Les nouveaux «prêtres»
Dans ce blog on parle surtout des changements culturels occasionnés par les leviers de communication électroniques et numériques. Les responsables de nos communautés s’attachent volontiers à l’aspect de la transmission, sans se rendre compte que ce ne sont pas seulement les supports qui évoluent, mais les communicateurs eux-mêmes doivent changer de mentalité et de stature de leader. Les pasteur(e)s ou les prêtres de la culture du livre sont-ils les mêmes que ceux qui exercent leur ministère aujourd’hui?
Par prêtre, j'entends «celui qui gère, anime, enseigne, conseille une communauté chrétienne». Il peut donc s'agir d'un pasteur évangélique ou réformé ou d'un curé catholique ou d'un prêtre orthodoxe. Homme ou femme. Je ne parlerai pas de la notion théologique du prêtre: est-il l'intermédiaire entre Dieu et les hommes, n'est-il qu'un croyant parmi d'autres croyants exerçant simplement un rôle d'autorité, comme dans certaines communautés évangéliques?
Des études très poussées ont été faites à ce sujet et je ne m'attacherai donc pas à en dire plus.
Le nouveau "prêtre" gère le mystère avant de gérer le savoir
Par mystère, j'entends cette zone entre le visible et l'invisible. Je n'oppose pas le visible et l'invisible. Les deux s'interpénètrent. L'un et l'autre font partie de la réalité, un peu comme l'électricité qui court dans nos murs et dont nous ne constatons la présence qu'en allumant une lampe. Ce renversement de tendance, où le savoir-sur-Dieu laisse la prééminence à la gestion du mystère-de-Dieu, a de profondes conséquences sur la théologie, la manière d'apprendre, la communication, la foi et le style de rassemblement de la communauté.
Le pasteur ancien appréhende le spirituel par le savoir, par la réflexion académique et scientifique. Il s'y connaît en sociologie des religions. C'est un érudit du texte biblique. Il sait tirer profit de la psychologie, etc. Aujourd'hui le monde chrétien, devant la difficulté de comprendre le monde postmoderne, amplifie encore davantage son potentiel de savoir académique (dans le domaine de la théologie). Et il fait fausse route.
À la complexité des mécanismes humains actuels, on ne répond pas avec un surplus de savoir académique, mais en changeant d'angle de vue, de stratégie d'apprentissage. Je dirais même en permutant les lieux d'apprentissage du savoir. Les ermites, ceux qui ont changé de lieu d'observation ont plus contribué à l'avancement de la spiritualité chrétienne que les moines copistes. Saint François d'Assise a quitté l'élite de sa ville pour élaborer dans les champs et le «désert» une nouvelle stratégie pour l'église. Luther a quitté son monastère. Les «réveillés» de la fin du 19ème siècle ont suivi le même chemin, même si au départ, comme d'ailleurs Luther, ils ne voulaient pas forcément quitter l'institution. Jésus, lui aussi, a changé d'angle, de lieux pour enseigner et renouveler la spiritualité de la synagogue. Ses lieux de prédilection? Le bord du lac, les champs, les bistrots, les maisons. Des endroits où les rouleaux de la Loi n'étaient pas très pratiques à manipuler. Il a quitté la «science» des rabbins, pour s'atteler à développer une théologie du Royaume de Dieu. Dans l'histoire, c'est presque une norme de quitter un endroit pour se renouveler ailleurs. J'ai l'air de mépriser les «académiciens» et leur science, mais à titre de comparaison, savez-vous comment l'université, cherchant une réelle autonomie par rapport au pouvoir de l'église, a commencé à Paris? Les premiers enseignants comme Maître Albert, ont commencé leur enseignement dans la rue et plus spécifiquement à la Place Maubert qui existe encore aujourd'hui. Ce nom vient de la contraction de Magister Maubus, le nom latin de ce moine dominicain appelé Albert von Bollstädt. Les étudiants étaient assis sur des ballots de foin et le maître partageait son savoir juché sur une caisse en bois. C'était en 1245. Ce moine a quitté l'autorité de Notre-Dame (la cathédrale parisienne) pour participer à un nouvel envol qui déboucha plus de deux siècles plus tard dans la Renaissance. Aujourd'hui, la «cathédrale universitaire» ne répond plus au besoin des gens et les nouveaux maîtres Albert doivent quitter le giron de l'académie pour repenser la théologie.
Le nouveau «prêtre» pense avec son cœur. Il utilise des savoirs liés au monde irrationnel, intuitif.
