L'évolution de l'église depuis le Moyen-Âge symbolisée par le portrait de quatre femmes
Nous vous proposons d'explorer quatre périodes historiques plutôt sous l'angle des pouvoirs qui se sont associés pour développer l'Église. Nous partons aussi de l'idée qu'il n'y a qu'une seule Église, celle du Christ. Nous ne faisons pas la promotion de l'œcuménisme. Nous ne cherchons pas à gommer nos antagonismes. Ils sont bien là, mais ne nous permettent pas de croire que notre courant est plus «église du Christ» qu'une autre. Le Christ, même s'il était très critique vis-à-vis des pharisiens et autres représentants du judaïsme, ne les a pas définitivement rejetés ou méprisés. Les premiers chrétiens de Jérusalem ont même fréquenté assidument le temple.
Le principe de base de l'évolution de l'Église
Comme pour la Création de Dieu, notre univers ecclésial est en évolution constante. Comme pour les profondes variations climatiques qui font évoluer notre terre nourricière, ainsi en est-il des changements culturels. Le levier technologique de l'imprimerie et maintenant les réseaux sociaux font basculer l'expérience spirituelle et la compréhension de ce que Dieu veut nous proposer.
L'Église doit toujours s'adapter à ses contextes socio-culturels, politiques, économiques et ceux-ci, sous l'impulsion du temps et des activités humaines, s'accélèrent aujourd'hui considérablement. Il n'y a pas seulement l'adaptation socioculturelle, mais elle doit aussi repenser sa théologie en conséquence. L'Église catholique, en Europe, si l'on part de l'empereur Constantin, a mis onze siècles à être fondamentalement contestée par les Réformateurs du 16e siècle. Même si, pendant cette longue période, en son sein, il y a eu de grandes remises en questions, sans jamais arriver au rejet du pape comme le feront les réformés et autres luthériens. Quatre siècles plus tard, les réformes protestantes se sont faites retoquer, au 19e par les réveils qui ont donné naissance à l'évangélisme, avec toujours à la clé des ruptures avec les anciennes autorités spirituelles. À cette époque, il n'y a pas vraiment eu un levier technologique qui a aidé dans le basculement, mais plutôt le développement des usines, donc de l'économie. À noter qu'à cette époque est né le marxisme, fer de lance qui est encore à l'origine de nos déséquilibres actuels, même s'il prend d'autres aspects politiques et institutionnels. On est bien d'accord que les choses sont plus complexes, mais je parle plutôt de tendance.
Comme le protestantisme n'avait pas de pape, les mouvements évangéliques ont plutôt «clashé» les élites tutélaires représentées par les hiérarchies formées dans de prestigieuses universités. Nous voilà, à peine deux siècles plus tard, au post-évangélisme. Celui-ci à son tour, va fragiliser les églises évangéliques classiques devenues très dogmatiques, littéraires, voire sectaires et très peu portées sur l'émotionnel, nouveau levier qui actionne le numérique socio-culturel au travers des réseaux sociaux. Je vous l'accorde que cette analyse est un peu courte et caricaturale.
Le fil rouge
C'est très intéressant que le Credo reste le fil rouge de l'Église de Jésus-Christ. À la fin des temps, nous serons jugés sur notre pratique de l'amour: celui pour Dieu et pour notre prochain. Jamais ou très peu sur nos théologies. Celles-ci seront toujours bancales, incomplètes. Avec n'importe quelle théologie, nous marchons toujours avec des béquilles. Même si on a mis à l'honneur le sport handicap, il y a très peu de théologiens aujourd'hui qui pourraient concourir. Comme moi, on est toujours dans un fauteuil roulant du point de vue théologique. Ce qui ne nous empêche pas de voir la réalité, sauf que les gens veulent nous voir courir, mettre en pratique nos théologies, autrement qu'en glosant sur les réseaux sociaux.
Nous proposons, sur la base d'un personnage féminin, pour chaque période historique, d'explorer les pouvoirs qui ont façonné la théologie et ses pratiques.
