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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

La maîtrise du langage de l'image: exercice très difficile pour les chrétiens

19 Décembre 2019, 10:17am

Publié par Henri Bacher

Par chrétien, j'entends celui du XXIème siècle, celui "formaté" par la culture du livre et de l'école, dans un monde qui, lui n'est plus boosté par l'école dans le domaine des loisirs et de la culture. Je vais analyser un clip de la slameuse Clothilde pour se faire une idée de ces difficultés.

Le monde numérique nous "cannibalise"
Bravo pour cette artiste qui a produit un clip professionnel, agréable à regarder. Beau travail!
Je me sens d'autant plus emprunté à émettre des bémols. Mais ces bémols permettent justement de montrer les difficultés de la transmission de l'évangile dans un monde post-chrétien qui n'est plus catéchisé. En publiant sur Youtube, on est comme sur une place publique et non à l'église. Le contenu du clip est un message codé pour les gens de la "place publique". En tant que chrétiens, nous pensons que ce que nous disons, dans notre langage à nous, est si simple à comprendre, mais, hélas, notre message ressemble à un codage informatique que seul l'initié peut décrypter. Mettez-vous à la place du spectateur qui essaye de comprendre ce message, sans avoir aucune clé pour saisir, par exemple, le sens du mot "grâce". Mais je me mets aussi à la place de l'artiste. Si elle essaye de parler pour l'auditoire de la place publique, ses follovers chrétiens trouveront, probablement le message très superficiel, comme le clip de Benjamin Kraatz du post précédent. Il nous faut un autre "codage" pour atteindre l'extérieur de nos églises. Et puis, il faudra "catéchiser" ces personnes pour leur donner les clés de la spiritualité chrétienne. Malheureusement, nos catéchismes du passé ne sont plus "codés" pour le XXIème siècle. Nous sommes comme des missionnaires dans l'hémisphère sud, au XIXème siècle, à devoir transcrire l'évangile et nous n'avons plus la possibilité d'installer nos propres écoles pour "formater" notre public, selon nos propres critères socio-culturels. C'est le contraire qui se passe, le monde numérique nous "cannibalise" et c'est à nous de nous adapter. 

Un message "bouillie"?
Le deuxième bémol concerne plutôt un aspect technique ou de composition graphique. Si on enlève l'audio, donc le texte slamé, on n'a qu'une bouillie de mots qui ne transmettent aucun message intelligible, si ce n'est que la foi est vraiment compliquée. Le chrétien lambda, lui, sera très satisfait. Il retrouve des mots qui font sens pour lui. Lorsqu'on utilise texte et image, il faut que les deux puissent fonctionner réellement en symbiose. Or, dans ce clip on comprend le Slam sans avoir les images, mais l'inverse n'est pas vrai. On ne comprend pas le sens du message visualisé sans le slam. C'est le principe du texte de nos livres dont on illustre les propos par des images. L'important, c'est le texte, pas les images. Les images, c'est juste pour décorer, comme ici les mots animés. Voici le lien sur un clip que nous avons réalisé et qui allie, cette notion d'images et de textes. Si on n'a pas les images, on ne comprend pas le texte, si on n'a pas le texte on ne comprend pas l'assemblage les images.

L'écoute du Saint Esprit
Pourtant, je vais mettre un bémol à mon propre bémol. Aussi pour montrer que ce n'est pas aussi simple de s'adapter. Nous essayons de transmettre la Bible, en audio, à des gens qui n'aiment pas lire et nous illustrons le texte biblique. Dans le domaine de la Bible, nous favorisons l'audio au détriment de l'image. Exactement ce qu'a fait la slameuse Clothilde. La foi vient de ce qu'on entend et non de ce qu'on voit et j'ajouterai, au grand dam de certains chrétiens, de ce qu'on lit! Pour nous, les illustrations (du texte biblique) ne sont utilisées que pour fixer le regard. L'homme occidental a été éduqué à privilégier la vue. Un texte se lit. Il n'écoute pas le texte, avec ses oreilles, il le décrypte par la vue. Maintenant le texte qui se "voit" (qui se lit) a été remplacé par l'image qui se regarde. Et l’ouïe dans tout ça? L'oreille occidentale n'a pas été éduquée à écouter. Le maître mot dans l'Ancien Testament, c'est "Écoute Israël...". Dans la parabole du Christ, les brebis qui suivent le berger écoutent le berger*. Est-ce que l'église ne devrait pas favoriser l'écoute au lieu de la vue? La vue qui fait lire ou "voir" un texte, qui fait confiance à des images porteuses de spiritualités (concerts très visuels, clips vidéo, stars du showbiz évangélique, etc.). Dans le domaine de l'écoute vient l'écoute de l'Esprit Saint. Que mes lecteurs ne se méprennent pas, je ne veux pas promouvoir une spiritualité pentecôtiste, même si je crois que l'Esprit Saint peut parler en visions, prophéties, paroles de connaissances, en textes, en images, etc... Moi, ce qui m'intéresse, c'est comment apprendre à "écouter" la voix de Dieu et la mettre en pratique. Si nous enfourchons, sans discernement, la culture montante du numérique et des images, nous allons favoriser l'idolâtrie et les gestes liturgiques. Le nombre de gens qui mettent des "amen" comme commentaires sous un verset biblique, me fait penser à ces chrétiens qui font le signe de croix en passant devant une église, comme la culture du livre va favoriser l'endoctrinement et l'interprétation littérale de la Bible en sacralisant le texte.

* Voir l'excellent livre de la philosophe Vinciane Despret "Composer avec les moutons" Ed. Cardère, 2016
C'est une perspective philosophique laïque, non religieuse qui s'inspire, en fait, du fonctionnement de la Création (du monde des moutons et du berger), pour comprendre les rapports entre nous et notre milieu.                           

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