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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

La Bible, objet nomade

30 Mai 2024, 07:00am

Publié par Henri Bacher

La Bible sort du monde de l'oralité archaïque pour entrer dans le monde de l'oralité électronique

La Bible sort du monde de l'oralité archaïque pour entrer dans le monde de l'oralité électronique

La thèse que je voudrais défendre dans cet article, c'est que comme le livre (dans le sens de support) a été le premier objet nomade produit en série (1), c'est le smartphone qui va jouer ce même rôle dans les décennies à venir, avec des possibilités décuplées. Comme le livre et par ricochet la Bible «nomade» ont ouvert de nouveaux espaces technologiques, sociaux et culturels, le portable transformera notre relation aux autres et au monde des objets. Il sera aussi à l'origine d'une nouvelle manière de méditer la Bible. Si la Bible papier avait raté ou négligé le support «livre imprimé» la spiritualité réformée, évangélique et catholique n'aurait pas le même visage aujourd'hui. Si la Bible loupe le support «smartphone», elle disparaîtra et retournera dans les oubliettes et les sphères spécialisées et "parcheminées".

Le temps des imprimeurs et le défi du smartphone
On imagine aisément l'impact socioculturel opéré par l'invention de l'imprimerie et par la diffusion de livres, dont la Bible était, au début de l'aventure des imprimeurs, le vaisseau amiral. On peut fustiger l'église du Moyen-Âge de n'avoir pas mis la Bible au centre de ses préoccupations et activités. C'était matériellement impossible. Le parchemin était hyper fragile et ne se prêtait guère au transport. De plus, comme la duplication de la Bible se faisait à la main, elle était un document rare. Il n'y avait que les spécialistes qui utilisaient ces parchemins. C'est donc l'invention d'un levier technologique comme l'imprimerie qui a boosté sa diffusion. Pour l'époque, les imprimeurs avaient un outil de travail super puissant et efficace. Donc, il fallait le rentabiliser et rapidement. Un des textes d'envergure qu'ils avaient sous la main, prêt à être imprimé, était la Bible. C'était bien la «chance» de celle-ci. Communément, on pense que c'est les réformateurs qui ont mis la Bible à l'honneur parmi le peuple. C'est certain, puisque c'étaient des penseurs de types universitaires fortement liés à l'humanisme. Pourtant, ce ne sont pas eux qui ont mis expressément les imprimeurs en route. Il y a eu un entrelaçage de circonstances tant techniques, économiques, sociales, linguistiques, culturelles ou religieuses qui a contribué à la diffusion de la Bible. Mais l'invention de l'imprimerie ou plutôt l'invention des lettres mobiles a déclenché ce processus. Leçon à retenir pour aujourd'hui: ne soyons pas méfiants face aux nouveaux leviers technologiques, comme l'était la Sorbonne à Paris, tenante d'une vieille tradition d'enseignement. Elle a même réussi, pendant un certain temps, à faire interdire les imprimeurs dans la capitale française. Sommes-nous prêts à croire et surtout à accepter que la Bible-papier d'aujourd'hui sera marginalisée par le nouveau support qu'est le smartphone? Difficile à admettre. Comme du temps des imprimeurs, il faudra réadapter le texte pour le portable, le «traduire» pour un nouveau public, le découper différemment, en quittant l'organisation en chapitre pour privilégier la péricope (2). Peut-être trouver un nouveau système de classification, plus maniable pour la recherche à partir d'un smartphone. Les imprimeurs ont dû inventer de nouvelles fontes miniatures mobiles pour empêcher que les lettres ne «bavent». Les textes originaux ne comportent pas de division par chapitres et c'est en 1555 que Robert Estienne publie la Vulgate avec la numérotation actuelle des chapitres et des versets. La division en chapitres avait déjà été effectuée en 1227 par Stephen Langton, mais pas la division par versets. Vous allez peut-être penser que ce sera facile: il n'y a qu'à prendre une bonne traduction moderne et simple comme «Parole de Vie» et adapter ce texte à l'écran des portables. Ce n'est pas aussi simple, parce que ce nouveau support va plutôt utiliser de l'audio et de la vidéo. C'est là notre difficulté. Exit la lecture! Le portable sera le support de l'oralité électronique, comme le livre a été le support de l'écrit. On a, bien sûr, mis des images dans les livres, mais le manuscrit papier est fondamentalement resté un support pour lire. Le mobile permettra de lire un texte écrit, mais il sera fondamentalement un support propice au multimédia, à la vue et à l'ouïe. Le portable est déjà répandu par milliards sur la planète et les pays émergents sont souvent mieux équipés en portable qu'en ordinateur de bureau ou en livres. 

