Un des nouveaux rôles du pasteur, devenir passeur d'une culture à une autre
C'est une illusion de croire que la culture de l'écrit et de la lecture va garder sa place dominante sur le monde occidental et par ricochet sur le reste de la planète. Aujourd'hui, il y a une telle accélération, pour s'adapter culturellement parlant, surtout à cause du levier technologique du numérique, qu'un quinquagénaire ayant déjà fait une partie de l'alphabet: génération X, Y, Z, va devoir s'adapter tellement vite qu'il ne pourra plus réfléchir correctement sa trajectoire. Il est pris dans un maltröem de sensations. De quoi perdre son latin qui a duré une dizaine de siècles, avant l'avènement d'un autre levier technologique, celui de l'imprimerie qui, au bout de quatre siècles, a du plomb dans l'aile.
Résumé pour les personnes pressées
O La culture de l'écrit et de la lecture perd sa dominance face à l'accélération technologique numérique.
O Les Églises protestantes et évangéliques, historiquement basées sur le livre, doivent évoluer vers un univers mixant images et textes.
O La culture numérique, comparée à un fleuve turbulent, nous éloigne de la culture de l'imprimerie et de l'écrit, base du système scolaire. Ce phénomène, alimenté par les puces électroniques, est aussi perturbant que les catastrophes climatiques et crée une nouvelle manière de penser et de vivre.
O Le texte explore l'attrait irrationnel de la culture numérique et son impact sur la foi chrétienne et la compréhension des images.
O Le texte compare l'attrait de la «forêt vierge» à un nouvel Eldorado socio-culturel et spirituel, développé grâce au fleuve.
O Il souligne que la culture numérique ne nécessite aucun apprentissage préalable, contrairement à la culture de l'écrit et de la lecture.
O Les réseaux sociaux jouent un rôle d'«évangélistes» dans cette nouvelle manière de vivre et de pratiquer la foi chrétienne.
O Le texte met en avant l'importance de l'écrit pour permettre le doute et la réflexion, en opposition à l'immédiateté des images.
O L'histoire de l'église montre des ruptures, comme les chrétiens des Actes se séparant du Temple, et aujourd'hui, les réseaux sociaux créent une nouvelle rupture. Former des pasteurs-passeurs est essentiel.
O Ce texte traite de la transculturation, définie comme le fait de grandir dans un pays différent de celui de naissance, et de l'importance des passeurs culturels pour aider les migrants (spirituels) à s'intégrer dans de nouveaux tissus communautaires. Il souligne que les jeunes préfèrent souvent la «jungle» à la ville littéraire.
La culture standalone symbolisée par cette ville imaginaire
Cette culture qui arrive à son apogée grâce au levier technologique de l'imprimerie et dont l'école républicaine est devenue le bras séculier pour imposer son pouvoir, s'essouffle. Elle a pu fonctionner sans images, avec peu de gestes liturgiques, assise sur un banc à écouter un discours souvent composé pour l'écrit et lu en chaire. Toutes nos églises protestantes et évangéliques sortent de ce moule culturel symbolisé avec ce fondement incontournable qu'était le livre et le monumental crayon au milieu de la ville. Un théologien et, sous forme de copie (un peu conforme), le pasteur, homme ou femme, étudiaient et écrivaient en vue de publier des textes qu'on lisait. On les étudiait. Remarquez que j'ai aussi des problèmes pour sortir de ce formatage puisque je vous soumet un texte à lire. Comme quoi ce n'est pas simple d'évoluer vers un autre univers culturel, sauf que je commence à mixer images et textes, mais mes images souvent composées avec l'IA ont besoin d'un texte pour les comprendre pleinement.
Cette culture a magistralement servi le monde de la Bible, qui pour nos Églises est devenu le fondement principal et unique, alors que le fondement devrait plutôt être le Christ dont un texte sacré rend simplement compte. Cette ville avait ses propres «puits» (de science). Son eau provenait de son sous-sol. Elle était parfaitement autonome, jusqu'à l'avènement d'un chamboulement opéré par un autre levier technologique, celui actionné par une minuscule puce électronique. C'est le ver qui a été introduit dans le fruit. Comme les lettres mobiles de Gutenberg qui ont éliminé les copistes du monastère et changé jusqu'à la théologie en haut de la pyramide.
