Prédication idéale contre prédication-réalité
Mon plus grand défaut, c’est peut-être d’analyser majoritairement nos églises, à travers le filtre de la culture. Soit la culture du livre et de l’école, soit celle qui est devant nos yeux: celle d’internet, de la téléphonie, des réseaux sociaux, de la radio, de la télé. Néanmoins, on ne peut pas faire abstraction de cette donne fondamentale. L’Évangile ne se vit pas hors-sol. Par le passé, on traitait un thème sans jamais se poser la question quelle était la part de la culture et la part du Saint Esprit dans la spiritualité. Un prédicateur est toujours influencé par sa culture.
Conditionné par sa culture
Celui qui transmet un message doit toujours se préoccuper de la manière dont son spectateur ou son auditeur reçoit et comprend ce qu’il dit. Une réfugiée nord-coréenne s’est retrouvée un jour dans un centre d’accueil à Séoul et sa fenêtre donnait sur une église, avec une croix sur son toit. Elle ne connaissait absolument pas ce symbole, venant d’un pays ou toute religion était proscrite (1). C’est donc une référence dans nos discours chrétiens qui peut devenir totalement opaque pour un Nord-Coréen, par exemple. Forcément, nous devrions donc adapter notre communication en conséquence. Pourtant, ce n’est pas de cela que je veux parler. De ce qui est évident. Chaque culture a une manière de structurer son discours. De le conditionner pour qu’il soit acceptable et reconnaissable par la personne à qui nous nous adressons. Lorsque le prédicateur dit qu’il explique simplement le texte biblique, il doit aussi accepter qu’il va toujours conditionner cette explication dans une forme culturelle qui peut parfois complètement tordre la réalité spirituelle. La Parole de Dieu est inspirée, pas la culture qui la transmet.
Prêcher par le biais de l’idéal
Nous sommes des fils et des filles de la Renaissance qui a beaucoup influencé les Réformateurs et les promoteurs de la foi réformée et par la suite, celle des évangéliques. Or, les artistes, mais aussi les penseurs de cette époque, se sont énormément inspirés de l'antiquité. Le David de Michel-Ange à Florence en est un exemple flagrant. Le sculpteur a essayé de sculpter un jeune homme idéal, parfait dans ses proportions. La fameuse sculpture du Discobole, créé par Myron, sculpteur athénien du ve siècle av. J.-C., en est un autre exemple. Il cherchait avant tout à reproduire un lanceur idéal dans sa posture, mais la réalité est tout autre. Un lanceur ne se positionne jamais de cette façon-là. C’est à la fois une reproduction, juste et fausse de la réalité, mais qui donne plutôt l’impression de la beauté du geste, avant de reproduire l’élan physique adéquat.
La civilisation du livre nous a éduqués à développer nos arguments par le biais de l’idéal. C’est une donne culturelle avant tout. Nous décrivons la réalité sous l’angle idéal pour tirer les gens vers le haut, vers cet idéal. L’Évangile est un idéal à atteindre. Aujourd’hui, les auditeurs veulent qu’on colle à leur réalité. Ce n’est pas pour rien que la télé-réalité fait flores. C’est-à-dire qu’on doit partir non pas du haut, mais du plancher des vaches. Par exemple, que veut dire aimer, non pas dans l’idéal, mais au niveau de la réalité? Quel sens prend l’amour dans un contexte qui n’est justement pas idéal? Je donne un autre exemple. Lorsque nous encourageons nos auditeurs à devenir disciples, nous décrivons souvent l’idéal de la vie chrétienne: c’est super, pour notre vie, de suivre le Christ comme l’ont fait les apôtres. Et si on décrivait aussi l’appel du disciple, en montrant, tous les dommages collatéraux que cela peut provoquer (mettre notre propos sur le plancher des vaches)? Vous pensez que les fils de Zébédée, qui ont suivit le Christ, n’ont pas mis leur père dans une sacrée gonfle? Du jour au lendemain, il a perdu sa main d’oeuvre. Pas très idéale comme situation. Autre slogan qu’on utilise souvent: si tu veux être heureux, il faut suivre le Christ. Ça, c’est l’idéal. Et dans la réalité? L’Ancien Testament est champion pour décrire la situation des gens dans leur réalité. Abraham ou David ne sont jamais des personnages idéaux, mais lorsque nous prêchons sur ces personnages nous avons tendance à idéaliser leur foi ou à en tirer un profil idéal. L’histoire de Gédéon est un exemple parlant. C’est un champion, qu’on cite même en exemple dans Hébreux 11, mais si on regarde la fin de sa vie, il s’est mis à refondre une statue à adorer. Pas très idéal.
