Église-mangrove: le futur du christianisme
Parabole de la mangrove
O Une mangrove se compose de deux parties essentielles, celle du haut, visible et celle du bas invisible. Comme la communauté chrétienne qui a sa partie visible: visibilité dans la société, bâtiment, activités cultuelles et socio-culturelles, elle a aussi sa partie invisible. Cette dernière partie est la plus importante tout en faisant partie d'un écosystème qui interagit et se trouve interconnecté.
O Les mangroves qui recouvrent 75% des rivages des régions tropicales ont une grande capacité photo synthétique, ce sont de formidables puits de carbone pour stocker le CO2. Elles atténuent l'énergie des vagues et des vents. Elles ralentissent l'érosion et elles constituent un rempart contre les tsunamis et les tempêtes.
O N'est-ce pas le rêve de toute communauté chrétienne, toute mouvance confondue, que d'être un rempart contre la corruption, les tempêtes socio-culturelles et politiques, voire militaire?
O Ce qu'il faut savoir, c'est que la mangrove se développe du bas (du marais) ves le haut. Alors que traditionnellement, l'église, surtout occidentale, cherchait à avoir une influence du haut vers le bas. L'église s'est souvent liée à des pouvoirs politiques pour imposer sa manière de concevoir et de formater l'existence humaine. Du point de vue spirituel comme aussi social, Calvin a bien interdit, par le truchement du levier politique, de donner le prénom de Joseph et de Marie, à connotation catholique, à son gamin ou sa gamine. Certains présidents de pays ont bien été élus grâce au vote «évangélique».
En Alsace et dans plusieurs cantons suisses, les églises sont subventionnées par l'État. Il ne faut pas se voiler la face, les réformés et les luthériens, à leur début, se sont emparés des bâtiments catholiques ainsi que de l'ensemble des croyants affiliés à cette spiritualité.
Ce fut une imposition plus que le résultat d'une évangélisation. À Genève, les catholiques qui ne voulaient pas adhérer à la Réforme calviniste devaient s'exiler.
Ce n'est que les Réveils du 19ème siècle qui ont remis à l'honneur l'évangélisation du bas vers le haut. Les «évangéliques» ont commencé par se réunir par petits groupes, dans des fermes, des lieux d'habitation. C'est par exemple, la diffusion de l'évangile par les darbystes
ou les pentecôtiste et d'autres mouvances. Aujourd'hui, il faut valoriser les petits groupes pour réévangéliser l'Europe.
O Une belle image de la mangrove, c'est que les palétuviers plongent leurs racines dans un substrat vaseux imbibé d'eau salée, à cause de la proximité de la mer. Au fil de l'évolution, il n'y a que 70 espèces d'arbres, de palétuviers qui ont réussi à s'adapter à cet environnement pas forcément très propice. Nos racines spirituelles plongent dans un substrat spirituel, socio-culturel pas forcément propice. Mais dans ces lieux «maléfiques», du fait du manque d'oxygène (spirituel), l'église se trouve être un endroit exceptionnel de vie grouillante. Dans un monde qui prône le ralentissement, la déconstruction du train de vie pour soulager l'écosystème, l'église a un rôle à jouer. Avec très peu de ressource, elle peut faire des miracles et produire des richesses. Ces fonds vaseux sont d'excellentes nurseries pour les crevettes et les huîtres. Ils alimentent une microfaune d'invertébrés, de vers qui sont essentiels, car ils nourrissent toute une chaîne trophique d'oiseaux et de poissons. Nous ne nous rendons pas compte à quel point nos petites communautés «vaseuses» alimentent spirituellement et socialement un écosystème qui semble être mangé par le Mal. D'où le bras levé de cette femme qui proclame que Dieu à la haute main sur toute la terre, même dans une mangrove.
O Pour conclure, je voudrais attirer l'attention sur le fonctionnement en systémique entre le haut et le bas. Du fait que notre culture devient de plus en plus axée sur le spectacle, la scène, nous serions tentés par le côté «visuel».
On veut montrer que la foi chrétienne sait «chanter» et «communiquer» comme le monde le fait. Comme au Moyen-Âge on a tendance à construire des «cathédrales» cathodiques, numériques pour impressionner nos concitoyens. Cette superstructure visible est aussi très liée à l'argent. On produit des spectacles, des clips musicaux, des livres, des conférences, des voyages à caractères spirituels pour se financer, ce que la partie invisible de la communauté chrétienne produit très difficilement, surtout parce que ces petits riens comme ces terriers de crabes qui jouent un rôle important de l'oxygénation du sol. Le «haut» pompe beaucoup de finances, justement parce que sa philosophie de communication repose sur le faire voir, alors que le «bas» se concentre sur le «faire» dans l'obscurité, dans le sous-main. Il nécessite de la créativité. Il nécessite que de creuser, de limiter, d'oxygéner, de nourrir, d'offrir des espaces de reproduction, comme les nurseries de crevettes. Sans publicité, sans «cathédrales».
À lire: Mangrove, une forêt dans la mer. François Fromard, Ed. Cherche Midi, 2018