La «Bible-nomade-papier» crée un nouveau mode de méditation
C'était probablement l'avancée la plus spectaculaire du temps des imprimeurs: la Bible est devenue un objet portable et nomade. Elle pouvait se transmettre de main à main, s'envoyer par courrier, se distribuer, être ouverte dans n'importe quel endroit sans trop de précaution. Elle pouvait donc aussi sortir du monastère et du lieu de culte. Encore qu'à ses débuts comme livre imprimé, elle n'était pas aussi maniable qu'aujourd'hui, mais néanmoins, au fil des décennies, elle s'est miniaturisée. Comme l'église catholique de l'époque ne pouvait pas mettre un prêtre derrière chaque Bible, il est clair que ce texte a été lu et interprété par des non professionnels de la foi. Les réformateurs ont su utiliser ces nouvelles possibilités et n'ont pas hésité à encourager chaque croyant à lire la Bible d'une manière personnelle, sans passer par le filtre des prêtres. Ils se sont dépouillés de leur autorité sacerdotale et j'ai l'impression que les Calvin et les Luther se sont simplement rendus compte du potentiel de la circulation de la Bible en voyant, sous leurs yeux, ce qui se passait avec les imprimeurs. Par contre, ils n'ont probablement pas eu conscience, au départ, de l'ampleur du phénomène. Ils ne l'ont peut-être même pas imaginé. Aujourd'hui comme hier, beaucoup de développements se font parce qu'on manipule les nouveaux objets ou qu'on entre dans les nouveaux services. Ne restez donc pas devant votre feuille blanche pour trouver les solutions bibliques de demain. 

L'art des réformateurs et des imprimeurs, c'est d'avoir mis la Bible dans des circuits profanes, comme une maison, un atelier, une étable. On m'avait une fois rapporté qu'un éleveur de vaches avait l'habitude de coincer sa Bible entre les linteaux de son étable, parce qu'il aimait la lire dans son environnement de travail.

À partir de ce constat, il faudra bien se dire que les commentaires de la Bible qu'on avait l'habitude d'utiliser par le passé ne sont pas très adéquats dans un environnement de bruit, de changements constants, de bousculades. Le «quiet time», cher à la Ligue pour la lecture de la Bible, d'origine anglaise, ne s'adapte pas très bien dans le cadre du métro. Il reste donc tout à inventer. Bien sûr, on pourrait tout à fait suggérer que le moment de silence matinal soit remis à l'honneur, mais je pense qu'on peut également essayer de réfléchir à comment entrer dans le «flot» ou le flux d'activités des gens.

La diffusion de la Bible, plombée par un modèle économique désuet?
Le modèle économique basé sur le copyright et la vente du support devient de plus en plus caduque, surtout dans un monde où l'on peut transvaser un contenu par un simple copier-coller. Du point de vue éthique, je verrais mal les diffuseurs cadenasser une Bible numérique avec des mots de passe. Les grandes «majors» de l'industrie de la musique sont un exemple éloquent de cette difficulté de passer à un autre modèle économique dans le domaine internet. D'autant plus que les contenus des supports électroniques comme les mobiles tentent vers la gratuité avec financement par la publicité. Il est clair que le recours à la pub entre deux péricopes me paraît très hasardeux. Pourrait-on s'imaginer une Fondation "Biblefox" pour une diffusion gratuite? Ne nous faisons pas d'illusion, les chrétiens vont pirater les contenus comme n'importe qui ou bien ils utiliseront une version sans copyright, vieille d'un siècle comme la Segond 1910, très répandue sur le net et mise à disposition par nombre de webmasters qui rechignent à passer à la caisse, pour une question de budget. Les traductions modernes de la Bible ne seront donc accessibles qu'à des personnes qui payent, alors qu'un nombre important de donateurs a participé à leur financement. Il est donc important de revoir toute la question du modèle économique des traductions et de la diffusion. Et cela ne concerne pas seulement les sociétés bibliques ou les sociétés de traducteurs.

(1) J'ai repris cette affirmation de Jacques Attali
(Une brève histoire de l'avenir / Fayard)

(2) Dans l'exégèse des textes (sacrés ou non), une péricope désigne un extrait formant une unité ou une pensée cohérente. La péricope doit avoir un sens, lue indépendamment de son contexte. Le terme provient du grec περικοπη signifiant «découpage». Les principaux usages de ce mot concernent la liturgie, en général dans le cadre d'une lecture publique, et l'étude et le commentaire d'un texte (Wikipédia)

L'évangile de Marc (version complète)

 

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