On est toujours le barbare de quelqu'un!
Chaque culture a toujours une forte tendance à mépriser celle qui l'a précédée ou celle qui va la remplacer. Avec cet article, l'idée c'est de montrer que nous sommes, en tant qu'église, sur la pente descendante de la culture de l'école et du livre et que nous nous faisons mettre en «boîte» par les tenants du numérique. C'est une évolution inévitable au vu de ce que l'histoire nous montre.
La culture universelle du mépris de ce qui nous est étranger
L'empire romain a traité de barbares, ceux qui plus tard les ont envahis et détruits en partie. Lorsqu'on lit Régine Pernoud (1) sur les femmes au temps des cathédrales, on se rend compte à quel point on a maltraité le Moyen-Âge. Les femmes y ont été bien plus libres et autonomes qu'à la fin du XIXème siècle ou en partie au XXème siècle. La connaissance des histoires de la Bible y était bien plus répandue qu'aujourd'hui. Le problème, c'est que l'image mentale qu'on a du Moyen-Âge s'est forgée sur la période de déclin de cette fabuleuse période historique. Ce qui est complètement faux.
Nous sommes fils et filles de la Réforme nées dans les plis de la culture montante générée par la Renaissance et qui a marginalisé les acquis du Moyen-Âge. Nous défendons becs et ongles nos origines culturelles et nous avons tendance à nous barricader. Savez-vous que la Sorbonne à Paris a interdit les imprimeurs dans la capitale à l'avènement de ceux-ci. Et pourtant, c'est le levier technologique qui fera basculer l'Occident dans la culture de l'école. Évidemment, pas du jour au lendemain. Forcément, nous jugeons la nouveauté comme celle qui va nous «détruire». Ce sont des barbares, sans culture théologique estampillée «académique». Ces églises «barbares», «boum-boum», superficielles qui nous broutent la laine sur le dos. À l'image du groupe Glorious qui anime des messes, mais aussi des rencontres cultuelles évangéliques:
Toute culture se vit en trois phases: la découverte, l'épanouissement et le déclin. La première qui peut se voir comme un enfantement, avec la joie de la nouveauté, mais aussi les souffrances de l'accouchement. Ce fut le cas des débuts de la Réforme, sujette à bien des controverses, les fameuses disputes théologiques, mais aussi des persécutions.
Pour les églises issues de la Réforme, la deuxième phase, c'est l'épanouissement de la spiritualité «scolaire» favorisée par l'imprimerie. Elle a créé un monde extraordinaire qui a «pensé» et modelé profondément la réalité humaine (surtout dans les contrées sous influence protestante). Mais a aussi causé, pour les églises de ce courant, beaucoup de destructions: la mise à l'écart de la perception spirituelle liée à l'émotion, la mise sous boisseau de l'approche systémique de la réalité humaine au profit du décorticage et du découpage, la marginalisation des dons spirituels (ceux cités dans 1 Corinthiens 12), le fractionnement de l'église en particules souvent sectaires, la prédominance de la page imprimée au détriment des exemples qu'on pourrait tirer du deuxième livre de la Révélation, celui de la Création, etc...
C'est très difficile de dire aux promoteurs des facultés évangéliques que tous les efforts louables qu'ils font se lient à un courant culturel en déclin. Par déclin, je ne parle pas d'une pensée philosophique qui dégénère comme le faisait à son époque Francis Schaeffer. D'ailleurs nos éminents théologiens actuels sont très compétents pour nous décrire la pensée postmoderne qui est à l'origine du déclin judéo-chrétien.
Pour moi, c'est plus prosaïque. Une culture c'est avant tout un réceptacle. En face de nous, on a ces nouveaux «culturés» qui ont des réceptacles qui ne correspondent plus à nos contenus. On a de l'eau pure à offrir, mais en face, ils nous tendent des boîtes en carton, parce que justement les leviers technologiques comme l'imprimerie et maintenant le numérique sont à l'origine d'une standardisation des réceptacles culturels, je dirais aussi d'une «industrialisation» de la manière de penser. Tout «produit» culturel ou matériel a été pensé pour un réceptacle. On peut tout à fait mettre au point un produit pour une élite et rester dans les anciens standards, mais l'évangile s'adresse aussi au plus grand nombre et les nouveaux réceptacles culturels sont plutôt «cartonnés», jetables, «kleenexés» et éphémères.
Nous devons reconditionner notre contenu, mais c'est un travail énorme pour faire passer l'évangile de la forme «liquide» à la forme «solide». Jésus a dû le faire. Il n'a pas réactualisé les centaines de lois du judaïsme (l'eau pure), mais il a développé de nouveaux contenus qui trouvaient leurs origines dans l'Ancien Testament. Les réformateurs comme Calvin et Luther n'ont pas pu recycler le pèlerinage, les images saintes, les processions, les saints et les saintes (l'eau pure du Moyen-Âge) pour mettre dans les «boîtes» de la Renaissance. C'était beaucoup plus simple de décréter que ces activités moyenâgeuses étaient «barbares».
Il n'y a pas d'évolution possible
C'est le constat que je fais, malheureusement. Pas à cause d'un manque de volonté. Au contraire. On s'efforce de changer, mais le problème est bien plus profond. Il y a une vraie rupture comme au temps de la Renaissance. Tout nouveau développement construit et détruit en même temps. C'est utopique de croire qu'on peut faire évoluer un ancien tissu et le fameux texte de
Marc 2:22 le confirme:
Et personne ne verse du vin nouveau dans de vieilles outres; sinon, le vin fait éclater les outres: le vin est perdu et les outres aussi. Mais non! Pour le vin nouveau, il faut des outres neuves!»
Ça ne veut pas dire que les vieilles outres sont à jeter. Elles conservent très bien le vieux vin.
Le miracle du changement de l'eau en «boîte» est en train de se faire à Lyon
Dans cette ville s'ouvre une école très spéciale. C'est un centre de formation initié par des musiciens, comme les leaders du groupe de louanges Glorious (catho) et Matt Marvanne (évangélique). Quel mélange «barbare»!
Voici comme ils se définissent:
Pierre est une école créative à Lyon qui forme en une année des chrétiens à l’audiovisuel, la louange, la théologie, le leadership et à l'entrepreneuriat pour l’Eglise.
Tout à coup on lit des termes qu'on ne retrouve pas très souvent dans une faculté, comme «créative», «leadership», «entrepreneuriat» juxtaposés à la théologie. Généralement la théologie est le pôle le plus important, tandis que dans ce contexte, il est au même niveau que les autres spécialités. Une amorce d'une formation en systémique? Et non hiérarchique dominé par la théologie et des théologiens, mais partagé avec des créatifs, musiciens, graphistes, vidéastes (des metteurs en «boîte»)? On peut toujours rêver... autre terme banni de la théologie.
(1) La femme au temps des cathédrales, Régine Pernoud, Ed. Stock, 1980