Communauté liturgique et Corps du Christ
La communauté liturgique n'est pas le Corps du Christ, même si ce Corps se manifeste aussi par des activités liturgiques, mais pas seulement. Comment concilier la vie du Corps et la liturgie?
Qu'est-ce que j'entends par communauté liturgique?
C'est la base socio-culturelle de la communauté. Je l'appelle aussi la-communauté-du-dimanche-matin. Elle englobe la manière d'organiser le culte, le style de chant, la prédication, le partage d'expérience, la lecture publique de la Bible, la prédication, la prière communautaire. Elle peut s'alimenter en semaine par des groupes d'études bibliques, un enseignement. Ne nous méprenons pas. Nous, évangéliques, disons très rapidement que nous ne pratiquons pas une religion. Pourtant, dès qu'on utilise un canevas liturgique, on entre dans une catégorie religieuse, même si notre liturgie ne comporte que trois phases importantes: la louange, la prédication et la Sainte-Cène.
Tout ce qu'on nous propose aujourd'hui, c'est d'améliorer notre liturgie pour atteindre le monde extérieur. Devenir plus pro dans le chant, mais aussi dans la prédication. Expliquer notre liturgie. Hélas, les gens d'aujourd'hui, ne veulent plus entrer dans un système religieux, même bien rôdé, par contre, ce qui va les attirer, c'est une communauté de vie, une fraternité active au niveau humain, pas une communauté de pensée, de pratiques religieuses. Dans les dernières décennies, les grandes communautés évangéliques en France se sont constituées sur des bases ethniques, liées à l'émigration. Les ont rejoint des européens de souche qui avaient besoin de chaleur humaine, de reconnaissance, d'encouragement.
Comment concilier Corps du Christ et communauté liturgique?
Le mot-clé c'est «vivre». Nos communautés évangéliques classiques ressemblent plus à des Yeshiva, à des écoles spirituelles. Un corps vit. Dans une école, tout est orienté vers l'accumulation d'un savoir, d'une pratique toujours liée à l'acquisition de celui-ci. Même si l'écolier joue, explore par l'expérimentation, c'est toujours en fonction de la constitution d'un savoir. La vie spirituelle, même si elle comporte un aspect d'acquisition de savoir, est avant tout la vie et le partage entre des humains. Qu'a fait Jésus, à son époque? S'il avait été «évangélique», il aurait passé son temps à enseigner la Parole, à l'expliquer. Ce qu'il a fait, c'est bien sûr, parler, mais surtout être attentif aux besoins de ceux qu'il côtoyait. Besoin d'être nourri comme lors de la multiplication des pains, besoin d'être guéri, libéré, encouragé. J'ai entendu une histoire qui illustre notre carence à ce sujet. Deux frères ont proposé de prier, dans un endroit, en dehors de la cérémonie, pour des personnes qui venaient chargées et fatiguées. Ils voulaient qu'on propose, avant le début de la rencontre, la possibilité de demander la prière, quitte à participer à la cérémonie après le moment de prière. Comment se concentrer pendant un culte lorsqu'on s'est engueulé avec son ado avant d'arriver? Comment vivre un culte avec plaisir, alors qu'on sait qu'à midi, on va se farcir, pour le repas, la venue dominicale de la belle-mère? Réponse du pasteur: ce n'est pas possible, on peut prier après le culte. Je suis aussi disponible en semaine. À l'école, on ne peut pas louper un cours, mais l'église n'est pas une école. Vivre le Corps du Christ, c'est favoriser les partages de joie, de douleurs, de ressources, s'encourager mutuellement, faire connaissance avec d'autres.
Comment déconstruire l'aspect scolaire au profit de la notion de Corps?
Je ne prône pas de laisser tomber l'aspect-liturgique-du-dimanche-matin, mais pourrait-on imaginer de le rendre moins présent et obligatoire pour alimenter sa spiritualité? On pourrait très bien commencer, le dimanche matin ou un autre moment de la semaine, par des groupes différents de partage, de recherche, de prières, de témoignages, d'expérimentation et terminer par un court moment liturgique, au maximum d'une quinzaine de minutes. Ça permettrait aussi de n'avoir pas besoin de courir après de super musiciens et prédicateurs qui peuvent tenir en haleine toute une congrégation. Jésus a toujours travaillé avec des amateurs, mais il ne les pas foutus dans des contextes qui exigeaient un certain professionnalisme de type culturel. Nos pasteurs, ne pourraient-ils pas créer des espaces d'expression de la foi, accessibles à des amateurs? Le critère de sélection n'étant pas le culturel, mais l'originalité de leur expérience de vie.
Ce que nos concitoyens recherchent aujourd'hui
On pense, à tort, qu'il faut leur construire des «cathédrales» pour les attirer dans une relation avec Dieu: chanter comme des stars du show-biz, parler comme des «stand-uper» professionnels, conseiller comme des psys, animer comme des animateurs de télés or ils veulent qu'on les écoute, qu'on leur propose des solutions, qu'on se réjouisse avec eux de leurs succès. Le maître-mot, c'est le mot anglais de «care»: prendre soin de... Mais ce «prendre soin» peut simplement se matérialiser à trouver une place d'apprentissage, un tuyau pour un appartement pour son fils ou sa fille qui va étudier dans une autre ville. Je rêve d'une communauté globale qui ne s'intéresse pas seulement à l'aspect strictement spirituel-biblique. On pense que l'église n'est pas là pour s'occuper socio-culturellement de nos concitoyens. On est obnubilé par le but de faire des disciples du Christ, mais pour le Christ ça a aussi passé par le miracle de Cana. Quand est-ce qu'on va laisser tomber nos chemins d'accès à la spiritualité par le truchement de l'enseignement, du message?