Naître de nouveau à la réalité
Quelques généralités
Une culture a toujours une tendance hégémonique, elle n'aime pas partager son expérience. Le problème de la migration des humains sur la terre provient, entre autre, de cette difficulté de mélanger, de faire inter réagir les cultures, sans se battre.
La culture de l'écrit se fait brouter la laine sur le dos par les nouveaux leviers technologique du numérique.
Le parent pauvre de toute spiritualité, liée à une culture, c'est d'avoir souvent peu de prise sur la réalité de nos vies, du monde politique, culturel, religieux.
La formation de nos élites pastorales a misé plus sur le potentiel scolaire en pensant que la culture numérique fait juste office d’enluminures, de faire-valoir de l'ancien tissu.
Une fuite en avant vers le haut: toujours plus puissant, plus performant
On est maintenant dans le «Cloud», alors qu'on devrait se retrouver sur le plancher des vaches, dans la réalité de la vie. Notre tête se trouve dans les nuages et on ose même rivaliser avec Dieu. On construit des tours de Babel numérique. Notre exploration planétaire n'est pas allée plus loin que la banlieue proche de la terre, mais on croit comprendre comment est né l'univers.
Les théologiens et les scribouilleurs comme moi, nous sommes convaincus que nos proses, nos clips vont permettre de vivre mieux, alors que nous participons simplement à une fuite vers les nuages, sans vraiment changer grand-chose au quotidien. Comme du temps des deux guerres mondiales où le christianisme socio-culturel avait encore une grande importance. La guerre en Ukraine révèle aussi un conflit sur fond de confrontation spirituelle.
Dans le Cloud circulent des millions de messages chrétiens écrits, mais aussi en vidéo et pourtant la réalité des gens devient un malström. Les désordres urbains, les contestations socio-politiques, le manque de cohésion familiale, sociétal empire de plus en plus et les églises en Europe se dégarnissent.
Renaître à la réalité et non rester dans le Cloud de nos pensées et de nos émotions
C'est le modèle christologique qui devrait piloter notre réflexion et notre action: incarnation en naissant d'une vierge, vie quotidienne parmi les gens, résurrection, ascension.
Trop souvent nous commençons par la fin, celle de l'ascension. Nous partons du haut pour descendre vers le bas, alors que le Christ a commencé sa vie sur terre dans le ventre d'une femme. Pour continuer, il n'a pas joué au messie. Il a commencé par servir, guérir, par rejoindre, lui, le fils de Dieu, la plèbe, les prostitués, les ivrognes, des disciples à qui il dit: jusqu'à quand je vous supporterais? Il est resté jusqu'à sa fin, sur terre, dans le mode «descendant». Jusqu'à descendre se faire tuer sur une croix.
Petite contestation inamicale: pourquoi donne-t-on la prééminence aux jeunes diplômés, surtout académique, pour favoriser un rôle de leader dans nos communautés? Ne faudrait-il pas attendre qu'ils aient fait le parcours de l'incarnation, une renaissance dans la réalité? Une vie parmi les gens? Je ne suis pas en train de suggérer de passer par une crucifixion pour trouver sa place dans une communauté!
Nous associons l'eau avec la spiritualité et la symbolique de la naissance virginale. L'eau, de par sa consistance, est toujours plus lourde que l'air ou le vent. Elle descend toujours vers le bas. Elle s'infiltre dans n'importe quel endroit terreux (de la terre intime des humains) qui lui laisse un interstice ouvert.
Mais l'eau devient aussi vapeur! Dans ce cas, elle entre dans un cycle que nous avons complètement zappé en spiritualité. Si l'eau, qui devient nuage, ne redonne pas sa substance sous forme liquide, elle engendre de la sécheresse. Ces cycles de transformation se retrouvent partout dans la Création de Dieu. Ce sont des principes universels. Nos théologiens du cloud, passent-ils aussi leur expérience spirituelle, académique, dans la réalité des gens? Ou bien, leur enseignement reste-t-il sous forme de «vapeur spirituelle»? La culture numérique produit aussi énormément de «vapeur», pas seulement celle des «lettrés».
Conséquences pratiques?
Pour le théologien et le pasteur
Il devrait vivre parmi les personnes qu'il veut enseigner, éduquer. Le meilleur moyen c'est de travailler parmi les gens pour gagner en partie sa vie. C'est dommage que l'expérience des prêtres-ouvriers, dans l'église catholique, a tourné court. Il devrait, en tout cas, le faire de temps en temps. Pour ma part, j'ai travaillé comme préparateur en pharmacie, comme chauffeur de bus de tourisme, comme évangéliste à plein temps, comme rédacteur internet en entreprise. J'ai suivi une formation dans un institut théologique. Le principe de base: mélanger la réalité et le monde de la pensée élaboré dans les «nuages».
Pour le chrétien
Une communauté chrétienne commence souvent par deux ou trois personnes qui se réunissent dans un appartement. Dans la réalité des gens. C'est le début dans le ventre d'une femme: peu visible au départ, principe d'un développement qui dure un bon moment, plusieurs mois pour un enfant, parfois plusieurs années pour une communauté. Une des plus grandes communautés chrétiennes en France s'est lancée à partir de la cuisine du fondateur.
Conclusion
Nous sommes très friands en Europe des annonces de réveils spirituels. Comme lors de la Pentecôte à Jérusalem, mais nous devrions aussi être attentifs aux «inséminations spirituelles» qui sont mises en route que par la rencontre d'un «spermatozoïde» et d'un «gamète». C'est le fameux texte de la rencontre du Christ avec Nicodème (Jean 3): la nouvelle naissance. Une conversion qui ne se vit pas dans les nuages, mais dans la réalité des humains.