La culture numérique, nouvelle frontière liquide entre deux continents culturels
La culture numérique est comme un long fleuve de plus en plus turbulent qui nous coupe de notre rive qui s'est bâtie du point de vue culturel sur l'imprimerie, l'écrit et la lecture, base incontournable du système scolaire. La ville ne s'est pas construite au bord d'un fleuve existant depuis la nuit des temps, mais celle-ci est le résultat d'un chamboulement «climatico-cuturel». Au début, ce fleuve n'était qu'un mince filet d'eau que la ville regardait avec mépris. Ce sont les puces électroniques qui le motorisent. Ce phénomène est à mettre, pour sa compréhension, au même niveau que les catastrophes climatiques. Une tornade commence avec le jeu entre quelques grains de poussières et du vent. On n'imagine pas ce qui a été comme traumatisme pour le monde catholique, le développement de l'imprimerie et de la pensée diffusable à grande échelle par le livre. À notre tour, de trembler face à ce fleuve qui émerge dans le monde et qui n'a pas été produit, enfanté, mis au monde par la ville scripturaire. Du coup, on ne comprend pas sa manière d'être et de se dire.
Nos pasteurs, homme ou femme, se sont formés dans cette grande métropole de l'écrit. Nos communautés se trouvent dans cette mégapole et elles rament à traverser le fleuve pour s'installer sur l'autre rive. Parce que sur l'autre rive se développe une autre manière de penser, de vivre, étrangère à la mentalité de la ville culturelle occidentale.
La cathédrale-jungle
L'attrait de la «forêt vierge» (qu'on croit vierge!) sur la rive opposée ressemble au nouvel Eldorado socio-culturel, économique et même spirituel. Cette «forêt» s'est développée grâce au fleuve. C'est la nouveauté qui attire. Elle est inconnue, irrésistible, irrationnelle, multicolore. Les réseaux sociaux sont de puissants «évangélistes» de cette nouvelle manière de vivre et de pratiquer la foi chrétienne. La culture de l'écrit et de la lecture est basée sur un apprentissage de plusieurs années. Notre cerveau n'est pas câblé pour lire et écrire, il faut l'apprendre, tandis que la culture numérique, pour la percevoir, ne nécessite aucun apprentissage préalable, sauf à apprendre à sélectionner les bonnes icônes. Pour la comprendre, c'est un autre problème. Nos yeux voient et n'ont pas besoin d'interfaces comme les lettres de l'alphabet pour capter la réalité. Il n'y a même pas besoin de parler la langue de certains clips vidéo pour saisir leur portée et leur impact visuel. On est bien d'accord qu'il faudra développer un autre apprentissage, celui de l'interprétation d'une image, mais je voudrais mettre l'accent sur ces filtres intermédiaires comme l'écrit et la lecture qui nécessitent beaucoup de temps qui permettent aussi d'intégrer peu à peu l'emballage socioculturel et spirituel. Le monde des images est immédiat. Le nombre de personnes qui parlent d'onction du Saint-Esprit simplement parce qu'il y avait une ambiance spirituelle bien orchestrée par les animateurs en est un exemple percutant. Ce n'est pas plus faux que de flipper pour un beau texte philosophique ou une poésie. Pourtant, il y a un élément très important à relever. Un texte écrit permet de douter et la Bible est justement un texte écrit et non un livre d'images. Une transcription écrite pour rendre compte d'une inondation, comme à Valence en 2024, n'a pas la même valeur qu'un clip vidéo. Nous ne résolvons pas nos problèmes en nous aventurant dans la jungle médiatique, nous en créons simplement d'autres à résoudre.
