Comment revisiter la théologie avec Google
Sous l’effet des leviers technologiques que nous utilisons quotidiennement, nos théologies se décomposent à vue d’œil. Par théologie, j’entends, le système de pensées qui sous-tend notre réflexion et nos actions. Je ne veux pas entrer dans le détail des différents courants théologiques et définir quel est le meilleur pour aujourd’hui. Mon but, dans cet article, c’est de montrer, que les leviers technologiques liés à l’internet et à la téléphonie désintègrent la substance théologique du passé comme la scie circulaire désintègre le papier, sur le tableau, ci-dessous, du peintre François. La culture de l’oralité électronique tourne sur son propre axe et par le fait d’une “rotation” accentuée par le flux des données numériques, elle se positionne comme dominante et écrasante. Elle devient totalitaire comme l’a été la culture du livre, durant quatre siècles. Il n’y aura jamais un vrai consensus entre les deux cultures. Quel devrait être le travail du théologien?
La théologie de la carte postale
Le théologien se lance dans les nouvelles technologies sans repenser de fond en comble la structure profonde de sa théologie. Il va peut-être adapter son discours en y ajoutant des schémas, des illustrations, sans comprendre que son spectateur commence à vivre sur une autre planète. L’ “homo-visualis” engendré par le monde numérique a besoin d’une nouvelle manière d’ordonner ses connaissances, or on recycle et on ne crée pas de nouvelles manières de penser la réalité spirituelle (théologiquement parlant). Certes, on a développé la théologie de la libération ou la théologie de la prospérité, mais je parle d’une théologie qui concerne le salut, point central de la foi chrétienne. Je suis très préoccupé par ce que j’appelle la “théologie de la carte postale”. J’entends par là, cette propension de nombreuses organisations chrétiennes ou de simples acteurs du web, comme moi, à diffuser, à grande échelle, des versets bibliques non reliés à un ensemble cohérent. Les pages Facebook d’organisations chrétiennes, qui offrent une image avec un verset biblique, par exemple, marchent le mieux en terme d’audience. C’est le renouveau de la classique carte postale. S’ajoutent à cela, les diffuseurs sur le net, qui vous envoient le verset du jour ou des portions de textes. C’est ce que les gens demandent. Ce n’est pas une initiative délibérée de la part de ces acteurs du web. Puisque les internautes rechignent à lire des textes trop longs, on leur sert donc des “extraits”, des “bonbons spirituels” et on pense qu’on les nourrit. Mais imaginez un instant, ce qui ça va produire: une immense bouillie dans la tête des gens et plus de sens, ni de perspectives théologiques. Du hachis parmentier spirituel. Alors, faut-il donc revenir à la structuration du passé?
Deux logiques
Ce n’est plus possible de revenir en arrière et le tableau de François nous le montre bien. Ce sont deux logiques qui s’affrontent. L’une travaille sur un principe linéaire. Les pensées et les arguments s'emboîtent les uns après les autres, d’une manière cohérente, comme la phrase sur une ligne d’écriture. La théologie qui se greffe sur ce type de logique, devient analytique et systématique. Et permettra qu’un juriste comme Calvin puisse développer sa théologie de la grâce. Donner une forme juridique à un concept spirituel n’est pas faux en soi. C’est sa systématisation qui pose problème et qui nous amène, par exemple, à formuler la conversion sous l’angle de quatre lois spirituelles développées par Campus pour Christ. Dans un autre domaine, celui évoqué plus haut, la carte postale et son verset biblique, reflète apparemment le monde de l’écriture, mais en réalité on se contente de collectionner des versets comme des mots dans une phrase, sans tenir compte de la cohérence de l’ensemble de la phrase.
La logique de la culture numérique, si bien représentée par la scie circulaire, repose sur la vitesse de rotation. La rotation des données, des informations, du savoir, des cultures. Cette logique a des effets totalement différents que l’outil de l’imprimerie. L’accélération est essentielle pour que le travail de la scie soit efficace. Personne ne va déplorer cette vitesse. Aujourd’hui, il est de bon ton, de fustiger la vitesse de l’information, qui semble destructurer notre vieux monde élaboré avec les outils de Gutemberg. Quels sont les nouveaux comportements qui vont sortir de ce traitement de la réalité? Et où sont les nouveaux “Calvin” qui vont se laisser influencer par ces nouveaux outils? Quelle théologie va en sortir?
