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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Quand le prophète détrône le pasteur

21 Janvier 2021, 09:00am

Publié par Henri Bacher

Quand le prophète détrône le pasteur

Comme nous nous trouvons à la charnière de deux mondes culturels qui imprègnent et modifient aussi la sphère spirituelle, il faut se poser la question du rôle du pastorat ou de la prêtrise dans nos églises. Le rôle du pasteur tend à être en concurrence avec celui du prophète. C’est ce dernier qui monte tranquillement, mais sûrement, sur le devant de la scène. Un nombre de chrétiens de plus en plus grand tend à recourir plus au prophète qu’au pasteur. Au thaumaturge plus qu’au discoureur et écrivain. Pourquoi?

Une nouvelle génération de surfeurs de spiritualités
La culture liée au numérique, surtout celle qui développe les loisirs, l'art, la musique, le théâtre et la religion se développe en parallèle avec le numérique scientifique, technologique. Jusqu’à maintenant, surtout dans la sphère protestante et évangélique, la spiritualité faisait corps avec les textes fondateurs, à l’étude de ceux-ci, à leur mise en valeur, donc elle avait sa place dans l’académie. Avec l’influence de cette culture numérique qui booste l’émotionnel, le sensationnel, l’expérience, le visuel, l'inconscient, le ressenti et par voie de conséquence, le surnaturel et l’irrationnel, nous sommes en face de nouvelles générations de surfeurs de spiritualités. On a beau leur opposer le côté rationnel de la théologie académique, ils n’en ont cure. L’académie pourra très bien analyser les enjeux, les expliquer, un peu comme l'anthropologue qui scrute le comportement d’une tribu amazonienne, mais ce sera très difficile de reproduire sur le terrain, à Paris, par exemple, les pratiques religieuses surnaturelles de ces groupes humains. Les gens voudraient pratiquer l'irrationalité, le surnaturel, le prophétique, pratique qu’aucune académie ne peut enseigner, parce que ça ne s'enseigne pas à la manière scolaire. Le pasteur formé à l’académie n’est pas outillé pour répondre et encadrer une telle demande. Il devra souvent l’apprendre sur le tas, en s’immergeant dans des mouvements qui pratiquent cette spiritualité “irrationnelle”.

Le protestantisme a largement éradiqué le surnaturel
Il ne faut pas oublier qu’à la fin du Moyen-Âge, la spiritualité chrétienne a pataugé dans le marigot de l’irrationnel et que les réformateurs ont drainé ce marécage émotionnel. Ce qui ne veut pas dire que ce n’était pas un biotope exceptionnel, mais à l'époque, on n’était pas très sensible à sa préservation. Aujourd'hui, on comprend mieux l’importance de préserver des biotopes, source d'équilibre. Ce déséquilibre s’est installé grâce au levier technologique de l’imprimerie, qui a permis de standardiser la culture. Aujourd'hui, le levier technologique du numérique permet de « gafa-iser » le monde entier. Là où cette éradication a le plus impacté la spiritualité, c’est lorsque les réformateurs ont « déshabillé » le prêtre, intermédiaire entre le chrétien et Dieu. Ce mot « déshabillé » se retrouve même dans l’habit de nos pasteurs: ils prêchent en costard cravate, en jean, en t-shirt. Ils n’ont même plus de costumes qui signifient qu’ils sont prêtres. Maintenant, on leur colle sur le front un diplôme qui lui donne le droit de prêcher. Dans le catholicisme, le prêtre est le seul habilité, par un geste liturgique, à transformer l’hostie et le vin en « corps » spirituel que le croyant absorbait. Calvin est allé le plus loin dans le déclassement de cet acte de transformation. Il n’a gardé qu’une symbolique un peu vide de sens qui fonctionnait bien dans une culture froide comme celle de l’écrit et de la lecture. Si on regarde de près, on ne trouve que très peu le surnaturel, celui qu’on ne peut comprendre, dans nos activités d’église. On a bien « surnaturalisé » la Bible, mais c’est du surnaturel intellectuel. Pour moi, le côté intellectuel de la foi n’est pas à proscrire, il faut juste comprendre et accepter qu’on a reporté exclusivement le surnaturel sur le texte de la Bible. Ce texte n’est pas l’intermédiaire entre Dieu et nous, au même titre qu’un prêtre ne peut pas être l’intermédiaire entre Dieu et nous. Ce rôle est dévolu au Saint-Esprit qui va utiliser le texte biblique comme référence. Le charismatisme des années soixante dix a fait revenir le surnaturel dans nos communautés, mais il a été vite marginalisé dans pas mal de nos communautés pour éviter les dérives. Le savoir surnaturel a été perdu et pour le récupérer, il n’y a que l’expérimentation, en référence à la Bible, qui permet cette récupération. Qui dit expérimentation, dit aussi ratage, échecs. Pouvons-nous accepter que nos frères charismatiques ont sûrement une des clés de l’avenir, tout en sachant qu’ils font parfois exploser leur labo spirituel, comme certains scientifiques ont fait exploser le leur, avant de réussir dans leur entreprise. 

