Faut-il réaménager nos lieux de culte pour les rendre plus attractifs?
C'est probablement une des questions importantes qui se pose actuellement dans nos communautés après celui de l'évangélisation ou plutôt avec celle-ci.
Investigation des possibilités
Avant toute réponse, regardons les possibilités d'expansion de la communauté dans l'espace où elle se trouve, surtout en Europe. Et là, il faut être lucide. La demande pour une spiritualité chrétienne est en perte de vitesse considérable. On pourrait parler de «récession», comme en économie. Nous nous retrouvons dans un pays de mission et nous devrions réfléchir, non à partir des bâtiments à construire ou à rénover, mais sur l'impact que nous voulons avoir sur nos concitoyens qui ne sont même plus catéchisés.
Un peu comme une entreprise qui veut se développer. Il faut d'abord se poser la question du «produit» qu'on veut «vendre». Est-ce qu'il correspond à une demande du public cible ou bien est-ce que nous pensons que ce que nous voulons transmettre est chaussure à son pied, même s'il n'éprouve pas le besoin de l'acquérir? Selon la réponse qu'on donne, il faudra prendre des décisions en conséquence.
O En partant de la première possibilité, une demande du public, il faudra d'abord définir ce qu'il recherche. Est-ce qu'il est plutôt intéressé par des expériences de groupes, communautaires, conviviales? Par l'aspect musical ou plutôt sportif? Comme par exemple une personne qui essaye de lancer une mini-communauté chrétienne à partir d'un club de motos ou d'autres qui lancent une communauté autour de la grimpe. Ou d'autres encore, comme nous, qui essayons de créer une communauté de palier dans un immeuble. Ces groupes n'ont pas besoin d'une salle de culte rénovée. Les premières églises chrétiennes, dans le monde romain, n'ont pas copié la synagogue, ni les temples païens, elles se sont «coulées» dans le tissu socio-culturel.
O C'est avec la deuxième possibilité qu'on a le plus de problèmes. Celle où l'on sait ce que notre interlocuteur doit savoir. On va lui annoncer la Bonne Nouvelle, qu'il vente, qu'il pleuve, où qu'il se trouve, sans tenir compte de son contexte de vie et de pensée. Un peu comme les premiers missionnaires, dans l'hémisphère sud, qui ont plutôt eu tendance à «coloniser» les cultures, les systèmes religieux pour imposer le leur.
On a cette ancienne structure d'évangélisation dans la tête du temps où l'église se trouvait encore au milieu du village. Le monde, d'il y a à peine deux générations, avait encore, ne serait-ce que le vocabulaire chrétien en tête. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Si vous voulez rénover ou actualiser un bâtiment qui se trouve effectivement au milieu du village, vous n'aurez que peu de possibilités à moins qu'une boulangerie et un débit de tabac s'y trouvent accolés. Mais dans ce cas, il faudra organiser les heures de rencontres en fonction de l'affluence dans les commerces et mettre un cendrier à l'entrée, à la place du bénitier.
O Le centre du «village» se trouve être, aujourd'hui, en plein dans les centres commerciaux d'envergure qui ne font plus seulement de la vente de produits, mais offrent aussi des activités de loisirs et de détente. L'histoire de l'église MLK de Créteil est encore différente. Eux, avec l'aide d'une fondation, ont carrément influencé la création d'un espace multiculturel soutenu par la municipalité, où se retrouvent d'autres communautés et activités non-chrétiennes, ainsi que du sport. Autre indice intéressant: cette église n'est pas propriétaire de son lieu de culte, mais loue les infrastructures du complexe. Le monde socio-culturel et politique est dans de tel chambardements, que prévoir des dépenses en construction qui vont oblitérer une communauté pendant plusieurs décennies, nous paraît irréaliste. Créez de nouveaux types de rencontres à côté et dans des lieux différents que l'implantation d'origine.
Une autre communauté phare en France est celle de la Porte Ouverte chrétienne à Mulhouse. Leur histoire se construit sur un autre modèle. Elle a commencé dans une cuisine pour terminer dans un complexe architectural qui leur appartient. Ce concept d'église a été inspiré par Jean et Suzanne Peterschmitt, grossistes en bonbons. C'est eux, tout au long de leur vie qui ont façonné cette communauté qui rayonne dans un large périmètre géographique par leurs activités cultuelles et dans le domaine numérique bien au-delà de Mulhouse. C'est le modèle «Steve Jobs»: un homme, une vision, un talent d'entrepreneur, un nouveau produit qui correspond aux aspirations d'un grand nombre de personnes. Jobs n'a pas relooké un ancien produit appelé téléphone, mais il a créé un univers socio-culturel autour du smartphone, comme Peterschmitt, qui a développé sa communauté comme un entrepreneur visionnaire, entré de plein pied dans le mouvement charismatique. Ce modèle est basé sur la personnalité d'un homme talentueux. Dans ce système d'église, les dirigeants suivants devront aussi être des gens talentueux. Il ne pourra pas continuer avec des «instituteurs» qui ont été formés à répéter le message correctement. Leur ADN c'est le leadership talentueux.