La catholique
Jusqu'au 16e siècle, elle était, surtout en France, la fille ainée du catholicisme occidental. Belle femme, vêtue de ses cathédrales, de ses chaînes de monastères, comme Cluny, qui avait des succursales jusqu'en Lituanie. Elle fréquentait les grands du Royaume français. Le Roi la recevait en grande pompe et ses élites régionales, comme les évêques, avaient leur résidence au milieu de la ville, comme encore aujourd'hui, à Strasbourg, en face de la cathédrale. Elle a pris le modèle politique pour s'imposer. Le pape, encore aujourd'hui, a une fonction politique. Même si le pouvoir politique a été sa «maîtresse» (dans le sens de maître, d'un pouvoir tutélaire), elle a accompli des prouesses pour prendre soin des pauvres au travers de ses monastères. Elle a même réussi à imposer une utopie chrétienne liée à la pauvreté, comme l'ont pratiqué les ordres mendiants. Cette double face, comme celle de la pièce de monnaie, va conditionner toute la vie spirituelle en Occident, comme d'ailleurs sur d'autres continents. Le bien et le mal vont toujours essayer de nous influencer.
L'intellectuelle
Elle pense sa vie spirituelle pour faire table rase à ce monde chrétien issu du Moyen-Âge pétri d'émotionnel à l'excès, de superstitions, d'irrationnel outrancier. Ce n'est pas les politiques qui ont aidé le protestantisme et le luthéranisme à mettre les pieds à l'étrier, mais l'imprimerie et la généralisation de l'école, donc plutôt un levier technologique, même si les politiques ont aussi joué leur rôle à Genève comme à Wittemberg, mais ils ne se sont plus comportés comme des «maîtres». Par contre, au fil du temps, le palais royal des cathos a été remplacé par celui de l'école et de l'académie. La hiérarchie protestante, même si elle a décrété que chacun pouvait et avait le droit d'interpréter la Bible, même sans formation préalable, s'est reconstituée autour du diplôme. Au sommet se trouvait celui qui avait le diplôme le plus élevé. Ne pouvait se donner le terme de théologien que celui qui avait le diplôme universitaire, et encore aujourd'hui, si on peut se prévaloir de ce titre académique, on risque d'être invité à des conférences, d'écrire des livres de référence dans le domaine théologique. Bien sûr, si on se cantonne à la définition d'une théologie académique, il faudra la penser à partir de l'Académie, mais qui est-ce qui a dit qu'une théologie ne pouvait être qu'académique! Le musicien Jean-Sébastien Bach a probablement eu des inspirations théologiques non académiques. On est toujours dans les deux faces de la pièce de monnaie. Le bien d'une réflexion approfondie et rationnelle qui s'oppose à l'excès émotionnel et le mal d'une structuration liée à un pouvoir donné par un diplôme.
La Réveillée ou l'Évangélique
Celle du 19e siècle. Celle qui s'occupait des pauvres, qui a aidé à la création de l'Armée du salut: pain, savon, salut. Elle contestait aussi le théologien scolaire dont la pensée était devenue très libérale, en questionnant, pour certains, même la divinité du Christ. À noter que ces mouvements qui ont démarré aussi en Angleterre, correspondaient à la naissance des théories de Karl Marx, donc en relation avec la réalité économique. Ce fut aussi la redécouverte et la mise en pratique de la devise de base des Réformateurs protestants du 16e siècle: celle de pouvoir lire et interpréter la Bible par tout un chacun, sans être «diplômé». La FREE, importante fédération d'Églises évangéliques en Suisse romande, s'est constituée, à la base, avec des petites communautés sans pasteurs diplômés, mais avec des chrétiens spirituellement au point. Ils se réunissaient en grande partie dans des fermes. Je dirais que c'étaient des communautés de vignerons et de paysans. Des communautés, aussi, selon leurs challengers réformées, très «pauvres» du point de vue d'une théologie «intellectuelle» et scolaire. Ils ont voulu relever le défi en développant leurs propres facultés évangéliques pour se rehausser au niveau des héritiers des Réformateurs. Ils sont arrivés trop tard, car ce développement coïncidait avec le déclin de l'école républicaine et avec la montée en puissance des cultures actionnées par l'électricité et le numérique.
