Une nouvelle stratégie d'évangélisation
Il y en a tant! Pourquoi en rajouter une nouvelle? Hélas, sous les coups de boutoir de la culture numérique, notre société se tribalise et du point socio-culturel nous assistons à une pixélisation spirituelle chrétienne et non chrétienne phénoménale. Ce qui nous handicape dans nos stratégies, c'est que nous quittons une Europe dite christianisée pour tomber dans un paganisme multiculturel. On a longtemps «trafiqué», entre les églises, sur un patrimoine historique labouré par des courants très différents et parfois antagonistes, mais se référant, grosso modo à la foi chrétienne. Ce socle commun vole en éclats. Comment évangéliser dans un contexte pareil?
Siphonage?
En Europe, comme évangéliques (socio culturels), ne nous voilons pas la face, la stratégie dominante était de tirer la majorité de nos «followers» du tissu judéo-chrétien représenté par les catholiques et les réformés. Logique puisque la culture et la civilisation chrétienne dominaient. D'ailleurs cette stratégie, n'est pas forcément à prendre par la négative, elle s'est pratiquée avec toutes les spiritualités issues du contexte biblique. Les premiers chrétiens ont cherché les membres de leurs communautés, en partant des synagogues, sauf que des Paul et consorts ont aussi ratissé largement le paganisme romain. L'Europe était catéchisé par les prêtres et les pasteurs. Le public maîtrisait la rhétorique chrétienne, sans forcément y adhérer par le cœur, mais en tous cas, en pratiquant les rituels socio-culturels comme les baptêmes, les mariages, les enterrements. Ce que Emmanuel Todd nomme le «protestantisme» zombie.*
À chaque fois, on se séparait, comme les réformateurs du 16ème siècle de l'église dominante ou les réveillés du 19ème siècle des églises, surtout de la mouvance réformée, luthérienne et anglicane qui ne répondait plus à leur standard spirituel. Ils voulaient «réveiller» l'ancien patrimoine spirituel. Comme dans l'illustration ci-dessus, on gardait toujours une part de l'expérience et de la théologie du tissu précédent, ici représentée par la couleur noire. On remodelait la communauté chrétienne sous l'influence des changements culturels et politiques de la société.
En conclusion de ce siphonage, je dirais que les évangéliques puisaient dans un contexte favorable: on les comprenait de par le vocabulaire façonné par les catéchismes obligatoires, cathos ou réformés, sans forcément adhérer à leurs spiritualités. La stratégie d'évangélisation pouvait puiser dans ce patrimoine. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Nous revenons au paganisme de l'empire romain des débuts du christianisme.
Stratégie d'influence?
Les réseaux sociaux fonctionnent selon cette stratégie-là. D'ailleurs les acteurs de ces réseaux se nomment «influenceurs». Le blog Imagodei a clairement adopté cette stratégie. Ils se posent sur la marge de la société et de sa culture par rapport à l'église en souhaitant ainsi rejoindre nos concitoyens. Leur approche n'est pas frontale. Les aumôniers évangéliques dans les parlements politiques en Suisse ou en France, jouent également ce rôle d'influenceurs. On dirait aussi lobbystes. Je trouve excellent ces initiatives tout en posant la question, sur le nombre de personnes qui rejoignent, par ce biais-là, nos communautés évangéliques? Quel est notre stratégie d'évangélisation dans ce monde occidental qui n'est plus catéchisé? Voilà la question fondamentale. L'influence est certes importante, mais l'évangile cherche plus que l'influence, il souhaite que les gens se convertissent. Avec l'influence, on revient à ce que j'appelle la spiritualité par immersion. On est immergé dans un magma spirituel qui nous entraîne dans un monde d'ambiance et d'émotions spirituelles comme après le miracle de la multiplication des pains où la foule voulait faire de Jésus un roi (Marc 6:30-44).
Stratégie d'inculturation?