En fait ces deux types de communauté ont créé leur propre centre «villageois», mais ces modèles sont très difficiles à reproduire.
Un autre modèle de développement d'églises, complètement différent, est celui du Réseau CEPEE (Jura-Bresse-Mâconnais). C'est un autre pasteur visionnaire, Florian Rochat et son épouse qui coordonnent un réseau de communautés sur un large espace géographique. Ce n'est pas une fédération d'églises à proprement parler, mais la confluence d'intérêts communautaires pour évangéliser une région.
Ce que nous enseigne ces trois modèles (il y en a encore d'autres)
O Ne pas penser à rejoindre nos concitoyens en partant d'un bâtiment existant depuis plusieurs décennies ou même siècles, même rénové. Ils ne sont plus conçu pour abriter une activité cultuelle qui nécessite une scène, des aménagements d'éclairage et de sonorisations dignes d'une salle de spectacle, même d'une centaine de places.
O La plupart du temps, lorsque dans le passé on a lancé la communauté, on s'est peu préoccupé de l'emplacement géographique (parking proche, lieu de passage usuel des gens, accès près d'une gare, etc...). Ces endroits étaient aussi chers, donc on se rabattait vers des lieux souvent mal situés. En tablant plutôt sur l'attractivité de la communauté et de son message.
O Le monde culturel et par ricochet les églises fonctionnent à partir de la starification. Ce n'est plus le message qui est central, mais la star, le musicien, l'orateur charismatique, le talent, la personne dont on parle sur les réseaux sociaux. L'église catholique, avait un autre type de «star» qui attirait le chaland: des reliques, des lieux de pèlerinage. Comme la plupart des communautés évangéliques et réformées sont en fait des écoles, des yeshivas, on ne se déplace plus ou peu vers ces lieux austères qui demandent beaucoup de retenue et de concentration.
Y a-t-il des solutions?
O Louez des salles adéquates. C'est le cas de Hillsong Genève. Ils occupent carrément un théâtre, avec l'avantage que les gens ne sont pas invités dans un bâtiment ecclésiastique, mais dans un espace qui a une autre connotation et qui fonctionne encore comme théâtre culturel. La location permet de tester l'impact de la communauté, l'adéquation géographique et surtout de casser l'image religieuse du lieu de culte.
O Partez à partir de la composition de votre encadrement (pasteur, collège des responsables, intervenants au culte, musiciens, etc...). Quelle est votre personnalité communautaire? Vous voulez copier Hillsong? Il vous faudra d'abord former des musiciens, des «théâtreux» qui parlent en public sans lire un discours. Si vous avez plutôt le profil «yeshiva» cherchez des locaux qui se prêtent mieux à un enseignement. Il y a toujours une demande pour ce genre d'activités, même si elle se raréfie. Vous avez plutôt une fibre sociale, n'allez pas vous planter dans un quartier résidentiel, même si on vous offre gratuitement le local.
Solutions d'avenir
Je reprendrais l'exemple d'une expérience de la fin du Moyen-Âge, au 14ème siècle, qui fonctionnait sous le nom de Devotio Moderna au Pays-Bas à Deventer, dans le cadre de l'église catholique, donc avant la Réforme protestante. Ce mouvement, au départ a créé une quarantaine de «maisons» qui invitaient les laïcs à entretenir un rapport personnel avec Dieu. Il s'est étendu jusqu'en Suisse. Ces «Frères et Sœurs» qui avaient une vie communautaire, délaissaient les processions, les pèlerinages, les offices au profit du vrai recueillement. Ils ne vivaient pas de mendicité, comme d'autres mouvements monastiques de l'époque, mais travaillaient pour subvenir à leur propre besoin. L'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ (Thomas A Kempis), le livre le plus lu, en Occident jusqu'au 20ème siècle, après la Bible, était un enfant de la Devotio moderna, ainsi qu'un certain Erasme de Rotterdam, influenceur de Luther, qui a fait une partie de ses études à Deventer avec un membre de ces «Frères et Sœurs» de la Devotio moderna. Comme quoi ce n'est pas le petit nombre (40 maisons) qui empêche un développement spirituel conséquent.
Conclusion
Pour réévangéliser l'Europe, il faudra passer par le petit nombre, les petites «maisons devotio moderna» qui ne s'organisent pas forcément dans un cadre de vie commune, mais peut-être de communauté de palier, des «Fraterpoly». Ça ne demande que peu d'investissements et pas de lieux de culte, un appartement suffit. C'est flexible, peut s'ouvrir et se fermer rapidement. Un outil peut-être intéressant dans un temps de persécution. Il faut aussi un sas d'acclimatation pour les pas-encore-chrétiens, avant de passer dans un ensemble plus grand. J'ai un peu peur que des personnes sans contact avec le christianisme, lorsqu'elles entrent dans un culte de 1000 participants vont développer une foi par immersion, comme au Moyen-Âge, alors qu'elles n'ont pas appris préalablement la simple vie du chrétien: prier, lire la Bible, pratiquer sa foi journellement.
Cinq modules pour un mini-catéchisme pour des pas-encore-chrétiens