Bible et postmodernité
La culture, obstacle premier à la diffusion de l’évangile. Nous vous proposons de traiter le même sujet d'une manière écrite pour les personnes qui aiment plutôt lire et pour les personnes qui préfèrent la vidéo nous avons monté un clip visible en fin d'article. L'idée, c'est aussi de montrer que la vidéo ne sert pas à illustrer le texte écrit. C'est une autre approche, culturellement parlant, qui utilise la symbolique plus que l'argumentation analytique.
Mission
À toute personne qui part en mission dans une autre culture que la sienne, on lui inculque la notion qu’il faut s’adapter à la langue, aux us et coutumes, à la manière de communiquer, à la “Weltanschauung” (conception du monde) du peuple ou de l’ethnie à atteindre. On l’a souvent compris en théorie ou bien on a appliqué cette manière de voir aux choses simples à maîtriser, comme la langue, la musique, les us et coutumes, mais les missionnaires qui sont allés très loin, comme un Hudson Taylor, ce sont des personnes qui ont essayé de comprendre comment fonctionne le noyau dur de la culture, leur conception du monde et le support utilisé pour la véhiculer.
Malheureusement, ce qui s’est passé, c’est que le missionnaire a amené sa propre culture sur le terrain et il l’a utilisée comme rouleau compresseur, pour soumettre culturellement ses hôtes. Ainsi en était-il de la culture de l’école et du livre. Pour le missionnaire protestant, il fallait d’abord que les gens sachent lire, contrairement aux catholiques qui ont d’abord installé des églises. Je ne dis pas que les protestants avaient tout faux. Ce que je leur reproche, c’est qu’ils ont cru que leur culture était la meilleure, la plus optimale, pour transmettre l’évangile, sans tenir compte des valeurs que véhicule la culture d’accueil.
Toute culture est toujours hégémonique, surtout lorsqu’elle a réussi à dominer un grand nombre de personnes. Elle se croit capable de comprendre parfaitement la réalité du monde à partir de son socle culturel, sans saisir qu’elle ne comprend que partiellement.
En Occident, nous sommes confrontés à un nouveau champ de mission. Nous sommes missionnaires dans des “tribus” qui maîtrisent de moins en moins l’outil culturel de l’écrit et de la lecture. De plus, la nouvelle culture du numérique est fortement liée au monde de la finance, donc ce sont des leviers technologiques qui vont s’avérer très puissants et qui vont agir en rouleau compresseur, bien pire que la culture de l’école et du livre.
Quelle est la réaction du monde évangélique? Elle perfectionne, son système académique de formation des élites, son outil culturel du passé! Et on retombe dans la même ornière qu’au Moyen-Âge où le travail intellectuel de réflexion s’est retiré dans les monastères, et en partie dans les universités qui ont éclos dans les grands centres urbains à partir du XIIème siècle, laissant le champ libre à une spiritualité populaire liée à l’émotionnel et aux images. Aujourd’hui, les nouveaux chantres de la spiritualité émotionnelle ne sortent souvent plus de la faculté et même pas d’un Institut de théologie. Les grandes communautés francophones actuelles ont été souvent lancées par des personnes qui n’ont jamais suivi un cursus universitaire. Mais ce monde des facultés est encore fasciné par le livre que l’académicien Michel Serres compare à des “étoiles” qui brillent encore aujourd’hui à notre firmament culturel, alors qu’elles sont mortes il y a longtemps.
Bétonnage
On ne se pose jamais la question du vieillissement de la culture. Toute culture, et on l’a vu par le passé, finit un jour, absorbée par la culture suivante ou par des conquêtes culturo-religieuses ou militaires. Parce que la culture est autant liée aux arts, qu’à la politique, à la religion et au monde financier. Le protestantisme s’est aussi imposé grâce aux politiciens et aussi à la finance. Il suffit que le contexte politique, financier, économique change pour que la religion soit affectée.
Avec le temps, la culture a tendance à se bétonner pour mieux résister aux changements et aux secousses intérieures. C’est toute la résistance, vis-à-vis de la montée de l’islam. On n’imagine pas ce que les deux guerres mondiales ont laissé comme traces dans la mémoire collective. La religion chrétienne n’a jamais pu freiner la barbarie des camps de concentration. Ce n’est pas en revenant à une foi plus réfléchie qu’on va faire évoluer les choses et les hommes, car justement, cette “foi” réfléchie a aussi fait faillite dans la pacification des peuples.
