Pour l’église, quelle est «l’image» que nous renvoyons au public occidental?
Aujourd’hui, nous vivons dans un monde d’images et les entreprises, les institutions politiques, ainsi que d’autres acteurs de la vie publique dépensent des fortunes pour peaufiner leur image. Les entreprises surveillent le web ou d’autres médias pour détecter la moindre atteinte à leur image. Ils ne tardent pas à réagir dès qu’ils estiment qu’on nuit à leur prestige. Or, aujourd’hui, l’église, en Europe, c’est comme une entreprise dont l’image a été sévèrement écornée. Un des freins à l’évangélisation, c’est que nous ne sommes plus dans un terrain vierge. Nous traînons derrière nous des tas de casseroles et nous croyons que notre témoignage pourra surmonter toutes ces incompréhensions.
Notre image a pris un sérieux coup
Pour comprendre cet effet d’image, je vous propose de jeter un coup d’œil sur le dalaï-lama. De lui, on n’a qu’une «image» clean, sans bavures. Lorsqu’il vient en Europe, il est comme une vierge immaculée. On ne lui connaît pas de scandale sexuel. Il n’a pas l’image d’un religieux corrompu. De plus, de par son combat politique en faveur de la libération du Tibet, il s’est taillé l’image d’un homme courageux et intègre, le sauveur de tout un peuple.
Ce qui est dramatique pour nous chrétiens évangéliques, c’est que nous avons fait de grands efforts pour apparaître et être accepté comme église dans l’espace public. Nous avons construit des bâtiments avec pignon sur rue et nous nous positionnons volontiers à côté de l’église catholique et protestante, fiers de pouvoir enfin jouer dans la cour des grands. Et du même coup, nous nous sommes mis dans le même paquet. Comprenez bien que je ne me place pas dans le camp de ces évangéliques du passé qui honnissaient les églises officielles. Je constate simplement que notre image en a pris un sérieux coup.
Il est très difficile de lutter contre une représentation visuelle, d’autant plus que les gens, en général, sont surinformés.
Se fabriquer une image
L’apôtre Paul est arrivé dans un terrain vierge, comme le dalaï-lama en Europe. Ils pouvaient demander que l’on soit un peu «conquérant» en évangélisant, car il était le premier de la chaîne et ce n’est pas à lui qu’on aurait pu faire des reproches de conquistador. Jésus était un peu dans notre situation. S’il s’était présenté comme un super pharisien, comme nous on se présente parfois comme des super-chrétiens par rapport aux églises officielles ou à d’autres religions, il aurait fait long feu, car ses concitoyens n’avaient pas les pharisiens en haute estime. Ce n’est pas pour rien que Jésus pouvait se permettre de les rudoyer, il avait le public de son côté. Jésus a pris le large, au sens figuré, comme au sens propre pour éviter de se faire cataloguer ou de se faire assimiler comme un rénovateur du parti des pharisiens ou des sadducéens. Il n'était pas non plus prêtre ou prophète. En fait, il s’est donné beaucoup de peine pour casser son image religieuse. Il fréquentait le monde des prostituées, des buveurs de tous bords. On le lui a d’ailleurs reproché. Il s’est entouré de non-professionnels pour répandre la bonne parole. Des sans-grades, théologiquement parlant, donc impossible à situer sur l’échiquier religieux de l’époque !
Se fabriquer une image semble très négatif et nous fait peut-être penser à certains hommes politiques très «bling bling». Ce dont je parle, c’est simplement d’identité visuelle qui renvoie immédiatement à des histoires, des comportements. Un logo d’entreprise reflète l’univers de celle-ci. Une image est une sorte de vêtement qui révèle la personnalité d’une entreprise ou d’une institution. Il suffit de montrer l’image des Messieurs Hanouna ou Zemmour, pour connaître l’univers qu’ils représentent.
Bien sûr, des milliers de chrétiens ont une «image» personnelle qui correspond à leur vie. Il y a peu de distorsions entre ce qu’ils disent ou montrent et ce qu’ils sont, mais ça ne suffit plus pour faire basculer l’image officielle négative des églises. Surtout qu’elle partage bien des combats avec des groupes de pressions non-religieux qui défendent les mêmes causes: identités sexuelles, défense des migrants, écologie, pauvreté, etc… En quoi, l’église a-t-elle un message plus original pour le grand public?
Disparaître dans l’espace public
Pour percuter à nouveau, l’église devrait «disparaître» visuellement de l’espace public. Elle devrait laisser tomber ses attributs officiels, ses logos, ses «images» symboles, ses croix. En cela, je m’inspire aussi du passage de la société catholique à la Réforme. Calvin a balayé toute l’imagerie du monde catholique, les processions, etc… Se dépouiller «visuellement» pour brouiller les cartes. L'église devrait se couler dans la société pour se rendre invisible en tant que corps social, tout en devenant offensive sur le plan de la concordance entre ce qu’elle dit et ce qu’elle vit. J’aime utiliser le terme de «liquide», une «église-liquide». Notre «église-liquide» est dans un bocal. Il faut briser ce bocal, pour laisser couler l’eau sur le chemin, dans les ronces, dans les cailloux, dans la bonne terre. Et pour moi, ce bocal est avant tout fait de bâtiments, de logos, de symboles, de journaux, de médias et de partis chrétiens, etc. Je vous attends au tournant et je vous vois déjà venir avec vos objections! Avec raison! C’est vrai que ma vision est très utopique. Pourtant, il y a certaines mesures à mettre en œuvre dans ce sens-là. On ne peut pas comme ça éliminer des bâtiments, des enseignes, faire disparaître des logos. Ils servent aussi de repères pour les chrétiens. C’est dans ce que nous allons mettre en route maintenant, qu’il faut changer notre fusil d’épaule. Il faut créer ou utiliser des lieux de rencontres entre chrétiens et non-chrétiens qui soient neutres. Les appartements, par exemple, sont des lieux idéaux pour «disparaître». Également les bistrots, les salles de spectacles. A l’heure ou des églises cherchent des lieux de culte, c’est à prendre en compte. Une des grandes fédérations d'églises de Suisse romande s'est constituée à l'origine, avec des fermiers qui ont créé des communautés dans leurs locaux. L'église a disparu dans la ferme!
Regardez le nom des sites Web chrétiens. La plupart sont très typés et le surfeur passe outre dès qu’il voit une «image» ou un titre chrétien, sans même se donner la peine d’aller plus loin. Le langage religieux codé que l’on utilise dans nos écrits est une autre «image» handicapante. Il faudrait de moins en moins créer des sites web chrétiens et aller sur les plateformes existantes. Il vaut mieux «disparaître» sur Youtube, Twitter ou Facebook que de lancer son propre service. Comprenez-moi, je ne conteste pas ceux qui le font. Les voies de Dieu sont multiples. Je parle de tendances à développer.