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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Monoculture et «théodiversité» spirituelle dans l'église

15 Juillet 2021, 08:00am

Publié par Henri Bacher

En aucune manière, nous ne prônons un syncrétisme religieux, mais il faut admettre que nous avons très souvent produit une monoculture théologique qui a détruit bien des «théotopes» (le pendant du biotope en écologie). Comment redéployer une nouvelle compréhension de la spiritualité?

Monoculture et «théodiversité» spirituelle dans l'église

Diversité de pensée, est-ce que ça suffit?
Nos théologiens ont beaucoup travaillé pour diversifier leurs approches en multipliant leurs analyses, leurs réflexions. En cela, ils étaient aussi fortement influencés par leur culture académique liée à l'écrit, sans se rendre compte à quel point ils se sont laissés aussi enfermer dans cette culture. Toutes cultures, quelles qu'elles soient, surtout celles portées par des leviers technologiques comme l'imprimerie ou aujourd'hui le numérique semblent toujours, au début, apporter un renouveau intéressant. C'était le cas, à la Renaissance pour les débuts de la nouvelle culture liée à l'écrit. Elle a mis beaucoup de temps pour se déployer complètement, surtout grâce à la généralisation des écoles dans le monde occidental. Comme toute culture, elle arrive en bout de course. C'est le lot de n'importe quelle culture. Aujourd'hui, il y a une accélération extraordinaire, grâce au numérique et cette culture des réseaux sociaux, qui est en train d'émerger, ne mettra pas autant de temps, que précédemment, pour se déployer. Les réseaux sociaux permettent à des anonymes de devenir des stars du net, sans diplômes, sans formation spécifique. Il suffit juste d'avoir du talent, souvent aussi un physique accrocheur, comme pour les «reels» d'Instagram. Nos ados ne lisent plus, mais peuvent passer de longues heures, sur ces réseaux, surtout en arrière-plan, comme moi qui écrit souvent mes articles avec de la musique dans les oreilles. Cette nouvelle génération, dont je ne fais pas partie, même si elle m'influence, trouve ça génial. De plus en plus, la lecture s'élimine au profit des images et de l'audio comme les podcasts et autres audio-spaces. En même temps, on se rend compte à quel point cette nouvelle culture est réductrice. Quelle horreur on ne lit plus! Est-ce qu'on ne pourrait pas appliquer ce même type de réflexion et de jugement aux tenants des producteurs de livres? Quelle horreur, ils avaient complètement éliminé l'émotion. Ils décrivent l'émotion dans leurs textes, mais ils ne nous apprennent pas à la vivre corporellement, intellectuellement. Simplement parce que la culture de l'écrit ne le permet pas. Elle n'est justement, comme n'importe culture, pas capable de prendre en compte l'ensemble des expressions humaines. C'est Dieu qui le fait, pas les hommes. Nos théologiens se comportent comme si l'analyse issue de la culture de l'écrit, avait réponse à tout. Est-ce qu'ils n'engendrent pas une monoculture, relayée par des académies, des facultés de théologie, à l'instar de nos agriculteurs qui éliminent les bosquets, les haies abritant toute une biodiversité utile à l'équilibre d'une société?

Nouvelles sources de conflits dans nos communautés
Chaque mois, l'un des articles de notre blog qui est systématiquement consulté, c'est celui sur le thème des conflits dans une communauté. Pour caricaturer on pourrait dire qu'il y a, aujourd'hui, conflits entre les pasteurs, les croyants «monoculturés» et les défenseurs d'un «théotope» qu'ils estiment essentiel pour la préservation du christianisme. Un certain nombre de pasteurs se font débarquer de leur 
communautés parce qu'on les traite de défenseurs de l'ancienne manière de «cultiver» la terre spirituelle ou vice versa, de vouloir ouvrir leur communauté à d'autre styles de culte, etc... Les nouveaux croyants, eux, se débarquent tout seuls. Ils vont rejoindre des communautés plus proches de leurs convictions de préservation de la spiritualité chrétienne. 

