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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Allons-nous vers une spiritualité archaïque?

24 Août 2022, 07:03am

Publié par Henri Bacher

Allons-nous vers une spiritualité archaïque?

Lorsqu’un pasteur, il y a quelques décennies, respecté de la majorité des chrétiens de ce pays, appelle à la prière pour contrer les puissances qui gravitent au-dessus de la ville de Lausanne et la tiennent prisonnière, est-il postmoderne, archaïque ou simplement charlatan ! J’opte pour le terme « archaïque », ce mot n’ayant pas chez moi un sens péjoratif ou dépréciateur.

On pourrait citer d’autres pratiques spirituelles qui remontent à quelques décennies en arrière, histoire de montrer, que ce n’est pas un phénomène très récent. A l’époque de la fameuse bénédiction de Toronto*, beaucoup de responsables d’églises se sont précipités dans cette ville canadienne pour y trouver un nouveau souffle. Avec un certain succès et même un certain bonheur ! Loin de moi, de tirer à boulets rouges sur ce phénomène très loin de l’expérience réformée et évangélique classique. Ces deux événements, qui participent au « réenchantement » du monde, sont de type archaïques.
Archaïque étant utilisé ici dans le sens « expérience d’avant les temps modernes dominés par la raison ». Dans le domaine non-chrétien, cet archaïsme se retrouve dans les questions ésotériques ou occultes dont l’horoscope est la forme la plus répandue et dont les gens raffolent. Dans un autre domaine, non spirituel celui-ci, comme celui des nouveaux réflexes tribaux générés par internet, on assiste également à ces comportements archaïques. Les internautes, par réseaux sociaux interposés, montent des rencontres conviviales et festives où l’important est de vivre le groupe social. Les rave-parties en sont une autre expression.

L’archaïsme peut donc se lier sans problème avec les moyens de communications électroniques. Je dirais même que l’archaïsme moderne se développe grâce à ce que j’appelle l’oralité électronique.

L’archaïsme contemporain

On pourrait aussi traduire ce terme archaïque par «ce que l’on ne contrôle pas avec sa tête», qui ressurgit de nos entrailles, terme utilisé dans le tissu biblique. De grandes figures de la Bible sont des dignes représentants de ce monde souterrain : le patriarche, le prophète, le thaumaturge, le devin, le voyant. Souterrain ne veut pas forcément dire malfaisant. Une rivière souterraine n’est pas plus polluée qu’un cours d’eau à l’air libre, sous prétexte qu’elle circule dans les entrailles de la terre. Ces « archaïques » sont des personnes liées à des forces dont on a du mal à comprendre d’où elles viennent. On pourrait pousser un peu plus loin cette image de la rivière souterraine et de celle circulant en surface. 

Nous avons tellement canalisé, dompté la spiritualité en surface, comme on a capté, bétonné les rivières à l’air libre que les gens veulent retourner à des expériences plus « bios », plus naturelles, moins sophistiquées, moins bétonnées ou « doctrinisées ». Ils se ressourcent, c’est le cas de le dire, à ce qui jaillit de la profondeur de la « terre ».

Il n’y a pas seulement des hommes ou des femmes qui reflètent cet archaïsme, mais par exemple, un lieu peut symboliser un espace « archaïque ». Toronto m’a beaucoup intrigué, pas parce que les « bénis » tombaient dans les pommes, mais parce qu’il fallait aller là-bas pour vivre cette expérience. On m’avait toujours appris que Dieu pouvait agir n’importe où, n’importe quand. Cette fois-ci, il était nécessaire d’être à Toronto ! Comme quoi, même chez les évangéliques on a retrouvé le sens du lieu de pèlerinage, de l’endroit plus « béni » que les autres.

L’Ancien Testament, terrain « archaïque » par excellence

Le courant évangélique, ayant défendu contre vents et marées que la Bible était Parole de Dieu du premier jusqu’au dernier verset, ne pouvait pas faire autrement que de prendre en considération l’Ancien Testament. Pourtant, soyons honnête, nous y avons pris ce qui nous arrangeait ou ce qui arrangeait nos doctrines. Le fer de la hache qu’Elisée a repêchée dans le fleuve (2 Rois 6:5), l’épisode des coloquintes était bon à raconter à l’école du dimanche, mais nous nous sommes efforcés à gommer le côté « archaïque » de ces écrits : les rêves, les malédictions, les systèmes de bénédictions, l’imposition des mains, l’onction, les visions, le tribalisme. Ou bien on les a tellement symbolisés qu’ils ne pouvaient pas être appliqués dans la pratique. D’ailleurs, nous avons largement, dans nos prédications, privilégié les écrits de Paul au détriment de l’Ancien Testament. Plus largement, ce n’est pas seulement les pratiques ou les figures de communicateurs qu’il faudrait explorer dans ces textes du monde juif, mais aussi les « weltanschauungen », les visions du divin, les conceptions théologiques. Rassurez-vous, je ne suis pas en train de minimiser l’œuvre de salut du Christ, ni de quitter la théologie calviniste de la grâce. Je crois aussi que le Christ est l’accomplissement de la Loi. Mais il faut avouer que nous avons souvent mis cette grâce en « boîte », en code. Les fameuses quatre lois spirituelles en sont un exemple flagrant ou bien le fameux « Jean 3 :16 » avec lequel nous avons définitivement clos le débat sur le salut. Pour nous renouveler, tout en gardant en ligne de mire les épîtres de Paul, nous avons besoin de revisiter ces textes anciens.

