Pourquoi nos ados et jeunes ont-ils de la peine à suivre le culte?
Souvent nos ados et nos jeunes ne suivent plus le chemin du culte de leurs parents. Soit, ils le boycottent carrément, soit ils vont dans des communautés plus accueillantes du point de vue culturel. Quelle position adopter?
À nouveau, je vais enfourcher la grille de lecture de la culture. La religion et par ricochet toute spiritualité est liée à une culture. La culture a souvent été façonnée par la religion, mais depuis la Renaissance, c'est plutôt le contraire, c'est la spiritualité qui a dû s'adapter à la culture. Cette tendance s'accentue avec la culture numérique. Nos difficultés d'évangéliser le monde occidental ne proviennent pas de notre paresse à témoigner, mais plutôt de notre inadaptation culturelle.
La culture liée au système scolaire a plus évolué que les églises
Les instituteurs et autres professeurs des écoles n'ont d'autres choix que de s'adapter à la culture montante. Ils n'ont plus le pouvoir de mener leurs élèves à la baguette et d'imposer leur pouvoir "culturel". D'ailleurs, nos élites politiques, qui dirigent les écoles, sont tellement sous la pression des "concurrents" liés au numérique, qu'ils sont obligés de lancer des réformes à tout bout de champs. En l'espace de quelques décennies, nos enseignants ont presque changé de métier. Lorsqu'une enseignante de ma connaissance, en Suisse romande, pour une classe d'âge de 9 ans, aligne 17 m de corde dans la cour de récréation pour évaluer l'âge de la terre, elle n'est plus dans le stricte domaine analytique. Elle transmet par le ressenti. Surtout quand elle prend des ciseaux et coupe 1 cm de corde, pour montrer que ça correspond à l'apparition de l'homme sur cette fameuse terre.
De plus, les enfants et les ados se développent, aussi, culturellement dans un espace qui n'est plus ni du seul ressort de l'école, ni de la société des loisirs liés au patrimoine culturel (fêtes folkloriques, sportives, associatives, etc..), ni du ressort de l'église lorsque celle-ci avait encore un impact au travers du catéchisme obligatoire.
Les églises réformées et évangéliques se sont beaucoup appuyées sur l'école pour se développer et elles pataugent dans ces cultures du numérique liées au visuel et à l'émotion.
L'exemple suivant montre bien cette difficulté:
Ce clip est du point technique, esthétique, graphique, d'excellente facture. Mais... et c'est bien là le problème. Le visuel a été construit sur une base analytique. Si on fait abstraction du visuel, on comprend parfaitement l'argument. On n'a pas besoin du visuel. C'est plutôt de la décoration pour donner l'impression qu'on "parle" la langue des ados et des jeunes. Je ne crache pas sur ce genre de productions. Ce sont des réalisations intermédiaires entre le monde de "l'école" et celui du numérique. Mais ces productions ne font pas revenir les jeunes à l'église. C'est un peu comme les théologiens qui collent une approche "scientifique" (le refus du darwinisme, par exemple) sur un texte de la Genèse qui est une construction littéraire non destinée aux scientifiques. Il y a distorsion. Ou bien, comme si on prenait Proverbes 31, au verset près, pour définir exactement le rôle de la femme dans le foyer chrétien. De plus, dans ce clip, le jeune, à qui est destiné ce message, ne sera absolument pas sensible à la notion hébraïque du verbe aimer. Ce n'est plus de sa culture, mais par contre pour le théologien classique, c'est un must de revenir à la signification originelle. Ce qui n'enlève rien à la qualité de la production.
Les églises sont en butte à une rupture culturelle fondamentale
C'est bien là le fond du problème. Il n'y a plus de continuité culturelle entre l'enfance et le monde adulte de nos églises. C'est un peu comme ces migrants chrétiens de l'hémisphère sud qui n'arrivent pas à s'intégrer dans nos églises traditionnelles du nord. Ils ouvrent des églises ethniques. Nos jeunes sont devenus des "migrants" du point de vue culturel. Les nouvelles communautés "ethniques" culturellement parlant, c'est peut-être ces églises "boum-boum" qui nous viennent d'Australie ou d'ailleurs qui ont des noms comme "Planetshakers" (secoueurs de planètes). Les églises qui planent sur les "Ailes de la foi" n'atteignent plus le firmament des planètes. Ce n'est pas une tare, ni un péché, que de rester sur son vieux "continent" culturel, sauf que si on ne fait plus de "gamins-culturellement-adaptés-au-monde-actuel", on va mettre la clé sous la porte.
Que faut-il faire?
C'est comme pour l'intégration des migrants géographiques. S'ils ne sont qu'une poignée, c'est à eux de s'adapter. Ils vont entrer dans le moule, si, pour eux, c'est leur seule possibilité de survie. Si c'est un nombre plus important que la communauté qui les accueille, c'est eux qui vont transformer l'église selon leurs critères spirituels et culturels. Nos jeunes ne sont plus obligés d'entrer dans le moule, à moins qu'ils le fassent par loyauté familiale. C'est une illusion de croire que le groupe culturel dominant pourra accueillir cette jeune génération "boum-boum" d'une façon harmonieuse. Comme la culture est aussi liée à l'identité d'une personne, l'ancienne génération se met en danger identitaire. C'est terriblement déstabilisant.
Donc, ouvrez, sous le même toit, un espace adapté pour ces nouveaux "migrants" qui viennent de la culture numérique. Ne clonez pas la liturgie ni les activités de votre ancienne communauté. Inventez une nouvelle manière de faire communauté. Dégraissez les vieilles habitudes liturgiques. Laissez la bride sur le cou aux créatifs et ne donnez pas le lead à des "instituteurs" spirituels. Créez, sous le même toit, un réseau inter-communautaire et le pasteur principal deviendra le pasteur du réseau. Celui qui gère la référence à la Bible, comme instrument d'évaluation, en sachant bien que sa lecture du texte sacré aura toujours une teinte culturelle. Ce nouvel espace sera comme un greffon de vigne. Il profitera de la sève nourricière, donc aussi financière, mais le cépage sera différent du pied. Créez des liens non-liturgiques dans le réseau (compagnonnage, coaching, entraide, activités sociales, conseils, relation d'aide, etc... ). Ce sera comme un domaine vinicole qui produira différents cépages spirituels, différentes vinifications et peut-être différentes mises en bouteille pour atteindre différents publics. Et à l'occasion, il n'est pas interdit de goûter le cru dans le carnotzet du vigneron qui fait partie de la même "coopérative" spirituelle.