Définition d'un «théotope»
C'est un espace lié à la vie et à la pratique spirituelle chrétienne. Il abrite de la théologie, de l'ecclésiologie, des pratiques religieuses, des activités communautaires, etc... C'est un ensemble interactif au même titre que le biotope. Il n'y a aucune standardisation des formes de vie, d'expression, bien que l'univers d'un biotope est tout sauf un foutoir, comme on a l'impression lorsqu'on regarde un marécage. Il grouille de vie, mais le tout s'interconnecte d'une manière harmonieuse. La fin du Moyen-Âge, du temps des Réformateurs, pourrait se qualifier, avec raison de marécage spirituel où l'on ne pouvait pas construire de «tour d'observation». Il fallait d'abord assécher le marais, mais on a continué dans cette logique, comme nos agriculteurs ont asséché de grands espaces pour en faire des monocultures. Et aujourd'hui on se rend compte que de grands déséquilibres se sont installés. Nos théologiens académiques ont certes conquis de grands espaces intellectuels, mais ils ont aussi détruit des haies et des bosquets spirituels. Le théologien me rétorquera que le «théotope» se trouve dans le monde de la pensée. Il y a foisonnement de pensées, de réflexions, d'analyses. Hélas, le problème, c'est qu'il y a beaucoup d'aspects de la vie qui ne peuvent pas se «penser». Prenons la question du Saint Esprit. Peut-on réellement définir à partir d'un texte biblique qui est le Saint Esprit, comment il opère parmi les hommes? Saint Augustin disait: notre connaissance est partielle, jusqu'à ce que vienne l'achèvement. On peut améliorer notre connaissance en prenant en compte la vie et les interconnexions de celle-ci. Les émotions spirituelles sont quelque chose qu'on ne peut pas «penser» à la manière académique. Par exemple, lorsque j'ai une image inspirée par le Saint Esprit pour quelqu'un, je ne pourrais pas vous expliquer comment je l'ai reçue. Je ne pourrais même pas dire si elle vient réellement du Saint Esprit. Par contre, je peux vérifier si l'image ne contredit pas la Bible et puis le deuxième contrôle, c'est la personne qui reçoit l'image et qui l'authentifie parce qu'elle lui parle. Alors je pourrais dire que peut-être le Saint Esprit m'a dit de transmettre une image. C'est bien plus complexe à gérer que d'asséner un texte biblique préformaté théologiquement parlant. C'est pourquoi, je comprends parfaitement l'intérêt «d'assécher» le marais.

Les risques des nouveaux «théotopes»
Pour créer un «théotope», il faut s'inspirer de ce que font les écologistes. Un biotope ne se crée pas en quelques semaines. Il y a des processus à respecter, comme par exemple pour la permaculture. Ça prend beaucoup de temps. Le risque c'est de créer des dépotoirs spirituels parce qu'on y verse n'importe quoi, surtout dans le domaine émotionnel. Il faudrait que nos écoles de théologie forment des «théotopiens»! Ce n'est pas seulement devenir implanteur d'église. Sous-entendu cloner un espace monoculturé dans dans une zone vierge de toute communauté chrétienne. 

Quelques principes de base pour créer un «théotope»

1. Interconnecter Bible et Création.
Ce n'est pas pour rien que l'apôtre Paul qualifie la Création comme deuxième livre de Révélation (Romains 1:20-21).
La Bible (la bouée) nous indique l'entrée du port, mais cette bouée est lestée par la Création. Cette interconnexion nous permet de sortir de cet enfermement opéré par la culture de l'écrit et de s'ouvrir à d'autres manières de comprendre Dieu et sa manière de gérer le monde. Nous appelons ce processus de «théomimétisme». Nos concitoyens sont de plus en plus sensibles à l'écologie, pourquoi ne pas utiliser cette «sensibilité» pour en faire un support de diffusion de la foi chrétienne. Je ne suis pas en train de dire qu'il faut devenir militant écologiste, mais il s'agit de penser comme un écologiste convaincu: nous devons sauver le monde de sa perdition spirituelle qui ressemble comme deux gouttes d'eau au désastre écologique.

Monoculture et «théodiversité» spirituelle dans l'église

2. Le repas, vecteur très important du «théotope»
Le besoin de se nourrir, donc aussi de manger ensemble, fait partie d'un principe essentiel de la Création. D'ailleurs, il est repris avec la Sainte Cène. En s'inspirant de la Création on pourrait donc dire qu'un des principes fondamentaux, c'est de manger ensemble. Lorsque Jésus se montre à certains disciples, après la résurrection, il prépare un repas sur la plage. Nous, évangéliques, on aurait d'abord ouvert la Bible (Jean 21:12).

3. Favoriser l'expression des dons spirituels de 1 Corinthiens 12
Je ne suis pas en train de dire qu'il faut devenir pentecôtiste dans sa théologie. C'est juste utiliser les «technologies» spirituelles qui opèrent d'une façon efficace aujourd'hui, dans un monde qui comprend mieux l'émotion que le raisonnement logique. Si vous mettez la pratique des dons spirituels dans un tiroir, nous sommes infidèles à une partie de la Bible. Je vous l'accorde, ce n'est pas facile à gérer en communauté, mais ce n'est pas une raison valable pour les marginaliser.

4. Chercher d'abord les personnes talentueuses pour les former non pas à devenir des «instituteurs» spirituels, mais des disciples qui deviennent des modèles.

5. Ne pas être suspicieux et trop précautionneux 
Combien de fois n'a-t-on pas négligé de mettre en avant une nouvelle manière de penser et de faire, sous prétexte qu'on ne comprenait pas comment ça fonctionne. 

6. Favoriser la créativité
Quitte à ce que ça parte dans tous les sens. Regardez un biotope écologique à quel point c'est imbriqué, «désordonné». Le rôle des responsables d'une communauté, c'est de créer des interactions qui aient du sens et qui produisent de la vie. Attention à ne pas forcément lier vie et intellect ou attitude raisonnable, mais favoriser la vie qui génère respect, amour et compassion.

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