Que faut-il garder de cette pandémie qui nous a bousculé?
Cette pandémie, dont nous sortons à peine, c’est un peu comme un raz de marée qui engloutit certaines choses, mais va mettre en évidence d’autres, que nous ignorions avant. Tout à coup, presque du jour au lendemain, nos pasteurs ont dû se mettre à la diffusion en vidéo pour faire «communauté». Certains ont vite déjantés et se sont rendus compte qu’on ne pouvait pas transposer un culte classique adapté pour des locaux en dur, sur un support numérique.
La vidéo un intrus, triomphant et «chahuteur»
On a fait un sondage auprès de quelques pasteurs à l’aide d’un questionnaire. Il en est ressorti que les plus grands problèmes de nos responsables d’églises étaient de trouver des gens compétents, de gérer de nouveaux instruments techniques, d’adapter le contenu.
En fait, le monde des images, de la vidéo, c’est comme ce bonhomme de la caricature qui surgit au milieu d’un texte. Il le déchire en partie. L’image vidéo qu’on a été obligé d’utiliser a fonctionné comme un intrus, triomphant, chahuteur. Il ne valorise pas le texte et toute la manière de rendre compte de ce texte. Il est difficile de transposer nos cultes sur support numérique.
L’image par rapport au texte est toujours plus imposante dans sa manière de dire ou de ne pas dire les choses. Ce n’est pas pour rien que Dieu interdit le recours à l’idole, puissant rouleau compresseur de la spiritualité. L’image, c’est comme une loupe grossissante de ce qui est bien, mais aussi de ce qui est mal (du point de vue de l’image). Si vous lisez un texte à l’écran, comme un élève dans sa classe d’école, un certain public ne vous le pardonnera pas, parce qu’il est habitué à des stand-upper (quelqu’un qui donne l’impression d’improviser, alors que que son texte est composé pour la diffusion orale et appris par cœur). Comme lorsque vous écrivez, vous faites attention à la grammaire, avec l’image, c’est pareil, il y a une «grammaire visuelle» et nos spectateurs-auditeurs sont des gens de plus en plus au clair avec les mises en images. Ils n’acceptent plus n’importe quoi. Comme en écriture, on ne s’improvise pas écrivain. Il y a certaines personnes qui passent bien à l’écran, c’est leur talent et d’autres pas. Bien sûr, le pasteur qui interroge ses ouailles va recevoir des compliments, car il s’adresse à des «insiders», des convaincus qui ne veulent pas faire de la peine à leur pasteur. Combien de personnes vont vers leurs pasteurs pour signaler qu’ils s’ennuient au culte? Imaginez que le prédicateur soit noté à la fin du culte. Inimaginable! Et pourtant, le défunt académicien, Michel Serres, se faisait noter par ses élèves à Stanford où il enseignait. En France, on ne note que les élèves.
Cette pandémie nous a mis devant une réalité existentielle différente. On découvre à nouveau notre fragilité humaine, mais dans le domaine de l’église se découvre une autre fragilité, celle de la difficulté du contact avec notre prochain dans un univers qui nous est étranger. C’est plus facile de prêcher devant un public captif, vissé sur sa chaise, qui ne peut pas aller fumer une clope ou boire un café, pendant que le prédicateur finit son speech ennuyeux. C’est plus simple de décréter que le monde est postmoderne et qu’il ne s’intéresse plus à Dieu.
Comment continuer?
C’est comme si à la Réforme, sous prétexte de l’émergence de l’imprimerie, les réformateurs avaient transformé leur église en librairie. On aurait lu et commenté des livres. On aurait partagé nos expériences avec le livre. On se serait échangé des bouquins. Ce n’est pas ce qu’ils ont fait. Par contre, ils se sont inspirés de la manière de parler, d’analyser, de communiquer du livre pour rencontrer leur auditoire. Nous sommes appelés à nous inspirer du plateau de télévision pour communiquer, sans transformer l’église en show télévisuel. Ce qui veut dire qu’il ne faut pas forcément continuer à diffuser nos cultes sur le net. Ça demande beaucoup de compétences. Mais, dans nos murs, on ne pourra pas s’éviter un relookage qui s’inspire de la télévision. Il faut que le prédicateur arrête de lire un texte composé pour le livre, alors qu’il communique mieux en stand up, micro à la main et sans chaire. La chaire n’existe plus que pour les politiques et les pasteurs. Il faut coller au rythme télévisuel. On est encore dans le cadre de l’école. L’élève est là pour apprendre et écouter le maître. Mais même ce modèle est caduque dans l’école laïque où on enseigne de plus en plus par participation, par expérimentation.