Quel avenir pour l'église occidentale?
Écrire et spéculer sur le futur, surtout en ce qui concerne l’église est plus que hasardeux. Néanmoins, je me risque à livrer quelques réflexions qui devraient plus nous aider à discerner les lignes de forces que les points de détails. Le futur, puisqu’il n’est pas encore réalisé, ne peut pas faire l’objet d’une analyse. J’emploierai donc la parabole ou l’analogie pour décrire ce qui pourrait se passer.
La parabole des berges et du fleuve
Pour faire sentir les enjeux actuels, je parlerai d’un fleuve et de ses berges. Les mass media et, en général le monde interconnecté du smartphone, de la télé et de l’ordinateur nous entraînent dans un univers flottant, agité et changeant dont on sent le mouvement, mais pas encore la destination. Le monde actuel migre dans sa pensée, ses émotions et ses actions de la “berge” vers le “fleuve”. Nous devenons des “marins”, alors que durant plusieurs siècles, en Europe du Nord, nous étions des sédentaires, en majorité liés à la terre qui nous a portés. Le fleuve n’était là que pour nous tremper les pieds. Notre perspective était celle de prendre des racines là où nous habitions, dans notre “terroir” socioculturel et politique. Nos villes anciennes sont à l’image de cette mentalité: nous nous abritons à l’intérieur d’un mur d’enceinte et nous aimons nous attabler sur la terrasse d’un bistrot, à l’ombre d’un platane, pour refaire le monde. Alors que les nouveaux marins, qui ont traversé l’océan, à coup de rhum, ont été nourris avec l’esprit de la caravane et de la conquête. Go! Go! Ils n’ont pas le temps de construire des murs. Ils naviguent, surfent, s’éclatent et recherchent le nouvel eldorado derrière la ligne bleue de l’horizon. Pour transposer dans le domaine de l’église nous sommes attachés à une doctrine, une liturgie, un catéchisme, un chantoir. Stabilité derrière notre mur d’enceinte, fidélité au lieu, aux amis, sérieux, engagement tels sont nos qualités. Pourtant, sous l’impulsion des radios, des télés et des réseaux sociaux qui nous ont inondés du monde extérieur, nous changeons peu à peu. Il n’y a pas seulement les médias électroniques qui nous ouvrent l’horizon, mais l’abaissement du temps de travail et l’avènement de la civilisation des loisirs nous permettent de nous occuper de nos émotions, de notre corps, de notre âme, bien plus qu’auparavant. On a le temps de penser, de profiter, de se faire plaisir, d’avoir des émotions, sans devoir s’échiner au dur labeur de la “terre”.
L’artiste détrône le théologien
Beaucoup de jeunes et même des plus âgés se laissent embarquer et prennent goût au mode de vie du fleuve qui demande d’autres facultés que celles développées par l’environnement “terrien”. Sur la berge, impossible de satisfaire au besoin de nouvelles émotions mises en évidence sur l’élément liquide. La situation a encore empiré puisque l’ensemble des activités socioculturelles se passent maintenant sur le fleuve. Les écoles traditionnelles, construites sur la terre ferme, forment des écoliers de moins en moins adaptés. Les enseignants sont obligés de lancer une réforme après l’autre pour correspondre aux exigences du fleuve qui apparemment n’en a cure! Nos écoles théologiques ne font plus référence et ceux qui influencent le plus souvent l’église sont des artistes: chanteurs, musiciens, comédiens, peintres, etc. Le chantoir de JEM et maintenant ceux de la galaxie "Glorious", a plus fait évoluer les églises que maints traités théologiques sur l’hymnologie. C’est compréhensible. Comment appliquer des théories élaborées pour les gens de la “terre” à des personnes qui vivent la majeur partie de leur existence ailleurs. Un vrai dilemme. Il y a quelques années en arrière, on pouvait encore espérer pouvoir concilier les deux modes de vie, surtout dans nos églises. Un peu de théorie "terrienne", un peu de surf existentiel. Un peu du catéchisme de Luther, un peu du fun jemmien. Un peu de raison et un peu d’émotion. Le fleuve grouille de vie. Les bateaux vont et viennent. Le “business”, comme ils disent est intense. Une chose est sûre, il y aura un retour de balancier, mais il ne se positionnera plus jamais à l’endroit qu’il a quitté auparavant. Bien que le fleuve reprenne certaines pratiques et concepts du Moyen-Âge, il ne “photocopiera” pas ce temps tel quel. Nous sommes condamnés à aller de l’avant, sinon il ne nous restera, dans quelque temps, plus que les yeux pour voir la vie de loin, sur la ligne bleue de l’horizon “liquide”.
