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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

De plus en plus de pasteurs quittent leur communauté

26 Mai 2022, 08:00am

Publié par Henri Bacher

C'est le constat de Laurent Cuendet, coach pastoral dans la FREE (Fédération d'églises évangéliques en Suisse romande). Cette constatation est publiée dans le prochain N° de Vivre (mai-juin 2022). Que faut-il en penser, surtout qu'il parle de un pasteur sur deux qui a quitté sa communauté ces deux dernières années?  Nous avons interviewé Michel de Saintange, le DRH du Club Céleste qui donne quelques pistes pour comprendre ces difficultés.

De plus en plus de pasteurs quittent leur communauté

Votre organisation est probablement la plus vieille de tout le continent européen. Vous avez pu résister jusqu’à maintenant, pourquoi, alors, les difficultés actuelles de vos directeurs de succursales?
 
Michel de Saintange
Regardons les choses en face, notre organisation progresse surtout en dehors de l’Europe et notre nouvelle stratégie en matière de ressources humaines tente justement de combler ce déficit européen qui nous préoccupe particulièrement. Notre grande force dans le management des personnes, c’est que nous tentons au maximum de réduire les hiérarchies et surtout nous n’avons aucun problème à mélanger différents styles de management selon les types de pays que nous voulons atteindre. Dans le sud de l’Europe, nous avons gardé l’ancienne hiérarchie à quatre niveaux de commandement. Elle commence à s’essouffler sérieusement malgré la figure et les efforts de son directeur régional, dont le siège est à Rome. Dans le Nord, nous avions tenté une expérience qui a bien réussi surtout au 19ème et au 20ème siècle. L’actionnaire principal qui est en même temps le PDG du club, a éliminé carrément tout intermédiaire entre ses collaborateurs de base et lui-même. Chacun venait chercher ses ordres directement à la tête de l’organisation. Ce fut un énorme facteur de croissance. Au début de cette nouvelle orientation, les gens parlaient même de «réveil spirituel» tant l’impact de cette nouvelle manière de travailler était performante. Néanmoins nous constatons, aujourd’hui, un déclin certain. Nos collaborateurs sont toujours aussi fidèles et ils se donnent tout autant que par le passé, mais nous nous rendons compte que notre système de formation interne a fait son temps. Notre principale richesse, ce n’est pas une quelconque matière première, mais nos collaborateurs. Sans eux, c’est comme si le Grand Patron était amputé de ses mains. Même si vous avez la meilleure idée du monde, si vous n’avez pas de mains pour la réaliser, vous n’irez pas loin. Si nous avons pu aller loin, c’est qu’on avait à disposition des mains en or. D’où le soin que nous apportons à nos collaborateurs. En Suisse nous avons même créé un poste de coach spirituel pour les pasteurs.

 
Faut-il comprendre que vous allez abandonner vos prestigieuses écoles de management spirituel pour un autre mode de formation ? 

Michel de Saintange 
De tout temps, notre organisation, grâce à l’ingéniosité de nos collaborateurs, a pu s’adapter aux différents changements culturels, sinon nous ne serions plus dans la course. Nous avons une culture du changement pas seulement pour nos collaborateurs, mais aussi pour notre organisation. Aujourd’hui, la culture change radicalement, or notre développement repose en grande partie sur l’adaptation culturelle. Pas seulement, on est bien d‘accord, mais c’est un facteur important. Imaginez si notre association, à sa création, avait continué à utiliser la langue de ses douze créateurs. Cette fabuleuse startup de l’époque ne se serait jamais propulsée au niveau mondial si elle n’avait pas successivement changé de langue et également de langage. C’est un aspect de l’adaptation culturelle et il y en a bien d’autres. Durant ces derniers siècles, nous avons massivement investi dans des écoles et ce fut un facteur de développement important. Beaucoup de nos collaborateurs sont bardés de diplômes. Ils ont des connaissances très approfondies et je consulte volontiers tous les livres qu’ils ont écrits. Le hic, c’est que le type de connaissances que nous enseignons dans nos écoles de formation atteint ses limites. Ces connaissances sont de plus en plus inopérantes pour l’avancement de nos projets. En plus, sur le terrain, nos responsables de succursales sont désorientés, d'où aussi, sans doute, le nombre important de démissions. On ne leur a simplement pas enseigné comment répondre aux nouveaux besoins de la clientèle. Nous changeons donc complètement de stratégie pour développer les talents de nos collaborateurs ou plutôt, pour être plus précis, pour développer nos collaborateurs en nous intéressant à leurs talents et non à leurs aptitudes intellectuelles à stocker et à recracher des connaissances.  