Le Moyen-Âge, grande vitrine historique de la mentalité archaïque

Non, je ne veux pas vous ramener dans ces siècles qualifiés d’obscurs par les modernes que nous sommes ! Nous y sommes déjà ! La preuve ? Taizé a été pendant longtemps un puissant pôle attractif pour le monde protestant: cérémonies teintées de cette spiritualité faisant une large place au silence, au chant répétitif, à une certaine simplicité de l’approche spirituelle. Pour Taizé le vécu communautaire est plus important que le discours. On se fonde dans un corps social plus que dans un corps doctrinal cher aux évangéliques. Voilà une autre facette de l’archaïsme que l’on retrouve aussi dans l’Ancien Testament. D’autres pratiques refont surface comme les marches pour Jésus qui ressemblent furieusement aux processions. On ne se signe pas en entrant dans une église, mais dans certaines communautés, les bras levés au ciel, pendant un moment de louange, sont le gage d’une ferveur authentique. Geste du corps, geste de foi qui peuvent être aussi vides de sens qu’un signe de croix machinal. Le journal La Croix rapporte que des adolescentes et des jeunes femmes chrétiennes posent voilées sur TikTok. Certains de leurs clips font plusieurs millions de vues. Parmi les protestants on recommence à prôner le jeûne pendant le carême et il se forme des groupes de paroissiens qui suivent des parcours méditatifs, pendant cette période, tout en jeûnant. Les labyrinthes dans les cathédrales ont joué un certain rôle dans l’activité religieuse archaïque. Actuellement, il reste encore celui de Chartres, datant de 1200, de 13 m de diamètre. Il faudrait également mentionner toutes les pratiques redécouvertes au travers du mouvement charismatique et l’importance actuelle des cultes de guérison. Peut-être Stop Pauvreté est une réminiscence ou une résurgence des mouvements monastiques qui ont fait vœu de pauvreté ? Ou bien comme les Promise Keepers aux Etats-Unis qui font vœu de chasteté ? Bon, je vous l’accorde, je pousse probablement le bouchon un peu trop loin!

Comment se comporter vis-à-vis de ces manifestations ?

Pour certains, c’est très simple : ils brandissent le mot « New-Age » comme le toréador agite sa toile rouge devant le taureau qu’il veut abattre. Vite dit et vite condamné. Ainsi le chrétien fidèle à sa doctrine peut-il se réfugier derrière ce qu’il connaît.

Pour d’autres, c’est la manifestation évidente du St Esprit et « chrétiens charnels » ceux qui ne l’entendent pas de cette oreille. Autre point de vue, autre condamnation !

Dans un premier temps, il faut oser se remettre en question. Nous avons cru que la civilisation du « raisonnable » avec un zeste d’émotion allait pouvoir satisfaire les gens qui nous entourent. Hélas, ce n’est plus possible, surtout depuis que la culture de l’oralité électronique défriche d’autres espaces culturels.

Dans un deuxième temps nous devons laisser nos peurs au vestiaire et laisser les gens se lancer dans des choses inconnues, à la seule condition qu’elles ne soient pas incompatibles avec l’enseignement biblique… même le plus saugrenu. Avec Toronto, on nous a peint le diable sur la muraille et aujourd’hui on se rend compte que ce n’était pas forcément nécessaire de monter aux barricades comme nous l’avons fait.

Nous avons pris l’habitude de juger du bien-fondé d’une spiritualité sur la base de ce que leurs auteurs en écrivent. On fait plus confiance à l’écrit qu’à la réalité des faits et gestes de tous les jours. Or, c’est justement dans les comportements journaliers (pas cultuels) que nous pouvons discerner si la pratique est inspirée par le St Esprit ou non. C’est aux fruits qu’il faut reconnaître l’authenticité d’une démarche et non aux écrits ou au reportages vidéos qui parlent de ce qui se passe. L’écrit et la vidéo sont des filtres très déformants. Il faut donc aller sur le terrain.

C’est plus facile, pour nous, de débusquer les déviances, car la majorité des pratiques archaïques ont eu dans le passé leur côté sombre. Le prophète de l’Ancien Testament a eu des confrères véreux. Au Moyen-Âge, beaucoup de belles choses au départ, ont déraillé et en analysant ces déraillements on peut mieux aider les gens, aujourd’hui, à trier le bon du mauvais. Ce n’est pas parce qu’un train déraille qu’il faut enlever la ligne de chemin de fer. Il faut plutôt chercher la cause du déraillement.

Le théologien et le pasteur d’aujourd’hui doivent se mettre à étudier assidûment l’Ancien Testament et lire les historiens et sociologues du Moyen-Âge. Ainsi ils seront mieux armés pour s’activer dans ce nouveau chantier de la spiritualité.

Deux auteurs laïcs à consulter : Jacques Le Goff (spécialiste du Moyen- Âge) et Michel Maffessoli (spécialiste de la postmodernité).

* Bénédiction de Toronto. Point de vue que je ne partage pas. La véracité d'une activité religieuse ne se vérifie pas au culte, mais le lundi matin en famille, à l'école, au boulot. C'est la mise en pratique qui permet de dire si l'activité cultuelle est intéressante à perpétrer.

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