À ce stade, il est important de noter que «l'Intellectuelle» et la «Réveillée» ont fait peu appel au politique et à la puissance financière, celui avec l'argent. Le système scolaire, dont le protestantisme a intégré sa manière de penser, d'enseigner, de s'organiser ne voulait pas transformer son travail en espèces sonnantes et trébuchantes. Le pasteur en réalité était un instituteur spirituel. Le système scolaire était gratuit et les profs comme les pasteurs n'ont pas pu devenir des «richetots» de la culture, même en publiant des livres. D'ailleurs, les imprimeurs et éditeurs de livres chrétiens ne se s'ont pas constitués des patrimoines faramineux. D'ailleurs, les éditions étaient la plupart du temps aux mains d'une institution ecclésiale, ou d'une association à but non lucratif. La «Réveillée» avait développé tout sauf son porte-monnaie. Au contraire, elle a financé de ses poches bien des entreprises missionnaires. Ce qui sera très différent de la post-évangélique.
La post-évangélique ou l'influenceuse
Elle est jeune, bien éduquée, surtout en Europe, sait se mettre en valeur sur les réseaux sociaux. Pour passer sur TiKtoK, sur Instagram et autres Face de book, il faut avoir du charme. Elle maîtrise bien l'anglais, moins le grec et l'hébreu et encore moins le latin. Par contre, son vocabulaire est émaillé de vocabulaire anglais et de termes plus empruntés à l'informatique et à l'Internet qu'à la Bible. Ses rassemblements s'appellent «One» au lieu du classique «Convention biblique». On fait des «posdcasts» au lieu d'une prédication enregistrée. On «stream» au lieu d'écrire et de publier des livres.
Pourtant, le problème le plus important, c'est que les développements socioculturels et technologiques s'enchaînent d'une manière si rapide, qu'on n'arrive plus à suivre le rythme des innovations avec le message fondamental du christianisme. On n'est plus dans le cas des imprimeurs de la Renaissance qui se sont jetés sur la Bible, le seul manuscrit de valeur prêt à être imprimé et à être accepté à grande échelle, car connu du public. Donc, on recycle du contenu destiné aux livres, alors que les nouveaux consommateurs des réseaux sociaux ne pensent ni ne raisonnent plus selon les normes de l'écrit et de la lecture. De plus, ils ne connaissent plus les mots-clés de la spiritualité chrétienne. Prenez par exemple le terme de «Rédemption», de «salut-par-grâce».
Pour renforcer notre présence sur les réseaux, on augmente les «décolletés» de nos prestations pour attirer le chaland. C'est pourquoi, j'utilise aussi des images. C'est à dire, qu'on travaille à fond avec la séduction, musicale, esthétique. Ne me faites pas dire ce que je ne voulais pas dire. Je ne propose pas de revenir au temps où l'on cache le cheveu sous un chapeau évangélique, surtout pour les femmes, mais où la séduction devrait s'associer à des contenus profonds, mobilisateurs comme la puissance des réveils du 19e siècle. Tout est encore à inventer et à concrétiser.
Le plus grand danger qui guette la post-évangélique, c'est de tomber dans l'escarcelle de l'entrepreneur privé, comme la catholique est tombée entre les mains des politiques. Les réseaux sociaux sont une mine d'or pour un entrepreneur privé. C'est devenu un des grands marchés pour faire du business, contrairement à la sphère de l'école et des livres. C'est donc tout naturellement que le privé va offrir ses services payants à l'église, surtout lorsqu'il peut aussi se prévaloir de sa foi chrétienne. Pour approfondir ce thème, veuillez consulter un de nos posts.