Nouvelle foi "numérique”
Je ne me fais pas d’illusion. La nouvelle culture du numérique, qui libère les émotions, va avoir, aussi, d’importantes failles. Mais le commandement d’aller par le monde pour annoncer la bonne nouvelle reste. Avec la différence près que cette annonce devrait s’adapter au monde numérique. Comme les évangélisateurs du Nouveau Testament l’ont montré. Tout en cherchant au début à concilier foi juive et activités du Temple, ils ont rapidement évolué vers une foi qui s’est libérée de la culture et des pratiques juives.
Aujourd'hui, pour aller plus loin, il faut se libérer de la culture du livre qui nous entrave pour aller évangéliser les “Antioche” et “Rome” numériques. Les premiers chrétiens n’ont pas jeté l’Ancien Testament aux orties, mais ils se sont libérés des pratiques d’interprétation et des rituels issus de la synagogue. C’est exactement ce que les Calvin et Luther ont fait. Ils se sont libérés du carcan de l’église catholique, tout en gardant le Credo! A notre tour, de revisiter les réformateurs.
Foi émotionnelle
Comme aucune culture ne peut couvrir totalement le champ du réel et que la théologie protestante classique, liée à la culture du livre, s’est développée à l’abri du monde des images, la foi émotionnelle trouve un terrain asséché où elle s’engouffre. Jusqu’à inonder ce champ du réel laissé en friche et en jachère. Cette foi est friande d’émotions liées à la musique et au langage de l’image parabolique
(exemple: https://youtu.be/1dbeIWp6g9I).
La gestuelle et le travail avec le corps et avec le groupe social (marche pour Jésus, rassemblements musicaux, concerts de louanges, etc.) sont également primordiaux. C’est absolument utopique de penser qu’il faut ramener ces ouailles dans le giron d’une théologie analytique et systématique pour les équilibrer. Parce que la théologie liée au livre a été pensée “standalone”, comme la théologie émotionnelle va se penser sans faire référence au passé. Par exemple, la culture de l’honneur issue de Redding, qu’a-t-elle à voir avec les réformateurs protestants?
Culture de la parole
Je ne veux pas favoriser la culture des images au détriment de l’écrit et du livre. L’église devrait se libérer des supports (papiers ou numériques) qui l’ont ou vont la servir, mais qui en même temps vont la déséquilibrer, pour la simple raison que ces supports font en grande partie abstraction du corps physique. Nous devons favoriser la culture de la parole, celle qui est exprimée par notre bouche. Si tu confesses (verbalement) ta foi, Jésus te reconnaîtra.
À Pentecôte, Dieu a donné le parler en langues qui ressuscite la compréhension effacée par le drame de la Tour de Babel. Les langues de feu du St Esprit, se posent sur des corps.
Le baptême est une immersion du corps physique. On impose les mains. C’est impressionnant de voir que la communication électronique actuelle fait abstraction du corps. Au téléphone, tu entends parler une personne que tu ne vois pas ou bien tu la vois à l’écran, sans pouvoir la toucher. Et je cite l’essayiste McLuhan qui dit ceci:
L’homme électronique n’a pas d’essence charnelle. Il est littéralement désincarné. Or un monde désincarné comme celui que nous vivons est une menace formidable pour l'Église incarnée et les théologiens n’ont même pas daigné y jeter un coup d’œil.
Nous devons apprendre aux chrétiens à parler avec le Christ et à parler entre eux en prenant la Bible comme référence et non comme outil de médiation entre nous et Dieu. C’est uniquement le St Esprit qui est notre médiateur et je pense que souvent la Bible a été utilisée comme une idole, au même titre que les icônes et autres images saintes. Nous ne sommes pas le peuple du livre, mais le peuple qui parle avec le Christ et fait parler les chrétiens entre eux. Et le parler des hommes entre eux et avec Dieu n’est lié à aucun investissement financier. Le souffle qui sort de notre trachée est un support gratuit, contrairement à l’industrie du numérique et à celle qui diffuse le livre.
Conclusion
Dieu ne se montre pas. Il n’écrit pas, mais il parle.