Faut-il donc nuancer nos propos et développer un discours soft?
Coller et partir de la réalité de nos auditeurs ne veut pas dire qu’il faut mettre de l’eau dans son vin. Être moins exigeant que par le passé. Mais pour ne pas rester dans l’idéal, je propose de partir d’un cas concret. Un garçon et une fille chrétiennes s’aiment et sont très sérieux dans leur relation. Ils veulent construire un avenir commun. Ils ont décidé de suivre la recommandation de leur pasteur qui s’appuie sur la Bible pour dire que les relations sexuelles hors mariage ne sont pas tolérées pour un chrétien. C’est la vision idéale du couple vue au travers des textes de l’apôtre Paul. Comment partir de la réalité de ce jeune couple qui n’a pas la possibilité financière de se marier avant quelques années à cause d’études prolongées, etc. Mais aussi de la réalité, par exemple, où ils se retrouvent régulièrement seuls dans l’appartement de leurs parents partis en voyage ou dans le studio d’étudiant de l’un ou de l’autre. Comme nos filles ne portent pas la burka et sont plutôt habillées comme tout le monde, ça peut poser des problèmes aux hormones du jeune homme.
Il ne suffit pas d’appliquer l’idéal de l’apôtre Paul et avoir un peu de tenue et une volonté de fer pour résister à la tentation. Je vois déjà poindre les arguments ultra spiritualistes qui nous disent que le Seigneur nous en donnera aussi la force. Voilà souvent le discours idéal que nous tenons. Comment faire de la prédication-réalité? On peut tenir le discours de l’interdiction des relations sexuelles avant le mariage, uniquement si on aménage un espace où c’est humainement possible de suivre ces injonctions. Pourquoi, ne pourrait-on pas “officialiser” une relation entre un homme et une femme devant la communauté de l’église? Officialiser, ce n’est pas simplement annoncer qu’on se met en ménage. On prend un engagement devant une assemblée-témoin. Ce qui va aussi permettre, en attendant un mariage civil devant Monsieur le maire, d’avoir des obligations de fidélité. Le gars et la fille ne prendront pas la décision à la légère. Et la communauté et le pasteur ont aussi une certaine autorité à faire valoir en cas de difficultés conjugales. Nos idéaux proclamés du haut de la chaire produisent plus souvent de l’hypocrisie et une montagne de culpabilité. Ma proposition n’est sûrement pas la meilleure des solutions, mais je voulais juste montrer que souvent nous “sculptons” des “David” en dehors de toute réalité. Tout le monde ne peut pas se targuer d’être un artiste comme Michel Ange ou une sainte ni-touche.
Dans un autre domaine, le commandement “Tu ne voleras pas” dans un contexte d’extrême pauvreté se cantonnera dans l’idéal, si la communauté chrétienne ne cherche pas des possibilités pour que ce commandement puisse se réaliser concrètement. Si les premiers chrétiens, dans les Actes, ont partagé leurs biens, c’est peut-être aussi pour faciliter la mise en pratique de ce commandement. Il y a quelques années des chrétiens, en République démocratique du Congo, ont lancé une chaîne d’honnêteté, qui demandait, entre autre, de ne pas soudoyer par pots-de-vin interposés un quelconque prestataire de service. Que faites-vous lorsque vous avez un gamin gravement accidenté et qu’un médecin vous demande un pot-de-vin pour intervenir? Si vous avez de l’argent pour un service privé vous vous en sortez, mais autrement… Cette chaîne a développé parallèlement avec des chrétiens un réseau d’entraide, entre autres dans les hôpitaux, pour bypasser ces pots-de-vins. Voilà une réponse intelligente.
Quelle belle théorie!
Le croyant sort peut-être trop souvent d’un culte en se disant “quelle belle théorie!”. Comment vais-je appliquer cet idéal de spiritualité? C’est là que doit intervenir la communauté. La culture du livre nous a éduqué, surtout à l’école, à ne pas copier sur l’autre, donc à ne pas avoir recours à l’aide communautaire. Nous ne pouvons réaliser les idéaux de l’évangile qu’en communauté et pas tout seul.
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Relaté par Hyeonseo Lee dans “La fille aux sept noms” Stock
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