Israël et les Évangéliques, une histoire controversée - Point de vue
En ce début de l'année 2025, nous entrons dans une zone de turbulence, à l'occasion du passage de témoin à la tête des USA.
Mais saviez-vous qu'à l'origine de la création de l'État d'Israël se trouvent les Réveillés du 19e siècle en Angleterre? C'est la thèse d'un historien, Jean-Pierre Filiu, qui est professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po (Paris). Il publie une histoire d'un conflit (19e-21e siècle)*.
* Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n'a pas gagné, Ed. Seuil, 2024.
Ce livre ouvre une fenêtre intéressante par un auteur qui part d'un point de vue historique et non biblique ou théologique. De plus, il a développé sa réflexion dans un cadre strictement laïc. Je m'inspire de ce livre que je trouve avant tout plausible, sans forcément lui attribuer le label «Vérité» cher aux évangéliques.
Voici sa thèse:
O Ce ne sont pas les Juifs qui, à l'origine, se sont mobilisés pour la création d'une présence en Palestine. Au contraire, ils étaient plutôt réticents à cette idée.
O Le sionisme était à son origine piloté par des chrétiens protestants anglo-saxons, qu'on pourrait plutôt qualifier comme évangéliques, et Filiu parle du sionisme chrétien qui a précédé le sionisme politique.
O Dès le milieu du 19e siècle, le protestantisme anglo-saxon a été fortement influencé par la vague prophétique qui était le «carburant» du Réveil. Pour que ces prophéties se réalisent, liées au retour du Christ sur terre, il fallait que préalablement Israël se reconstitue en tant que peuple sur ses terres ancestrales.
O Ce sont plutôt les prédicateurs revivalistes et dispensationalistes comme le révérend Georges Bush, un ancêtre des présidents Bush américains du 20e siècle, qui, dès 1844, avec son ouvrage La Vallée de la vision ou la renaissance des os secs d'Israël, ont lancé le train. Les John Nelson Darby (1800-1882) et Cyrus Scofield (1843-1921) ont enfoncé le clou pour populariser la théologie des dispensations.
O Il y a eu tout un engouement parmi les protestants-évangéliques, à tel point que le baptiste Thomas Cook, pionnier des modernes agences de tourisme, lance en 1869, à Jérusalem, des voyages pour découvrir la Palestine sous l'angle biblique.
O L'assassinat, en 1881, du tsar Alexandre II déclenche, entre autre, des pogroms anti-juifs. 600 000 Juifs fuiront aux États-Unis au cours des 15 années suivantes. Curieusement, ce flux ne se dirige pas vers la Palestine. Les Juifs sont encore loin d'une prise de conscience d'un État juif en Palestine.
O Théodor Herzl est considéré comme le fondateur du sionisme politique en lançant, en 1897, l'Organisation sioniste mondiale, soit après les Réveillés qui ont labouré, bien avant, le Réveil de leurs prophéties du retour des Juifs en Palestine.
O Lors du premier congrès sioniste (politique) à Bâle en 1897, Herzl accueille trois observateurs chrétiens, dont le révérend anglican William Hechler qui a publié en 1893 son livre La restauration des Juifs en Palestine conformément aux Prophéties. Herzl leur donne le nom de «sionistes chrétiens».
O Dans la modernité, les évangéliques menés par Billy Graham, Jerry Falwell ou Pat Robertson furent de grands défenseurs d'Israël et des promoteurs de celui-ci, jusque dans le sérail des présidents américains. Pat Robertson, lors d'un voyage en Israël, en 1974, a reçu au Mont des Oliviers la révélation qu'il devait orienter son ministère vers un soutien à Israël.
Que peut-on en tirer pour nous, aujourd'hui?
O L'histoire des Juifs en Palestine est chevillée au corps des nations anglo-saxones et spécialement à celui des États-Unis.
O La dernière élection qui a amené Donald Trump à la présidence suprême en est un exemple flagrant. Aurait-il eu un tel succès sans sa défense d'Israël? Nous considérons les chrétiens nord-américains comme des irresponsables en élisant un président menteur, déjà condamné par la justice de son pays, alors qu’eux ont, peut-être, en ligne de mire la réalisation des prophéties. Ce qu'on pourrait leur reprocher, c'est de faire plus confiance à un homme politique pour accomplir les prophéties qu'à Dieu lui-même. Sauf que Dieu n'accomplit pas ses desseins sans tenir compte des humains. Il ne travaille pas à leur insu.
O Nous devons accepter que nous ne comprenons pas grand-chose sur la manière dont Dieu agit dans le monde. La tragédie de Gaza ne vous rappelle-t-elle pas la conquête de Jéricho, ordonnée par Dieu? Je ne suis pas en train de justifier la cruauté des Israéliens et des Palestiniens, mais nous devrions peut-être avoir plus de retenue en jugeant les uns et les autres. D'autre part, en prenant en compte que Dieu a laissé massacrer son propre Fils sur la croix, il n'était pas en reste du partage de la souffrance occasionnée par les humains.
O Il y a quand même une constatation à faire. Nous avons souvent considéré le Réveil du 19e siècle comme avant tout une action pour renouveler le christianisme, alors que l'intention de Dieu, entre autres, était peut-être plutôt celle de lancer un mouvement de présence significative juive en Palestine au travers de l'action de ces revivalistes.
O Le peuple d'Israël, avec l'Ancien Testament, a servi de support au lancement du christianisme. Sans les Juifs, nous ne serions pas chrétiens (Romains 11:16-18). Pourquoi Dieu n'utiliserait-il pas, en retour, le christianisme pour honorer les promesses que Dieu a faites à Abraham (Genèse 15:18), car il n'a jamais oublié les juifs. Le christianisme a peut-être trop vite mis les Juifs de côté.
Comme pour le livre de Jean-Pierre Filiu, prenez mes réflexions comme «plausibles». Je ne défends pas une vérité.