Les hommes du “fleuve”, leurs activités et leur organisation
Dans une génération au plus, nous verrons le plein effet de cette mutation profonde qui traverse nos sociétés. Elle affectera tous les domaines de nos églises. En voici quelques-uns:
La foi
Sur la “berge” elle se nourrit en premier lieu de doctrine. On présente au croyant une sorte de plan de montage théorique pour lui permettre de reconstruire, d’après mesure, “l’habitation” spirituelle où il devra habiter. On qualifie ce plan ou ce catéchisme de véritable, d’authentique. On ne conçoit pas la vie religieuse sans plan, sans théorie, sans doctrine de base. Celui qui connaît et applique la doctrine est sauvé et gare au déviationniste qui interprète le plan à sa manière. Sur le “fleuve”, tout est mouvement. On ne peut pas construire des bâtiments. On navigue, on expérimente, on surfe, on teste, on essaie. On est dans le courant ou à contre-courant. On est dans le vent ou sous le vent. Les règles changent et on ne peut pas appliquer les théories élaborées sur la berge. Le croyant se sent sauvé car il est convaincu d’être dans le bon courant. Les marches pour Jésus, par exemple, réminiscence de la procession catholique, facilitent peut-être la notion d’appartenance à un “mouvement de salut”. Le chrétien s’immerge dans un flot dont la direction et le contenu sont bien définis. Bibliquement ce n’est pas plus aberrant que l’adhésion à une doctrine. Pour que les israélites soient sauvés, il fallait qu’ils sortent d’Egypte en s’intégrant dans un peuple en marche. Dieu ne leur a pas demandé de connaître des théories, il les a enjoints à se joindre à la grande famille “en exode” et de croire qu’il allait les libérer de cette façon-là. Faire “corps avec” aura plus d’importance que croire au même canevas de doctrines. On est croyant parce qu’on vit et on sent les mêmes choses que ses frères et sœurs. Comme certaines théories ou doctrines qui avaient acquis beaucoup de résonances chez les chrétiens de la “berge”, ce sont des lieux et des activités qui prendront du relief auprès des chrétiens du futur. Dieu rappellera toujours aux israélites la sortie d’Egypte comme lieu d’ancrage de leur foi. Il fait référence à un endroit géographique, une action et un processus de délivrance. La communauté du “fleuve” aura ses “lieux” de bénédiction, de délivrance. Bien sûr, le diable les détournera à son profit et l’idolâtrie s’installera comme par le passé au même titre que certaines doctrines auront su corrompre durablement une partie de la chrétienté.
Le pasteur
Sur le “fleuve” il a intérêt à quitter son habit d’enseignant, de professeur. Il n’est plus celui qui sait, alors que ses ouailles ne savent pas! C’est un entraîneur. Celui qui marche devant. La figure de proue. Le berger du troupeau et non son instituteur. Sa tentation ce sera de devenir gourou au lieu de rester le serviteur de la communauté. Il prêchera avec des images électroniques, mentales et créera un sentiment d’appartenance avant de vouloir diffuser un savoir. Il prendra exemple sur l’acteur, le comédien, l'influenceur des réseaux sociaux, le présentateur de télé pour communiquer et la chaire aura disparu dans les églises. Son espace liturgique aura la forme d’un forum ouvert sur le public. Son modèle ne ressemblera plus à l’école, à l'espace "smartphone". D’ailleurs, son culte sera retransmis sur les réseaux par l’entremise d’internet. Il aura passé son permis de conduire informatique et maîtrisera sur le bout des doigts une foule de programmes.
Son message
Son plus grand souci sera de développer une vision pour sa communauté. Elle permettra que toutes les activités tournent autour d’elle. Fini la dispersion et la fragmentation des messages du passé, à l’image de ce monde analytique qui coupe la réalité en rondelles de saucisson. Il cherchera à structurer sa communauté autour d’une idée, d’une action de base de longue durée à l’exemple du Christ dont un des messages principaux traitait de la venue du Royaume de Dieu. Pour les gens du fleuve, il travaillera la notion du sens de la vie en relation avec l’éternité. Sur un océan qui bouge, le meilleur point de repère pour le navigateur ce sont les étoiles. Nous allons redécouvrir les messages sur l’au-delà, sur l’enfer (qui n'est pas mentionné par ce nom dans la Bible) et le paradis au grand dam des théologiens classiques qui ont horreur de ce genre de discours simplistes et réducteurs. Fini la théologie du doute! Doutes sur l’authenticité des textes sacrés, sur les expériences non rationnelles, sur la vie après la mort et sur Dieu lui-même. Ça portait peut-être moins à conséquence pour les gens qui avaient les pieds sur terre, mais quand on est dans de perpétuels changements, on attend du pasteur qu’il prêche des certitudes!
