Les conflits entre les familles Imago et Scripturo ou comment se positionner entre écrits et images
Sous forme de parabole l'auteur décrit les querelles des «familles» culturelles à l'intérieur de l'église. Entre ceux qui tiennent mordicus à l’écrit et ceux qui se laissent conter fleurette par le monde des clips vidéos et des images.
Depuis des siècles, deux familles se disputent la suprématie culturelle en Europe du nord. L’une, c’est la famille Scripturo et l’autre la famille Imago. Toutes les autres familles, comme les Analytico, les Systématico, les Technico, les Artistico ou les Emotico, ne sont que des branches secondaires de ces familles souches, qui chacune à tour de rôle a pris le leadership culturel en Occident. Encore actuellement leur influence s’étend sur le monde entier et elles ont à leur disposition de puissants leviers technologiques pour asseoir leur pouvoir. De grands conflits émaillent les relations entre ces deux puissantes familles. L’un des plus importants s’est déroulé à la fin du Moyen-Âge, lorsque Lefèvre d’Etaples et Erasme de Rotterdam, deux grands penseurs de la famille Scripturo ont développé une nouvelle compréhension et une nouvelle lecture de la réalité du monde. Leur philosophie de vie s’est appelée «humanisme». Les travaux de ces éminents chercheurs n’auraient jamais eu autant d’impact sans l’invention de l’imprimerie, véritable levier pour faire basculer la culture de l’époque vers une nouvelle ère, affranchie des pesanteurs du Moyen-Âge. Les mauvaises langues persifleront que les Scripturo ont plutôt développé une monoculture basée sur le livre où le monde des émotions a été bridé au maximum.
Auparavant, c’était la famille Imago qui détenait le pouvoir en Europe. Elle avait même réussi le tour de force d’investir le monde religieux en s’appropriant de grandes figures du christianisme, comme le Christ, Marie et tous les saints. Leur soi-disant portraits sont devenus des images saintes. Certains membres influents des Imago ont même posé dans des tableaux décrivant des scènes de la Bible et certains artistes n’ont pas hésité à reproduire le portrait de leur maîtresse en lieu et place de la Vierge. L’influence de la famille Imago s’étendait à l’art religieux, aux images saintes ou à l’architecture, comme celle des cathédrales, mais aussi aux prêches, aux processions, aux pèlerinages, aux cérémonies hautes en couleurs, baignant dans divers «sons» liturgiques et autres odeurs d’encens. Les gens de la fin du Moyen-Âge étaient noyés sous un flot continu de sensations, d’émotions et personne ne répondait vraiment à leur question fondamentale : «Comment puis-je me libérer de la peur de l’enfer?».
La famille Scripturo grâce aux humanistes, mais surtout aux réformateurs comme Calvin ou Luther, dignes disciples de ce mouvement, ont su donner une réponse à cette question existentielle. N’a-t-on pas dit d’Erasme de Rotterdam, qu’il a pondu l’œuf que Luther a couvé? La famille Scripturo, à cette époque, n’avait pas encore le pouvoir qu’on lui connaît aujourd’hui, essentiellement parce que les écrits, supports de base des Scripturo n’étaient pas très répandus. Mais les gens en avaient marre de la religiosité des Imago, qui exaspérait à longueur de journée leurs émotions: ils ont donc plus facilement prêté l’oreille à ces nouvelles pratiques religieuses, tranquilles, froides où l’on s’asseyait à l’église pour penser Dieu, au lieu de le vivre avec les tripes. Plus besoin de marcher à travers l’Europe pour trouver le salut, plus besoin de processionner, d’acheter des cierges et de les brûler, plus besoin de faire des chemins de croix et de toucher des reliques. C’était si simple de prendre une Bible sous le bras et de dire à Dieu: «Me voilà».
Bref, je raccourcis un peu cette histoire pour arriver à la conclusion que l’imprimerie, liée aux livres et aux écoles a permis aux Scripturo «d’imprimer» dans la tête des gens leurs concepts, leur philosophie de vie et de travail, laissant la famille Imago se dépêtrer avec ce qui leur restait de territoires culturels. Les Scripturo réussirent, enfin, à prendre le pouvoir aux détriments des Imago, surtout en Europe du Nord, mais comme au travers des siècles, ils ne se sont mariés qu’entre eux, il y a eu une certaine dégénérescence. Des «malformations congénitales» se sont installées, comme l’impossibilité de vivre avec ses émotions, la raideur d’esprit, l’intellectualisme, le rationalisme, etc. Il y a bien eu quelques sursauts à l’intérieur de cette grande famille, comme celle des baptistes et autres "istes" au 19ème siècle qui s’inspirèrent de la famille Imago pour renouveler leur spiritualité. On baptisait les adultes, on priait spontanément, on laissait parler ses émotions, mais sans jamais quitter sa famille d’origine, les Scripturo, qui à cette époque avait toujours le pouvoir. Arriva l’invention de l’électricité qui permit à la famille Imago de reprendre du poil à la bête. La communication électronique se sert avant tout de l’émotion pour conquérir de nouveaux territoires et pour les garder! Retour de balancier: Et voilà que les gens en ont marre de se retrouver silencieux sous la voûte d’une église, à ne devoir que «penser», ils veulent à nouveau bouger, danser, marcher, utiliser leur corps au lieu de se tenir tranquille dans leur spiritualité. La famille Imago est en passe de gagner le pari de redevenir la famille au pouvoir.
C’est étrange comme des inventions technologiques tel que l’imprimerie ou l’électricité ont pu devenir des instruments de pouvoir entre les mains de quelques familles. Et quel dommage que ces deux familles se soient irrémédiablement brouillées à la fin du Moyen-Âge! Et si dans nos églises on tentait le coup de chercher des conjoints (pas des servantes!) dans l’autre famille? Mais il paraît que les femmes Imago ne se laissent pas conter fleurette facilement! Il faut montrer patte blanche! Et surtout ne leur lisez pas un traité théologique pour leur faire la cour! Le seul conseil que je puisse vous donner, c’est d’apprendre à danser!