Nos facultés développent des départements «vierges» pour ceux qui traversent de l'autre côté, mais ils n'ont pas la culture des images et vont toujours analyser la «jungle» à partir, non du texte de la Bible, mais de la structure interprétative qu'ils ont élaborée à partir de ce texte. C'est un peu comme ces missionnaires qui ont été formés sans tenir compte de la culture (de la jungle) qui les accueillait. Parce qu'on a décrété que la Bible était universelle pour tous et pour toutes les cultures, dans la manière de la penser selon le modèle de la ville élaborée en Occident.
Une cathédrale esthétique
Dans un premier temps, après le travail de création avec l'IA pour sortir le visuel de cette image d'une cathédrale-jungle, je me suis demandé si je n'allais pas trop loin dans mes élucubrations post-évangéliques. Nous relayons sur notre blog, ce qu'une équipe de quinquagénaires, la conteuse Marie Ray et le pasteur évangélique Yves Bulundwe produisent sous forme de podcasts pour améliorer nos prédications. En fait, avec ce quatrième épisode, ils décrivent un univers bien loufoque pour un théologien académique de la ville, mais en fait, je ne suis pas très loin, de leur préoccupation.
L'évolution certaine des églises ne va pas se jouer comme on le souhaiterait.
Dans toute l'histoire de l'Église, celle-ci s'est toujours développée par rupture. Les chrétiens des Actes se sont séparés du Temple, les réformés, les luthériens se sont séparés des catholiques, les réveillés du 19e siècle ont quitté le giron réformé ou luthérien et aujourd'hui, se pointe une nouvelle rupture avec ce que j'appelle l'église de la jungle des réseaux sociaux. De tout temps se sont aussi construits des ponts, mais actuellement ces ponts n'existent pas encore vraiment et ce sont des individus qui font traverser le gué. Il n'est pas question ici de magnifier les ruptures, mais comme la spiritualité est aussi largement tributaire de la culture, il n'y a pas d'autres choix. L'imprimerie a été une technologie de rupture, comme les réseaux sociaux le devienne aujourd'hui. Installez une jungle dans une église réformée ou évangélique classique et vous verrez la levée de bouclier, comme dans certaines paroisses vaudoises où il fallait éliminer l'orgue trop vieux et trop cher pour être réparé.
C'est une activité largement utopique.
Il faudra former et favoriser des pasteurs, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, qui apprennent à devenir passeurs.
Les qualités d'un passeur ou d'une passeuse
Pour ne pas alourdir notre texte, nous ne féminisons pas le vocabulaire.
O Être un transculturel d'expérience. C'est-à-dire être né dans un certain pays et, à cause de la migration, avoir grandi dans un autre pays. Moi-même, je suis alsacien, bilingue et francophone exclusif par mariage. Cette transculturation nous permet de penser autrement la réalité humaine.
O Aimer voyager dans différentes cultures.
O Être à l'aise autant dans la «jungle» que dans l'académie. Surtout, de n'avoir pas de complexes vis-à-vis du diplômé. Il sait quelque-chose et toi tu n'as pas son savoir, mais c'est le tien dont on a besoin aujourd'hui. Le théologien académique, dans cette histoire de passage ne peut pas avoir le lead. Ne te force pas à suivre un cursus académique en croyant que tu seras mieux accepté dans ta mission ou mieux équipé.
O Accepte qu'on ne te prenne pas au sérieux.
O On a perdu beaucoup de notre jeunesse, parce qu'il manquait des passeurs. Ces jeunes sont plus attirés par la jungle que par la ville littéraire.
O Le passeur a un équipement minimum (par exemple un équipement théologique). Par contre, il connaît le chemin parce qu'il l'a déjà parcouru. Les migrants lui font confiance. Ce qui veut aussi dire que, de l'autre côté, il faudrait développer des communautés où le migrant puisse s'intégrer et prospérer et où on peut continuer à l'aider pour s'adapter. Une personne qui aura passé une grande partie de sa vie dans une communauté de la ville scolaire va souvent se perdre dans la jungle. Bien sûr, que mon argument est caricatural, mais on oublie que les adaptations culturelles ne ressemblent pas à un voyage touristique.