Le lieu de formation du pasteur
La faculté de théologie, ainsi que les écoles bibliques qui l’auront copiée, perdront de leur aura, parce qu’elles ont leurs racines sur la berge, dans la culture du livre et de l’école. On se formera avec un maître et on développera la relation maître et disciple. Le “voyage” fera partie de cet enseignement, voyage géographique, interculturel, interdisciplinaire avec si possible une vie communautaire. Le pasteur ne brandira plus son diplôme pour attester de sa formation, mais il sera évalué selon les maîtres qu’il aura fréquentés. Et lui, à son tour, pour former les gens de sa communauté, deviendra un “maître”. Il entraînera peut-être ses disciples, durant un été, au Futuroscope de Poitiers pour y tenir son “voyage” de formation! Plus prosaïquement, il passera du temps à manger avec ses “disciples-paroissiens” pour entrer avec eux dans leur quotidien et pour leur aider à trouver un sens.
La communauté et son organisation
Elle se composera, surtout dans les grandes églises, de différentes “tribus” avec chaque fois un chef de tribu. Celui-ci aura accédé à cette responsabilité à cause de son charisme, sa faculté de diriger ou sa capacité de représenter les aspirations de son groupe. Peu à peu, le conseil des anciens se transformera en conseil des chefs de tribus. Un système d’alliance permettra de souder la communauté et le pasteur sera le garant de cette alliance. Les conflits ne seront plus d’ordre doctrinaires, mais par contre les différentes expériences vont s’affronter et les prises de pouvoir entre groupes se joueront sur des questions “territoriales” ou des questions de “ressources”, surtout si l’une ou l’autre tribu se sent négligée dans les répartitions (lisez l’A.T., le manuel parfait de la vie entre tribus!). Les communautés entre elles s’organiseront en réseau, soutenu par un réseau électronique. On va voir se développer un pastorat de réseau. Le pasteur n’est plus le berger d’une église, mais d’une série d’églises interconnectées. On pourrait aussi imaginer que chaque tribu aient son lieu de culte et que le pasteur officie pour les tribus organisées en réseau!
L’église et le monde qui l’entoure
Elle ne sera plus qu’une voix parmi d’autres, à l’image du christianisme naissant. En but à la concurrence aussi bien de la part de religions constituées comme l’islam ou le bouddhisme que d’une foule de micro-croyances ésotériques pour ne pas dire occultes. Nous nous acheminons, en Europe du nord, vers un paganisme mâtiné de valeurs judéo-chrétiennes. Aussi longtemps que l’église se positionnera comme une solution spirituelle parmi d’autres, elle sera acceptée ou tolérée, mais dès qu’elle revendiquera l’exclusivité du salut, elle sera persécutée. La sphère politique déteste les groupes qui ne veulent pas entrer dans le consensus général. Pour s’attirer les faveurs de l’état, il faudra adopter un profil bas, surtout si, peut-être, le président est bouddhiste, son premier ministre conseillé par un chaman et le maire du village un “sorcier-guérisseur” reconnu par l’ensemble des citoyens!
En conclusion
L’église du futur? Elle sera forcément différente d’aujourd’hui. Le monde évolue en bien et en mal, il faudra donc que le “corps” du Christ suive son rythme et sa trajectoire pour le “sauver”. Le Christ a marché sur les traces de ses contemporains. Il s’est implanté, incarné dans un monde, un corps, une famille, un peuple, une religion, un peuple et un état. Jésus nous invite à le suivre dans ce monde futur, virtuel, électronique, délirant et décadent ... avec notre église! Elle sera aussi sainte que par le passé, aussi “habitée” par l’Esprit qu’auparavant, aussi “déjantée” que dans bien des périodes historiques, aussi exceptionnelle et aussi à côté de ses pompes que dans d’autres. Et le Christ sera toujours son chef et son inspirateur!
Henri Bacher