Quel devrait être le centre actif de la communauté chrétienne?

5 Mai 2022, 08:00am

Publié par Henri Bacher

Quel devrait être le centre actif de la communauté chrétienne?

Il s'agit de repenser le noyau actif, moteur, du rassemblement de la communauté chrétienne. Est-ce le culte? Les activités d'enseignement? Nous lançons cette réflexion simplement, aussi, parce que la pandémie de la Covid, ne met pas forcément les pendules à l'heure, mais elle provoque une désaffectation de nos rencontres cultuelles. Une certaine fatigue s'est installée. On a pu vérifier, par exemple, que le fait de ne pas prendre la Sainte Cène pendant de long mois, n'affecte en rien notre spiritualité.

La communauté du dimanche matin centrée sur le modèle scolaire

L'activité centrale, c'est le culte du dimanche. Toutes les activités secondaires sont destinées à converger vers celui-ci, à l'alimenter. Quand on fait de l'évangélisation, on va tenter d'amener les gens au culte. C'est peut-être caricatural, mais comme nos églises non-catholiques prennent l'école comme modèle de fonctionnement, nous adoptons le système de la salle de classe, dont le maître d'école en est la tête. Dans un village (en Europe), dans un quartier, il n'y a qu'une seule école comme il n'y a qu'une communauté par confessions. Les chrétiens vont à l'école spirituelle, comme ils allaient à l'école républicaine. La salle de classe était le pivot de toute l'activité scolaire et aussi celui de l'église.

Bien que les situations que je vais décrire aient aussi évolué, il reste une culture scolaire encore bien ancrée dans le monde européen.

O La présence à l'école comme à l'église est rythmée par des plages horaires. Le culte est un temps horaire. Jésus, comme les apôtres ne conditionnaient pas leurs activités selon des horaires préétablis. Bien sûr, ils vivaient dans un autre monde, mais leur manière d'être spirituels était de favoriser la spontanéité des rencontres. Ils sautaient sur les occasions. La structuration temporelle que nous avons connue par le passé, vole en éclats avec le numérique. On peut écouter des chants de louange, sur internet, à minuit. On peut entrer en contact, par smartphone, avec un conseiller à n'importe quelle heure. On peut gommer les distances physiques se relationnant avec des gens qui se trouvent à l'autre côté du monde. On peut trouver une foule d'enseignements bibliques sur le net. Comment notre système de rassemblement ne devrait-il pas en tenir compte?
O Il y a une disposition de la classe comme à l'église orientée vers le pupitre de l'instituteur et vers le tableau. Le modèle du Christ, sur terre, était de casser cette «orientation» puisqu'il a quitté la «yeshiva» juive, la synagogue (du point de vue liturgique). Nous sommes aussi appelés à laisser la «classe» en arrière-plan.
O Pour être chrétien dans cette configuration il faut savoir lire. Or, aujourd'hui, le monde piloté par le numérique nous apprend à fonctionner dans l'oralité électronique qui ne demande plus la maîtrise de la lecture et de l'écrit.
O La priorité est donnée au savoir. Il faut savoir avant de pratiquer. L'expérience émotionnelle et le ressenti de la foi sont comme la crème chantilly sur une tourte.
O Le responsable spirituel se doit d'avoir un diplôme délivré par une école.
O Pour caricaturer, je dirais que le système scolaire est monté dans la chaire au lieu de rester à son service.

La communauté du dimanche matin centrée sur le modèle «entertainment»

O Le modèle «entertainment» englobe de nombreuses disciplines, supports et techniques. De base, il utilise le «carburant» du plaisir. Le côté ludique a une grande importance, contrairement à l'école qui fait de moins en moins plaisir au plus grand nombre. Je vous rappelle que la pensée intellectuelle, sobre, froide, rationnelle n'est pas supérieure à la pensée pilotée par l'émotion. Car figurez-vous que l'homme ou la femme émotionnels «pensent» également, même si c'est avec leurs tripes. Le corps médical n'a-t-il pas mis en évidence que les tripes étaient notre deuxième cerveau?
O Ce modèle se retrouve dans les activités de scène (musique, projection de vidéo, danse, chorégraphie de drapeaux, théâtre, standup, prédication, mise en scène), dans les jeux, mais aussi dans les arts (peinture, sculpture, dessin). On pourrait aussi y ajouter l'art culinaire, les boissons.
O On se rend bien compte que ce modèle s'impose de plus en plus et comme vous avez constaté sur le graphique ci-dessus, l'étude biblique, par exemple, se change en animations. Alors que dans le passé l'orgue était généralement dans le fond de l'église, face à la chaire et à l'autel, aujourd'hui les musiciens sont au même niveau que le prédicateur et en face du public. Ils ont adopté, sans se rendre compte, la posture en scène du chanteur ou des musiciens du monde du showbiz. Le prédicateur imite le «standupper». C'est un showman et ce n'est plus un maître d'école.
O Nous ne sommes qu'au début de ce bouleversement socio-culturel et comme les leviers technologiques du numérique sont plus puissants que ceux de l'imprimerie, nous allons être rapidement mangés par «l'entertainment» et nous allons paramétrer nos activités d'églises en fonction de ces nouveaux critères.
O Comme pour l'école, je dirais que «l'entertainment» est monté dans la chaire au lieu de rester à son service.