La revanche du prophète sur le pasteur
Aujourd’hui, le pasteur évangélique est un enseignant diplômé. On ne lui demande pas de nous entraîner dans l’irrationnel et le surnaturel: guérison, prophétie, vision, interprétation des rêves et s’il le fait, il est rapidement suspect dans pas mal de milieux. Pourquoi le prophète prend-il le lead? Il prend la place du « prêtre » catholique, celui qui a un pouvoir supérieur, surnaturel. La culture aidant, le prophète actuel, récupère une place éliminée dans le protestantisme classique. On est d’accord, pas toujours de la bonne manière. Actuellement, les gens sont friands de surnaturel et on ne peut pas le leur reprocher. La Bible nous parle amplement du rôle du prophète, surtout dans l’Ancien Testament. Ce qui guette le pasteur du XXIème siècle, c’est qu’il va être relégué au rôle du lévite, celui qui régit le « temple », la liturgie, les lois de fonctionnement, l’organisation de la communauté.

Il faut réinventer le binôme lévite, prophète
Le prophète dans l’Ancien Testament est souvent un contestataire, un rénovateur de spiritualité, mais il ne prend jamais les rênes du pouvoir temporel. C’est souvent un consultant, au même titre que nos consultants d’entreprise. Il n’est non plus le subordonné du lévite. L’avenir de nos communautés évangéliques, c’est la constitution d’une relation de travail harmonieuse entre le prophète (ou le « producteur » de surnaturel) et le lévite. Ça demandera tout un travail de formation pour adapter la communauté à ce binôme. Le lévite comme le prophète doivent être contrôlés par la communauté, si l’un des deux prend le pouvoir, ce sera l’échec. Le plus grand problème et c’est là qu’il faut éduquer les chrétiens, c’est qu’il faut marginaliser le prophète supra-communautaire. Je m’explique, c’est le prophète qui se constitue une communauté de followers sur les réseaux sociaux et qui n’est plus soumis à personne. Qui va le contrôler? Ce qui va lui donner de l’autorité, c’est le nombre d’abonnés qu’il aura. Il fonctionne comme une star médiatique. Il n’est plus jugé sur sa vie de foi, celle au sein d’une communauté qui le voit vivre dans son groupe social, dans sa famille. Il est adoubé parce qu’il parle bien, qu’il chante bien, qu’il “guérit” bien. Toute image, surtout médiatique, même de guérison, transmise par les réseaux sociaux, est à prendre avec des pincettes. Qui est-ce qui a l’autorité pour le contrôler? C’est plus aisé de se constituer une notoriété sur la base de son seul talent, alors que le lévite doit fonctionner avec plusieurs cordes à son arc, avec un public qui n’est pas toujours acquis à sa cause, ni à son style de communication et de gestion de la spiritualité.

 

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