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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Une église liquide

10 Novembre 2022, 09:00am

Publié par Henri Bacher


Pour moi, l’eau est le meilleur symbole à utiliser pour parler de ce que l’église devrait être aujourd’hui. Mais peut-être plus que l’eau, c’est la notion de liquide qui m’intéresse. Un liquide est appelé à prendre la forme du récipient qu’on lui propose, sans pour autant perdre sa qualité première. N’est-ce pas un peu l’illustration de ce texte de Paul qui disait que le chrétien était dans le monde (il épousait le récipient) sans pour autant être du monde (sans perdre sa spécificité de chrétien). L’église est comme un liquide donné pour que le monde s’abreuve, se réhydrate, s’arrose. Le liquide devrait aller vers la plante et non l’inverse. 

Le marécage
Jusqu’à la fin du Moyen-Âge l’église est devenue tellement puissante en Europe, politiquement et religieusement parlant, qu’elle a investi toute la vie : religieuse, économique, culturelle, sociale. Au fond, elle a tellement bien accompli sa mission d'être liquide qu'elle a transformé l'espace public et privé en marécage. 
Celui-ci est un biotope extraordinaire, mais je pense que la vision du Royaume de Dieu ne colle pas tout à fait avec celle d’un «marécage». On ne peut pas y construire des bâtiments solides, ce sont aussi des nids à moustiques. Toute culture a ses avantages et ses inconvénients.

La Tour du Savoir
Lorsque les Réformés sont arrivés, au 16ème siècle, ils ont drainé, asséché le marécage à 
tout va avec une ardeur incomparable pour redonner à l’eau sa vraie dimension, celle d’être nourricière, celle d’abreuver, celle d’être là sans être là. Tout en gardant la notion du territoire (la paroisse), ils l'ont déconnecté du système pyramidale dirigé par le pape et son administration sacerdotale (cardinal, évêque, prêtre). Ils ont aplati la hiérarchie et ont tout fait pour créer des espaces de liberté (du solide) face à la religion ambiante et envahissante. Ils ont bétonné leur territoire et les mennonites de Zürich, avec Zwingli, l'ont bien compris à leurs dépens.

La raison, le raisonnable, l'analyse, la systématique, l'idéal étaient les moteurs ou les moyens de cet assainissement, mais comme auparavant pour la constitution du «marécage», les élites ont poussé leur logique trop loin. De bénéfique au départ, le drainage à outrance a provoqué l’assèchement complet. Dans le courant théologique des réformateurs, on n'a rien gardé du biotope du marécage. À la place, on a construit une tour, solide, dont les élites se trouvaient au sommet. Le pasteur était formé dans le haut de la tour. J'ai l'impression que la hiérarchie catholique a été remplacée par la Tour. Le monde réformé est devenu gris, intellectuel, scolaire. Ce qui a produit de belles choses, puisque le marécage est arrivé au bout de ses possibilités. Le gens étaient contents d'être sur la terre ferme.

Dessin de Ma'

Dessin de Ma'

Le bocal
Au XIXème siècle, une poignée de chrétiens, surtout en Angleterre et par la suite dans d’autres pays européens comme la Suisse, ont pris conscience que la «Tour», elle aussi, arrivait au bout de ses possibilités de transformation. Ces mouvements piétistes et réveillés ont passé par de profonds réveils spirituels et l’histoire de l’eau a repris une nouvelle dimension. Les évangéliques issus de ces bouleversements ont pris la question de l’eau sous un autre angle. Leur désir fondamental, c’était de garder l’eau pure. Sous-entendu, non-polluée par la «Tour». C’était en fait des écologistes spirituels. Ils ont érigé des doctrines, des pratiques, des règles pour ne pas souiller l’église. Ils ont remis le Christ et la croix au centre de leur message. Le principe de base était la séparation avec le monde. De grands mouvements de sanctification (de purification) ont façonné la vie de l’église. Tout naturellement, pour garder cette eau, on l’a mise dans un bocal avec un couvercle. Elle se garde mieux «propre». La preuve? Par exemple, pour la St Cène il fallait montrer patte blanche. Des mouvements comme celui des darbystes ont poussé la notion de pureté, jusqu’à trier sur le volet ceux qui pouvaient communier et ceux qui en étaient exclus, lettre de recommandation à l’appui pour ceux qui visitaient une communauté, du même courant, mais dont ils ne faisaient pas partie. Les gens venaient à l’église au lieu que l’église vienne à eux. Toute la stratégie d’évangélisation des évangéliques consiste à remplir le bocal ou plutôt à faire prendre aux gens un bain dans le bocal. Ce qu’ils appellent «conversion». C’est donc, avant tout une évangélisation sélective. Cette approche de la réalité spirituelle a entraîné la «bocalisation» de l’église, chacun y allant de son degré de pureté. Encore aujourd'hui le courant de la Gospel Coalition veut se garder de l'impureté des charismatiques et autres «liquéfieurs». Ces bocaux se sont donc multipliés à l’infini et le grand public se retrouve avec des «étagères» remplies de bocaux dont ils ne connaissent ni les ingrédients, ni les effets, à moins de les tester. De plus, ces bocaux ne se sont pas remplis de liquide, mais comme à l'image, de nids douillets, où l'on se sent en sécurité, couvé par un dieu bienfaiteur et protecteur.

Une église liquide

Et aujourd’hui?
Il reste toujours encore un peu d'eau dans le bocal. Je ne parle pas du Saint-Esprit, mais de la notion de faire «église», selon l'envoi du Christ «Allez donc auprès des gens de toutes les nations et faites d'eux mes disciples; baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit». (Matthieu 28:19).

Ouvrir le bocal et laisser à nouveau couler l’eau à l’extérieur semble être une solution envisageable. Mais elle soulève nombre de questions. Peut-on laisser se vider le bocal, alors qu’on y a investi de grosses sommes pour l’améliorer et le rendre plus attractif ? Peut-on courir le risque que l’église se dissolve dans le monde, disparaisse peut-être à jamais ? Mais au fond, est-ce que l’église-eau a vraiment besoin d’être protégée? Et puis, cette eau qui se répand à l’extérieur va-t-elle revenir dans le bocal ou s’embourber? C’est bien là que l’ «Eglise-liquide» posera problème. Elle quittera le bocal pour ne plus y revenir. Comment va-t-elle se développer? Nul ne le sait vraiment, mais ce qu’on sait, c’est qu’elle retrouvera sa liberté d’entan, jusqu’au prochain assainissement !

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