Faut-il absolument coller à l'environnement socio-culturel pour faire croître l'église?

C'est bien la question importante. Je suis le premier à le promouvoir, mais peu à peu en explorant l'influence du monde de l'école ou de «l'entertainment», je me rends compte qu'on construit des «édifices» religieux, qui privilégient l'architecture spirituelle, théologique, dogmatique, liturgique, inspirée de son environnement socio-culturel, au détriment du vrai noyau de la communauté chrétienne.

Un modèle alternatif

Le vrai noyau d'une communauté, ce n'est pas l'adaptation culturelle, mais la gestion et la transposition de l'amour du Dieu et du prochain dans le quotidien des gens que nous voulons atteindre. Nous devons apprendre à déconstruire la carapace (le refuge douillet, comme sur l'image ci-dessus), la structure architecturale, la liturgie, au profit de l'amour. Comme dans la relation amoureuse dans le couple. Ce n'est pas parce qu'on partage journellement les repas, qu'on couche ensemble dans le même lit, qu'on regarde ensemble la télé et qu'on consulte les mêmes réseaux sociaux qu'on s'aime. C'est tout un art d'aimer, d'aider son conjoint par amour.

Jésus lui répondit: «Tu dois aimer le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence. C'est là le commandement le plus grand et le plus important. Et voici le second commandement, qui est d'une importance semblable: Tu dois aimer ton prochain comme toi-même.” Toute la loi de Moïse et tout l'enseignement des prophètes dépendent de ces deux commandements.» Matthieu 22:37-40

O Nous avons trop pris l'habitude de parler, d'écrire, de discourir, de montrer des photos, des clips vidéos, des objets artistiques de l'amour. Dieu nous demande de pratiquer l'amour pas d'en faire une photo, un texte, une vidéo, un morceau de musique. Par exemple aimer Dieu, c'est faire sa volonté, faire du bien à son prochain, le secourir, l'aider. Aimer Dieu ce n'est pas forcément lui offrir un concert de louanges. Ce qui lui fera le plus plaisir, c'est lorsque nous mettons en pratique ce que préconise la Bible.
O Toute activité périphérique doit se concentrer sur la manière de pratiquer ces commandements. Dans un culte, il sera peut-être plus important de s'occuper d'un malheureux pour prier avec lui et pour lui au lieu de le contraindre à d'abord suivre le déroulé liturgique du culte.
O Le culte du dimanche est essentiellement paramétré pour célébrer en groupe. Ce qui n'est pas faux, mais pourrait-on restreindre ce temps communautaire, en ménageant des espaces d'échanges entre les participants autour d'une boisson, pour parler de ses chagrins, de ses espoirs, pour chercher un conseil, une prière de guérison, raconter ses expériences spirituelles pour encourager d'autres. Ce temps a besoin de structuration spatiale et temporelle, mais ce qui sera essentiel, c'est le côté informel. Les gens peuvent partir et venir selon leurs disponibilités et leurs besoins. Le Christ était champion de ce type de pratique sociétale.
O Plus largement, c'est peut-être ne pas aller au culte un dimanche matin, parce qu'un voisin de palier a besoin d'un coup de main urgent.
O Le plus grand problème, c'est qu'on pense que la fréquentation d'un culte est essentielle pour la vie spirituelle. Ce qui est essentiel c'est les pratiques spirituelles qui se vivent dans chacune des activités périphériques et qui encouragent à aimer Dieu et son prochain et surtout à apprendre à le faire. Ces lieux périphériques doivent être des endroits où l'on apprend, où on découvre des modèles qu'on peut suivre. L'idée c'est de transmettre une pratique et non pas seulement un savoir.
O Avec internet, tout le côté enseignement, catéchétique, louanges peut se sous-traiter. Le pasteur devient un sélectionneur de contenu dont il mettra les liens à disposition. Ce qui dégagera du temps pour ce qui ne se trouve pas sur internet: le «care», le prendre soin individuellement de la personne. Le Christ a fait surtout du sur-mesure. Il n'a pas multiplié les grands rassemblements. Il n'a pas «panifier» industriellement, médiatiquement sa parole. Plus nous visons le grand nombre, plus nous nous acheminons vers une pratique religieuse de la foi.

Conclusion

Nous ne sommes pas appelés à couper du bois, pour en faire des constructions pour abriter la communauté, spirituellement parlant, mais à planter des arbres, à en prendre soin, pour qu'ils donnent des fruits pour l'éternité. Il n'y a pas de modèle uniforme et universel. Ce qui conviendra à une église ne fonctionnera pas dans une autre. Nous devons apprendre la souplesse et savoir gérer l'imprévu.

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