Nos concitoyens sont mâtinés de croyances glanées au fil de leur parcours sur les réseaux sociaux. Ils utilisent un patchwork d'impressions spirituelles, d'ésotérisme, de complotisme de type prophétique, de pratiques occultes inerrantes au paganisme pour se constituer un tapissage spirituel. Vont-ils pouvoir comprendre notre spiritualité ou bien vont-ils simplement enfiler le dimanche matin un costume religieux, comme l'ont fait, par le passé, pas mal de générations en Europe? Je pense que non. Ils sont éduqués à ne plus se faire mettre un «costume» religieux, donc, même par ce biais, ils ne vont pas rejoindre nos communautés. Nous devons repenser nos théologies de conversion élaborées pour des gens «vocabularisés», catéchisés, mais non entraînés dans une nouvelle vie spirituelle. Toute spiritualité qui ne se greffe pas sur la culture de la personne reste superficielle.
Par quoi commencer?
Il ne faut pas demander que la personne touchée par l'évangile, endosse le «costume spirituel et liturgique» élaboré dans la culture de l'écrit. Les chrétiens qui accueillent ces nouveaux «immigrants», doivent eux-mêmes adapter leur propre manière de «s'habiller». D'analytique, de systématique, ils doivent parler et vivre plus par le ressenti et les émotions, par la musique, le son, les images. Exit la salle de culte qui ressemble à une salle de classe scolaire. La chaire doit disparaître.
La stratégie de l'apôtre Paul avec Lydie (Actes 16:11-16)
L'apôtre se rend au bord d'une rivière, un jour de sabbat. C'est le premier changement de «costume»: il ne va pas à la synagogue. Deuxième changement, il va au bord d'une rivière. Qui penserait qu'au bord aussi improbable pour l'évangélisation qu'une rivière, il allait trouver la perle rare. Paul commence par ce que j'appelle l'évangélisation par l'initiation. Le contact du un à un comme décrit dans notre dernier post. La suite de cet entretien est très important pour nous: Paul n'invite pas son interlocutrice dans un lieu de culte approprié, mais c'est elle qui lui indique comment elle voudrait en savoir davantage. C'est elle qui organise le «lieu» de culte et c'est sa maison. Elle oblige même Paul à accepter (v.15). Forcément, la manière de vivre la spiritualité va devoir s'adapter à l'environnement et au rythme de vie d'une maisonnée. Et c'est la clé d'une nouvelle stratégie d'évangélisation: quitter nos lieux de culte traditionnel pour nous fondre là où vivent, travaillent, se distraient nos interlocuteurs. Dans une maison, dans un studio de télé, dans l'arrière salle d'un bistrot, dans une entreprise, dans la nature.
Le plus grand frein pour une telle évangélisation, c'est la question de l'argent et du financement. Nos locaux, nos pasteurs nous coûtent énormément. Il faut donc créer une «clientèle» fidèle qui nous aide au financement. Exit les projets éphémères, les expériences qui ne «rapportent» pas grand chose au départ. Ce n'est peut-être pas la première «rivière» que l'apôtre à arpenter, sans grand résultats.
Nous devons amorcer une nouvelle stratégie pour mettre en avant l'évangélisation du un à un dont les exemples ne manquent pas dans les Actes. Nous devenons «missionnaires» dans notre propre pays. Voici un exemple que nous vivons à partir d'un immeuble.
Il faut soigner les anciens tissus, catholiques, réformés, évangéliques issues des mouvances spirituelles du 19ème siècle. Ne pas vouloir les adapter à la nouveauté. On va plutôt les tuer, mais elles ne représentent plus un potentiel important pour la nouvelle évangélisation en Europe. Par contre encourageons les nouvelles expériences, tout en mettant un accent particulier à développer les liens comme on le fait au travers de l'œcuménisme. Au lieu de le promouvoir lorsque les mouvements sont installés, pourquoi ne pas intégrer l'œcuménisme dès le départ? De toute façon au vu des expériences historiques, aucune église va éliminer les autres. Il faudra de toutes façons s'entendre.
* La défaite de l'occident, Emmanuel Todd, Ed. Gallimard, 2024