Sommes-nous en train de couler nos églises?
Sommes-nous en train de couler nos églises? C'est très mal venu de poser ce genre de question aujourd'hui, alors que nous avons l'impression de sortir un peu de cette zone grise où, nous les évangéliques, on a été maintenu par les réformés et luthériens. Nos facultés tiennent tête à celles des fils légitimes de Calvin et de Luther. On devient «Pro» et on se situe «Haut». On n'est plus seulement une école quelconque, un descendant de ces écoles bibliques, accessibles aux camionneurs et électriciens qui n'avaient même pas le bac. Je ne veux pas tirer à boulets rouges sur nos institutions de formation. C'est un très bon développement, mais je voudrais attirer l'attention, en me basant sur une histoire dramatique survenue en Suède, en 1628, pour montrer qu'on peut aussi se fourvoyer en voulant faire trop bien, trop sophistiqué, trop recherché, théologiquement parlant.
L'histoire du Vasa
Ce bateau amiral a coulé, en 1628, dans le port de Stockholm, lors de son voyage inaugural, devant la cour royale, massée sur les quais. Il n'a parcouru qu'une petite distance avant de sombrer. Il n'y a eu que 33 morts, puisque le haut des mâts qui sortait encore de l'eau, après le naufrage, a permis, à beaucoup de marins et de soldats qui ne savaient pas nager, de s'échapper du bateau et être secourus par des chaloupes. Le bateau était conçu pour transporter environ 450 personnes, dont 133 membres d'équipage, le reste étant constitué de soldats. C'était une population équivalente à une petite ville suédoise de l'époque. Trois siècles plus tard, le bateau a été renfloué et reconstitué. Pour l'abriter, il a fallu construire un musée dont le plafond était à 33 m. Ce navire faisait figure, à l'époque, d'avancée technologique et il a coulé, rien qu'avec quelques bourrasques qui l'ont fait chavirer, permettant à l'eau de s'engouffrer dans les écoutilles ouvertes, pour montrer, au roi, les tout nouveaux canons.
Pourquoi raconter cette histoire et en quoi peut-elle nous concerner?
Pour moi, ce naufrage représente un peu, ce qui nous arrive à nous. J'en fais une lecture symbolique. Le Vasa a été construit sur un ancien modèle. La forme de la coque immergée n'était pas différente de ce qui se faisait, sauf que les concepteurs ont doublé la hauteur des ponts-batteries, pour accueillir de tout nouveaux canons plus lourds et plus performants. Le poids du bateau en a été considérablement augmenté au-dessus de la ligne de flottaison. D'où la difficulté de garder l'équilibre et le risque de provoquer son chavirage même par vent léger. Bien sûr, ils n'avaient pas les technologies de calcul d'aujourd'hui, mais ils n'ont pas pris la peine de tester, au fur et à mesure, l'impact de leur superstructure qui aurait dû leur assurer la maîtrise des océans.
C'est un peu ce qui se passe pour nous. Nos communautés évangéliques ont été souvent lancées par des non-professionnels. C'était des vignerons, des paysans, des artisans ou des instituteurs. Ils avaient une coque «immergée», spirituellement parlant, qui tenait bien sur l'eau, mais ce n'était pas des navires amiraux. Et voilà qu'arrivent de nouveaux «développeurs» qui n'étaient plus tellement satisfaits de ces embarcations qui faisaient grise mine à côté de la flotte royale des «réformés». Même si ces derniers, perdaient de plus en plus de «batailles», on leur enviait leur savoir «maritime» et leurs galons de capitaine ou plutôt leur galon de théologien. De plus, on a rajouté de nouveaux «canons» plus lourds, plus performants, comme la vidéo, les images, la musique électronique, etc... On a construit des «double ponts-batteries», sans tenir compte que l'ancienne coque ne pouvait pas supporter le poids de ces nouvelles technologies et de ces nouvelles approches théologiques, plus académiques, plus analytiques.
Que faut-il entreprendre?
Loin de moi de dire qu'il faut laisser tomber le savoir académique et les galons de théologien. Ce qui est important de savoir, c'est que tout dépend de la structure «immergée» de la coque. Cette structure est liée à des identités, des savoirs-faire spirituels, des manières de se dire, de vivre. Nos milieux sont très liés à la manière «scolaire» de vivre la foi. L'enseignement est l'aspect le plus important dans la communauté chrétienne. C'est notre «coque immergée». Si on rajoute des superstructures, des «double ponts-batteries», avec des canons numériques plus puissants, est-ce qu'on va vraiment faire croître l'église? J'ai peur qu'on la fasse couler. En regardant ce qui s'est passé au cours de la pandémie de 2020, j'ai l'impression qu'avec l'introduction systématique de la vidéo pour faire communauté, cela ressemblait un peu à l'expérience du Vasa. Est-ce que la bateau «église» a été soulagé ou alourdi? Ce qu'on peut reprocher aux concepteurs du Vasa, c'est de ne pas avoir testé leurs innovations, ni en mesurer le coût, au lieu de tout de suite les mettre en oeuvre à grande échelle. Dans nos fédérations d'églises où sont nos pôles d'innovation et de test? Avec test, il y a aussi les évaluations.
Commencer par la coque
C'est difficile de construire de nouvelles structures spirituelles, techniques, théologiques sur l'ancienne «coque». Ce fut l'expérience des réformateurs comme Calvin et Luther. Ils ont tout reconstruit en changeant aussi la forme de la «coque». Au début, ils pensaient pouvoir réformer l'ancien tissu ecclésiastique. Ils ont dû déchanter. La «coque» réformée ne ressemblait plus tellement à la «coque» catholique. Ce qui veut dire pour moi, qu'il faut encourager les concepteurs qui veulent mettre à l'eau un nouveau type de bateau, plus adapté aux «combats» navals de la culture numérique. Et franchement, une flotte devrait se composer de différents types de bâtiments. Nous avons besoin d'une flotte diversifiée et non de bateaux amiraux dirigés uniquement par des galonnés.