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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Peut-on faire changer de direction nos communautés actuelles?

1 Juin 2023, 01:12am

Publié par Henri Bacher

D'emblée, je répondrais oui et non. On ne change pas de culture comme de chemise. Culturellement, politiquement, économiquement nous arrivons sur un rond-point mondial où les réalités socio-culturelles, dont celles des églises doivent choisir une nouvelle direction.

 

Les autoroutes du savoir
Les cultures, boostées par des leviers technologiques comme l'imprimerie, depuis la Renaissance et maintenant le numérique se sont transformées en autoroute. L'autoroute de l'écrit et de la lecture a quatre siècles d'existence, le numérique culturel n'a que quelques décennies, mais ses leviers sont tellement puissants qu'on y roule à tombeau ouvert. Chaque «autoroute» développe sa manière de penser, de se comporter, de croire, de communiquer ses valeurs. Elle favorise également, le long de son parcours, des pôles d'enseignement, de vulgarisation, d'éducation qui se greffent sur ces axes de communications. La culture littéraire a fait éclore le système scolaire. Les églises issues des Réformes protestantes et des Réveils du 19ème siècle sont encore très liées à cette vieille autoroute où l'on pense en premier la spiritualité, avant de la faire circuler sur l'autoroute. 

L'autoroute numérique développe également ses lieux de vulgarisation, mais ce ne sont plus qu'une pâle copie des facultés et des écoles de la culture scolaire. Par exemple le campus 42, qui forme des informaticiens, recrute sur la base du talent et non du diplôme, indépendamment de leur niveau scolaire. Les gens se forment d'une manière complètement différente. L'école Pierre à Lyon est un autre exemple. Les réseaux sociaux sont de puissants émulateurs d'apprentissage, pas forcément à la manière scolaire.

Le rond-point comme lieu de rupture et de réorganisation
Sur l'autoroute on roule dans une direction, soit à l'aller, soit au retour. On ne peut changer de direction que de deux manières: en utilisant des échangeurs ou en quittant 
définitivement le système autoroutier. Quelque part, on est prisonnier de la trajectoire. Jésus a combattu la «trajectoire» du système des 613 lois érigées par le judaïsme. Le christianisme a lui aussi recréé des «trajectoires», dont celles des nos facultés classiques de théologie. Ce n'est ni faux, ni juste, c'est lié à la vie tout court. Le problème c'est que la culture numérique accélère terriblement la trajectoire. Il n'y a que les «ronds-points» qui peuvent freiner l'accélération. Ils ont d'ailleurs été conçus dans ce sens-là.

Nous nous retrouvons donc à des carrefours, des ronds-points qui ne sont plus les prolongements de l'autoroute, mais un lieu de redistribution. Ces ronds-points ont jalonné l'histoire de l'église depuis ses débuts à Jérusalem. Jacques, le frère de Jésus a voulu faire évoluer le judaïsme, vers le christianisme, comme aujourd'hui on a l'illusion de pouvoir adapter nos anciens tissus ecclésiastiques au monde numérique. Antioche est devenu le nouveau rond-point qui a laissé le judéo-christianisme juif sur le bas-côté. Plus tard, à la conversion au christianisme de l'empereur Constantin, un nouveau rond-point de distribution des pouvoirs, aussi de l'influence politique et culturelle de Rome, a surgi. Au 11ème siècle la réforme grégorienne a complètement redistribué les pouvoirs spirituels et temporels. La réforme protestante au 16ème siècle a été portée culturellement par la Renaissance, mais n'en déplaise aux descendants réformés et luthériens, aussi par les pouvoirs politiques. Calvin n'aurait pas réussi à Genève sans l'appui et la couverture des instances politiques. De même pour Luther qui a eu la protection des princes allemands. Le débat qui a surgi aujourd'hui, fomenté en partie par l'aile protestante européenne, avec le débat sur la mainmise de certains évangéliques étatsuniens sur la politique internationale devrait aussi prendre en compte qu'on ne peut jamais séparer le spirituel, la religion, du monde politique et culturel. 

Les Réveils du 19ème siècle, surtout en Angleterre, n'étaient pas pour moi des «ronds-points», mais plutôt des renouvellement de la spiritualité à l'intérieur du courant réformé classique. 

Le «rond-point» actuel correspond en intensité à celui de la Renaissance
D'où le fait, qu'il concerne toutes les églises chrétiennes: catholiques, réformées, orthodoxes, évangéliques.

Peut-on faire changer de direction nos communautés actuelles?

Y a-t'il des solutions?
On pourrait imaginer, moyennant quelques adaptations, diriger les futurs cadres de l'église, qui déboulent de la culture numérique, vers les lieux de formation de l'autoroute du savoir littéraire. C'est totalement illusoire à long terme, nous ne sommes qu'au début des changements. Lorsque Calvin a créé son collège en 1559 sous le nom de Collège de Genève (aujourd'hui Collège Calvin, sous sa forme laïque), il a monté une école de théologie. Il n'a pas créé un «monastère calviniste». Ce qui me fait dire que nos formations théologiques actuelles sont obsolètes.

Pourtant, je ne suis pas sûr qu'un nouveau «campus» numérique évangélique serait la solution. Le fondement socio-culturel chrétien est entrain de complètement disparaître en Europe. Entre autre, du fait que les gens ne sont plus catéchisés, on parle dans le vide. Il n'y a même plus d'accroche de vocabulaire pour y fixer un message.

Des lieux de formation «biodiversifiés»
Ce vocabulaire emprunté à l'écologie est pour mettre en avant toute la diversité spirituelle, théologique et pratique. Contrairement au système scolaire qui développe des programmes de formation uniforme pour l'ensemble des élèves, nous sommes devant une tribalisation culturelle de la société. Or nos facultés sont monoculturées et vont surtout répondre à une seule tribu, celle qui aime penser Dieu.

Une expérience personnelle de formation «biodiversifiée».
Elle se déroule sur un palier d'appartements, avec un jeune couple chrétien taïwanais. L'apprentissage n'est pas unilatéral. Ils nous apprennent autant que nous leur apprenons, du fait qu'ils viennent d'une autre «tribu» culturelle. Ils fréquentent une communauté baptiste et nous une communauté mennonite. Nous travaillons sur nos expériences spirituelles communes. Nous sommes retraités et eux très actifs dans la vie trépidante de la jeunesse. Nous partageons nos expériences spirituelles, nous réfléchissons aussi ensemble, nous nous formons mutuellement aussi dans les aspects quotidiens de la vie. Nous voyageons parfois ensemble. Nous nous aidons mutuellement dans des activités du quotidien. Nous créons ensemble des ressources en vidéo. Nous sommes immergés dans la vie au lieu d'être assis à un pupitre d'école. Ils nous voient vivre et mettre en pratique notre foi, comme eux sont des modèles de jeunesse, de foi et de spiritualité pour nous. On pourrait imaginer que d'autres personnes se joignent dans ce genre de communauté d'apprentissage, juste pour un temps de formation. Il faudrait que ces «étudiants» en théologie, se soutiennent financièrement par un travail lucratif pendant leur formation. Ça les formera aussi à servir une communauté sans forcément avoir le salaire d'un diplômé académique. Ce genre de modèle pourrait se renouveler, sous d'autres formes, avec des aînés qui rassemblent autour d'eux de apprenants-partageants. C'est le modèle du début du christianisme.

Utopie ou réalité?
De toute façon, on n'aura guère le choix. Il faudra trouver d'autres chemins (pas des autoroutes) de formation. Nous sommes devant des choix cornéliens.

 

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