Un peu à l'image de ces navigateurs en Océanie qui rejoignent des îles distantes de plusieurs centaines de km ou de miles, sans le secours d'aucune technologie de navigation moderne. Les étoiles, la direction du vent, leur expérience, leur observation des flux de la nature leur permettent d'arriver à bon port aussi sûrement qu'un capitaine armé du sextant, de la boussole, d'un GPS et d'une carte maritime. Il est clair que ce type de savoir ne construit pas une horloge, mais les «horlogers» du passé, eux non plus, ne pouvaient pas prétendre à un savoir universel. C'est peut-être là notre talon d'Achille lorsqu'on a cru que la civilisation du livre, pouvait répondre à tous les besoins des hommes et qu'on pouvait enfermer ce savoir dans des bibliothèques. Il n'y a que Dieu qui puisse «voir» à 360°. Une civilisation, aussi évoluée soit-elle, ne répond que partiellement aux besoins des hommes, mais pour Dieu, c'est suffisant pour se faire comprendre. L'adage qui dirait que plus on est civilisé (à l'occidentale) mieux on comprend Dieu, ne tient pas la route. Pourquoi encore aujourd'hui envoyer des théologiens d'ici, former des étudiants dans l'hémisphère sud? Inconsciemment on est convaincu que nous sommes plus avancés pour expliquer Dieu! C'est encore les relents du colonialisme européen.
Aujourd'hui les nouveaux pasteurs veulent «naviguer» avec un autre savoir, plus lié à l'imaginaire, à l'invisible, à la créativité, au monde artistique. Ils délaissent la théologie scientifique pour se consacrer à une théologie intuitive confinant à l'art. Cette nouvelle théologie sera aussi partielle et bancale que la précédente, mais elle aura le mérite d'être plus proche de la compréhension des gens qui nous entourent dans nos «rues» et nos «places». Le problème, c'est que nos théologiens rechignent à enseigner à partir d'une caisse en bois! Leurs notes risquent de s'envoler avec un simple coup de vent.
Le nouveau «prêtre» se positionne par rapport aux «étoiles» et de moins en moins par rapport à une pensée
L'animateur de télévision Frédéric Lopez, a fait exploser l'audimat de son émission "Rendez-vous en Terre Inconnue" du 14 décembre 2010. Elle a devancé largement le leader du marché qu'était TF1, à l'époque, qui a aligné ce soir-là, un film à grand spectacle. L'actrice Virginie Efira a accompagné Frédéric Lopez pour vivre, en Mongolie, deux semaines dans la taïga au milieu d'un campement Tsataan. Ce n'était pas de la téléréalité, mais du documentaire pris sur le vif. Du point de vue «savoir» on en apprend très peu sur ces nomades de la taïga, mais par contre, il y a un puissant message sur les relations entre personnes de cultures différentes, sur le fait que nous sommes tous pareils en tant qu'humain. Le langage de l'image, des émotions, du corps était prépondérant. L'émission, surtout sur sa partie finale où les téléspectateurs pouvaient poser des questions directement aux protagonistes du documentaire, frisait l'expérience religieuse. Frédéric Lopez, en bonus, montrait une séquence de cérémonie chamanique où ils ont assisté et tout à la fin, il proposait, en direct, à l'ensemble de son public (plus de 8 millions de spectateurs) une petite activité de méditation liée à la respiration. Loin de moi l'idée de magnifier le chamanisme que je range dans le domaine de l'occultisme. Néanmoins, cette émission confinait à ce que j'appelle les «étoiles». L'Ancien Testament en particulier est truffé de références à ce monde du mystère: songes, prophéties, miracles. Les prophètes sont parfois des thaumaturges et on les appelle très souvent des voyants. La naissance virginale du Christ, la transfiguration, la résurrection, les dons du St Esprit comme le parler en langues sont des manifestations qui sont décrites dans le Nouveau Testament. Elles sont éminemment liées à cet espace invisible décrit plus haut.
L'ancien système de pensée construisait, théologiquement parlant, un idéal à atteindre. Cet idéal était abstrait. Il se résumait souvent à des doctrines, des crédos ou des confessions de foi, des textes fondateurs. Une sorte de superstructure mentale qui servait de références, comme le mètre-étalon. L'idéal était l'horizon du chrétien, le but qu'il se fixait. Il devait conformer sa trajectoire de vie à cet idéal et il mesurait sa spiritualité par rapport à la progression vers cet horizon.
Aujourd'hui le nouveau pasteur navigue au «GPS». Il définit sa trajectoire par rapport à sa position actuelle et de là il va essayer d'aller plus loin. Ses références (ses «satellites»), il les trouve dans les «étoiles». Ses points de références sont des expériences qu'il fait avec l'au-delà. Ne criez pas toute de suite au loup! Observez les prophètes de l'Ancien Testament. Ils se réfèrent toujours à un Dieu qui leur a parlé personnellement ou s’est manifesté au travers d’une vision. Qui leur a donné une mission. À l'avenir l'épicentre de la théologie ne sera plus uniquement le texte biblique, mais aussi toute une série d'apports irrationnels venant du monde invisible de Dieu. L'inspiration directe aura à nouveau une place de choix. Ce qui sera important, c'est de garder le texte biblique, non comme «référence-enclos», mais comme «référence-parapet» laissant la place, comme sur un pont avec des parapets, de progresser sur un chemin inédit gardant le guidage du parapet.
