement parlant. Généralement les gens, non-satisfaits, partent vers d'autres communautés, qui correspondent plus à leur culture. Ma réponse à ces questions de fuites vers d'autres communautés, c'est de créer sous le même toit, sous la même direction, des activités «chaudes» ou «froides» et de créer des liens entre ces deux courants, mais qui ne soient pas des liens liturgiques. Donc, exit les cultes où les deux courants se mélangent ou pourquoi pas à l'occasion.

Conclusion

Une culture ne s'apprend pas comme à l'école. On est dans le courant, dès notre plus jeune âge ou bien on n'y grandit pas. Certes beaucoup de personnes changent de pays et de cultures. Certains s'adaptent parfaitement, mais c'est plutôt rare de ne pas trahir nos origines culturelles.
Les communautés «froides» vont de plus en plus souffrir dans leur adaptation culturelle et à terme vont disparaître ou se marginaliser (passer dessous) définitivement comme le courant du Humboldt. Avec leurs théologiens et leurs pasteurs.

Bibliographie:
- Parole Images, Collection Logoscom, Henri et Martine Bacher, Presses Bibliques Universitaires, 1995 (plus disponible)
- Autre homme, autre chrétien à l'âge électronique, Pierre Babin / McLuhan, Ed. du Chalet, 1977 (épuisé)
- Nouvelle histoire du Moyen-Âge, Collectif sous la direction de Florian Mazel, Ed. du Seuil, octobre 2021

- Iconologies, Michel Maffesoli, Ed. Albin Michel, 2008
- Les technologies de l'intelligence, Pierre Lévy, Ed. La Découverte, 1990
- La Génération Z aux rayons X, Elisabeth Soulié, Les Éditions du Cerf, 2020
- Petite Poucette, Michel Serres, Ed. Le Pommier, 2012
- L a Fin de la Chrétienté, Chantal Delsol, Ed. Du Cerf, 2021

 

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