Quelques pistes
Comment repenser la théologie dans un univers qui tourne à grande vitesse? Quels sont les modèles qui pourraient nous aider? De prime abord, on est perdu dans ce monde de vitesse et on aurait tendance à vouloir ralentir le processus. Ce n’est pas pour rien que fleurissent les offres de méditation, les parcours comme le Chemin de Compostelle plus centrés sur la lenteur, que sur le principe de vitesse. Une des pistes qui me semble valable, c’est d’observer comment le monde d’internet se structure. Comment s’organise-t-il? Quel est son moteur? Sur quel axe tourne-t-il? Et je prendrais comme modèle Google. À mon avis, il faudrait s’en inspirer pour concevoir une nouvelle approche théologique aussi puissante que la théologie de la grâce de Calvin ou de Luther. Google a basé son succès sur ce que l’internaute recherche. Il ne lui indique pas ce qu’il doit rechercher, comme le ferait un catéchisme, il lui offre simplement de trouver des réponses qui lui correspondent. L’internaute d’aujourd’hui ne veut pas qu’on lui impose un parcours prédéfini. Il a simplement des questions. Est-ce que le théologien connaît les questions que les gens se posent? Comment développer une théologie basée sur la notion de recherche au lieu d’offrir une théologie “catéchétique”, dans le style “je sais ce qu’il te faut, Dieu me l’a révélé?
Et pourtant, apparemment le principe Google, n’a rien à voir avec la notion de vitesse. Ils n’ont pas élaboré une approche qui prend en compte la vitesse. Détrompez-vous! La vitesse intervient dans la présentation des résultats et dans la cohérence des réponses. Google offre dans ses réponses, non pas un résultat, mais un bouquet cohérent de réponses. La vitesse de calcul lui permet de réaliser cette performance. Ce qui me fait dire que nous devrions offrir au croyant un bouquet cohérent de réponses...et laisser au St Esprit le soin de convaincre notre interlocuteur. Une théologie qui ne met plus en avant ce que nous devrions croire, mais une théologie qui laisse toute sa place à l’action du St Esprit, alors que souvent on l’a relégué strictement dans le domaine des dons spirituels et de l’inspiration.
Le mot-clé
Si on veut s’inspirer de Google pour renouveler la manière de faire théologie, on ne peut pas faire abstraction de la notion de mot-clé. Google s’appuie, dans ses recherches, sur des mots-clés que l’internaute connaît. C'est déjà, en train d'évoluer puisque, par explicity.ai, propose de recher avec une question complète. Or, aujourd’hui en spiritualité, nos interlocuteurs, ne connaissent plus les mots-clés du christianisme. Par le passé, la majorité de la population était catéchisée. On leur avait inculqué les mots: péché, culpabilité, sauveur, éternité, enfer, paradis. Bien plus, ils mettaient le mot-clé en relation avec sa problématique. Qui aujourd’hui, va accepter qu’on lui dise que son mal-être a à voir avec le péché? Conclusion: il faudra commencer par expliquer les mots-clés du christianisme pour que le “chercheur” sache dans quelle direction il faut chercher. Le catéchisme est une forme pédagogique qui décrit la manière d’arriver au but. On ne fait pas un catéchisme avec des mots-clés. Ceux-ci ne servent que de balises pour la recherche. A mon avis, le théologien devrait commencer par diffuser une explication des mots-clés utilisés en christianisme sans viser l’intégration de l’internaute dans l’église. Un peu dans le style: “Les mots-clés du christianisme pour les nuls”. De plus, on pourrait indiquer avec quel domaine de la vie, il faut les faire correspondre. Je reprends le terme de “péché” qu’on pourrait associer à “mal-être”, “être mal dans sa peau”, “perdre la joie de vivre”, tout en précisant qu’on ne peut pas tout expliquer à partir du péché. Dans les désordres liés à l’être intérieur, il y a souvent aussi des carences physiologiques ou psychologiques.
Henri Bacher