En revenant, un peu sur notre histoire, nous sommes d'accord que les réformateurs comme Calvin et Luther ont dû enfermer (mettre en enclos) l'expérience chrétienne. Ils étaient confrontés à de telles dérives, qu'ils n'avaient pas le choix. Ils ont coupé moultes activités de type irrationnel pour préserver l'essentiel. Mais au bout de presque cinq siècles, cet «enclos» est devenu étouffant. Je ne me fais pas d'illusion, l'irrationnel, très bénéfique actuellement, va faire exploser et «l'enclos» et les «parapets», parce que ces développements ont été et sont intimement liés à de puissants leviers technologiques et numériques comme l'imprimerie et maintenant la culture boostée par l'électricité.
Le nouveau «prêtre» est un «performer» plus qu'un enseignant
Le nouveau «prêtre» devient une «bête de scène» plus qu'un intellectuel qui défend la Vérité. Lorsque je parle de «Vérité», je ne pense pas directement à Jésus, la Vérité, mais au concept doctrinal élaboré à l'académie. Cette défense de la vérité a été aussi par le passé une donne culturelle liée à la civilisation du livre. Lorsqu'on transmet un texte, sans que l'auteur acccompagne en chair et en os ce qui est écrit, il faut l'estampiller comme véritable. Aujourd'hui, la défense de la vérité passe au second plan et c'est la performance qui prend le relais. Cette notion recouvre des chiffres (nombre de participants, de clics, les sondages), des impressions d'efficacité, le développement par objectifs mesurables, etc.
Le nouveau «prêtre» doit savoir maîtriser la scène, alors que par le passé on lui demandait de maîtriser une pensée qui s'articulait dans un discours cohérent et raisonnable. En le disant crûment: ce pasteur devait ressembler à un instituteur spirituel qui prenait ses ouailles pour des élèves. Son lieu de culte était en réalité une salle de classe. D'ailleurs, regardez le vocabulaire utilisé dans ce genre de lieu: professeur, enseignant, étude (d'un texte), explication (d'un texte), discours, orateur, lecture, écrit, école du dimanche.
Le «performer» a comme modèle de communication les mass-média électroniques, les réseaux sociaux. Il ne lit plus son texte, il le vit. Il n'enseigne plus par le discours, il montre un documentaire. Il fait sentir une situation, il sait raconter des histoires, il crée un spectacle. Cela vous horripile? Allez donc faire un tour du côté de l'Evangile, Jésus n'était ni discoureur, ni instituteur, ni orateur. Il était «performer». Bien sûr, ma démonstration est un peu caricaturale, mais acceptons que le modèle scolaire n'était pas forcément la tasse de thé du Christ.
L'autorité du nouveau «prêtre» n'est plus dans ses titres et diplômes, mais dans sa capacité à être «leader»
Par leader, je n'entends pas «capacités à diriger» ou capacités à être un excellent patron. Le leader c'est celui qui passe devant, qui montre le chemin et surtout qui l'a parcouru avant ses ouailles. Du point de vue de la scène, Moïse n'était pas un très bon «performer» puisqu'il avait de la peine à parler en public, mais par contre, c'était un excellent leader. J'irais même plus loin, il faudra développer une sorte de relation de maître à disciple.
Dans la culture du livre, les déviances du «professeur», c'est qu'il devienne mandarin. Pour les nouveaux «prêtres», c'est le côté gourou qui le guette. Il y a également un grand risque que le «prêtre» se transforme en intermédiaire obligé et exclusif entre Dieu et les hommes. Une sorte d'oracle de Dieu. Si les «pouvoirs» spirituels et surtout les dons sont partagés entre maîtres et disciples et que la communauté puisse contrôler la gestion du mystère, l'église pourra prospérer durablement.
Autres pistes à suivre
Sur ce thème, il y aurait encore d'autres horizons à explorer. L'ancien cherchait à éduquer le chrétien. En mission, par exemple, il favorisait l'implantation des écoles avant celle des églises. Pour le nouveau, le recours à la psychologie tend à remplacer l'éducation.
Avant, pour s'étendre, toujours dans la droite ligne de l'école, le pasteur cherchait à enseigner le peuple, Le nouveau va plutôt s'inspirer des techniques de marketing. Le «vivre par la foi», c’est-à-dire la confiance que Dieu va pourvoir financièrement, tombe en désuétude au profit du «sponsoring».
L'école était centralisatrice et homogène. le nouveau système que le nouveau va mettre à contribution, c'est l'organisation tribale, la vie en réseau et non la vie à l'école.