Pourquoi vous vous focalisez sur les talents au lieu de mettre en avant les programmes ou les messages ? 

Michel de Saintange
Nous nous rendons compte que la clientèle n'est plus aussi homogène culturellement parlant que par le passé. Il faut donc énormément de compétences pour répondre aux différents besoins. C'est épuisant pour nos responsables de succursales qui n'ont absolument pas été formé à faire front à ces difficultés. Dans le passé, il fallait enseigner comme à l'école, donc on a formé un enseignant à appliquer le programme que les animateurs du club tiraient d’un manuel que l’on appelle la Bible du club. Cette Bible est toujours actuelle comme référence, mais notre clientèle ne veut plus qu’on lui serve les programmes qu’on en a tirés. Ils ne veulent plus être des écoliers à qui l’on enseigne une matière à la manière scolaire. Notre PDG a toujours laissé beaucoup de liberté pour l’interprétation de la Bible et pour en tirer les meilleurs programmes. C’était aussi un facteur de développement. Seulement voilà ! Quand quelque chose marche bien, les hommes ont toujours l’habitude de pousser l’expérience à l’extrême. Les programmes sont devenus tellement formatés qu’ils ont tué l’enthousiasme des gens. Ce qui est plus grave, c’est que la culture passe dans la moulinette de l’oralité électronique et ces programmes performants ne répondent plus qu'à un petit nombre de personnes. Nous aurions pu suggérer d’amender ces programmes, d’y ajouter des images, des vidéos. Ce n’est pas aussi simple. La culture du livre s’est comportée comme un célibataire endurci et voilà qu’on lui suggère de se marier avec une jeunette qui ne parle que le langage des signes, alors que lui il communique seulement par écrits interposés. C’est évident que ça ne peut pas marcher. Si nous misons sur les talents, c’est justement pour sortir de l’ornière des supports qui conditionnent nos messages. On pourrait très bien dire que nous laissons tomber l’écrit pour nous focaliser sur les images, les vidéos, la musique, le théâtre, le dessin, l’audio et le multimédia en général. En nous intéressant aux talents, nous nous intéressons aux hommes  et aux femmes qui développent le talent, avant de nous intéresser aux supports. C’est bien là, la différence. Le talent va se lier au support le plus adéquat pour s’exprimer. Un écrivain va utiliser l’imprimé, mais un autre «scribouillard» va aussi pouvoir faire des incursions comme scénariste de film, mais il faudra qu’il abandonne les critères d’écriture de la littérature classique. S’il n’a pas de talent, il risque de ne pas pouvoir évoluer, parce qu’il appliquera simplement des normes apprises d’une manière scolaire. Partir du talent permet de faire évoluer la personne tandis que partir des connaissances acquises ne permet que de répéter ou de dupliquer un message. Dans la culture du livre on demandait surtout des «duplicateurs» de messages, tandis que la postmodernité demande des créateurs de messages. Steve Jobs, le génial fondateur d'Apple, n'a pas dupliqué les téléphones qui existaient déjà à l'époque, mais il a inventé une nouvelle manière d'en faire un instrument de communication et de socialisation. Or, la création est étroitement liée au talent. Et beaucoup de responsables se rendent compte qu'ils n'ont pas les talents qu'on leur demande pour gérer une succursale et ils se «crashent».

Votre conclusion?

Notre PDG et son équipe de direction réfléchissent sérieusement à tous ces changements. Le coaching pastoral de nos responsables sur le terrain ne suffira pas. Il est important dans ces temps de bouleversements, mais à notre avis, c'est qu'il faut sérieusement préparer nos responsables de succursales aux nouveaux défis contemporains. On ne change pas comme ça nos prestigieuses écoles de management. Il faut les garder, il y aura toujours des besoins qui correspondent à leur offre de formation, mais il faut réduire leur influence au profit non plus de nouvelles écoles, mais de nouveaux modes de formation. Un peu à l'image du fondateur charismatique du Club Céleste, il y a deux mille ans. Il n'a pas formé des super pharisiens plus spirituels que par le passé, le nez dans les rouleaux de la Torah, mais il a emmené ses premiers élèves-disciples en «voyage» parmi les gens, là où il les confrontait directement aux besoins de la population, à leurs souffrances, à leurs interrogations.

De plus en plus de pasteurs quittent leur communauté
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