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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Les protestants et les évangéliques classiques (1), en Europe, sont en voie de disparition. Faut-il les sauver?

29 Juillet 2014, 16:22pm

Publié par Henri Bacher

C’est la perplexité d’un président de paroisse réformée du Canton de Vaud (CH) qui m’a inspiré ce post. Il s’étonnait, pour ne pas dire s’énervait, de voir que presque systématiquement, les journalistes, lorsqu’ils ont une question religieuse à résoudre, s’adressent à l’évêque plutôt qu’aux pasteurs. Qui ont pourtant une agence de presse très professionnelle et une activité de radio et de télé intégrée à la radio et à la télé étatique (RSR et TSR). De plus, dans ce canton, les protestants, subventionnés en grande partie par le Canton de Vaud, ont pignon sur rue de par leur implantation historique. Pignon sur rue? Peut-être, mais de moins en moins de monde dans leurs cultes.

Le déclin des fils de Calvin et de Luther
Les Évangéliques ont une réponse toute faite à ce déclin des protestants: ils ne prêchent plus la conversion, ils ne sont pas très spirituels, ils ont une théologie libérale. Le mot magique qui sonne comme un claquement de fouet prémonitoire. Hélas, nos chers frères évangéliques ne se rendent pas compte qu’ils sont dans le même panier. Eux aussi sont sur le déclin de par leur appartenance à un monde, culturellement parlant, qui est en train de passer la main à une culture montante, qui, elle, est parfaitement en phase avec le catholicisme. La grande majorité du monde catholique ne le sait pas encore, il a les outils de travail pour aujourd’hui.

Pourquoi un tel déclin pour les fils de Calvin et de Luther et pour les “cousins” nés à la fin du XIXème siècle? Ils n’ont pas d’image dans une société qui en demande. Je parle d’image représentative. D’image qui permette de se situer ou de situer, d’une manière très simple, la personne ou le mouvement qu’on a en face de soi. Un peu comme, en France, le maire qui porte son écharpe tricolore lors d’une cérémonie officielle. Du premier coup d’œil, on sait que c’est un élu de la nation, sans qu’il ne dise rien du tout. On le repère à la vue. Le protestant aime se faire repérer par son discours, par sa pensée. Il rechigne à montrer, à se montrer. Nos pasteurs évangéliques, c’est encore pire, même au culte, on ne sait pas qui est qui, à moins de faire partie du sérail. De plus, les édifices cultuels construits ces dernières décennies ressemblent à des salles de concert ou à des salles communales, mais pas à un édifice religieux.

La difficulté de montrer l’expérience “protestante”
Pourquoi le journaliste, le plus souvent ignare en matière religieuse, se précipite-t-il chez les catholiques? Il n’a pas besoin d’expliquer de qui il parle, ses spectateurs ou auditeurs connaissent bien l’image ou les “images” véhiculées par les catholiques: celle du pape et de tout le cérémoniel visuel qui accompagne l’ensemble des actes liturgiques de cette église, souvent très médiatisés par le film et la télé. Le protestantisme a été une réaction drastique au monde des images qui avait corrompu l’église à la fin du Moyen-Âge. Le protestant a été appelé à penser sa spiritualité et les réformateurs ont balayé les images, même celles qui les représentaient. Calvin a pris soin, avant de mourir, que sa tombe reste anonyme. Sans “image”, jusque dans la tombe. C’était une bonne chose pour l’époque où la surreprésentation visuelle avait perverti la réalité spirituelle. Comme aujourd’hui la surexploitation de la pensée ou du “penser Dieu" sclérose l’expérience avec le divin. Or, il est très difficile de communiquer aujourd’hui une expérience sans l’apport d’images. Un de mes amis réalisateurs qui filme régulièrement des cultes et des messes pour le compte de la Télévision suisse romande (TSR) m’expliquait à quel point il était difficile de filmer un culte protestant classique. Il n’y a rien à montrer, sauf le “discours” d’un homme. Donc il balade sa caméra pour mettre en valeur l’architecture du lieu. Tandis qu’avec les catholiques, le rituel même est visuel, et pas seulement les habits du prêtre. D’ailleurs, si vous regardez le travail des évangéliques sur des chaînes vidéos comme Youtube, c’est avant tout le compte-rendu d’une prédication. On filme un discours.

La réaction “visuelle” de l’évangélique “moderne” 
L’évangélique moderne, se rend bien compte de ce déficit d’image représentative. Il rechigne a “colorer” ses pasteurs, il bannit encore les parfums comme l’encens, il ne quitte pas encore sa chaire, symbole de la pensée, mais il investit ailleurs. Par exemple, l’apparition de drapeaux pendant le temps de louange, les chorégraphies et surtout la prestation scénique qui devient parfois un vrai spectacle, soulignée par une multitude de gestes très loin du “penser Dieu”. Le nombre de participants est une autre image forte. D’où l’influence de ces grands rassemblements cultuels qui drainent parfois les chrétiens une centaine de kilomètres à la ronde. En relisant une partie des Actes des Apôtres, je me suis aussi posé la question de la représentativité. Comment se sont-ils fait “voir”? Avec les juifs dans les synagogues, ils mettaient plutôt l’accent sur le discours de persuation, mais pour les autres, c’est leur témoignage personnel et les guérisons et faits miraculeux qui prédominaient. Un miracle est avant tout un signe-visuel-attribué-à-Dieu. Les évangéliques “modernes” mettent l’accent sur les miracles, les visions, la prophétie. Et c’est bien! Même si les “anciens” ou les "classiques" les soupçonnent de manipulation.

Comment évaluer ce changement qui s’opère dans certaines de nos églises?
Il restera toujours des personnes très attirées par le discours rationnel et on n’a pas le droit de les ignorer, ni de les mépriser. Mais actuellement, c’est devenu une minorité. Nous avons besoin de retrouver des images fortes qui correspondent au christianisme et non à la culture environnante. Pas des “images” raisonnées, mais des images qui sont bonnes pour nos concitoyens, comme le Créateur a trouvé bon sa création. C’est-à-dire qui sont en relation avec la bonté et non avec la beauté. Or, j’ai l’impression que beaucoup de nos activités, bien que conformes à la culture d’aujourd’hui, ne sont qu’un hymne à la beauté, à l’esthétique. Je ne veux pas éliminer la beauté, mais je préfère mettre en avant la bonté. A la fin d’un concert de louange, je devrais me demander: “est-ce que c’était bon pour mon public?” ou bien restons-nous à “est-ce que c’était beau?”. Ou est-ce qu’il y avait de l’ambiance que nous qualifions très vite d’onction du Saint Esprit. Nous pouvons très facilement reproduire des versions religieuses des standards du showbiz. Vous aurez sûrement beaucoup de « follovers”, mais peu de disciples. Comme dans le passé on a eu beaucoup de “penseurs” et pas toujours des chrétiens qui ont mis l’évangile en pratique.

(1) Par évangélique classique, j’entends les personnes et les mouvements qui sont restés très collés au côté littéraire et raisonnable de la foi. Ce sont aussi des personnes qui n’ont pas passé par le mouvement charismatique qui pour moi a été autant une révolution spirituelle qu’une révolution culturelle. J’irai encore plus loin en disant que c’était peut-être avant tout un mouvement culturel qui a fait basculer certaines églises vers le monde spirituel lié à l’émotion, à l’irrationnel.

Les protestants et les évangéliques classiques (1), en Europe, sont en voie de disparition. Faut-il les sauver?
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P
Bonjour et merci pour ce long commentaire. Je pense que vous avez raison dans votre dernier §: ces cultes sont au fond classiques et destinés à des protestants qui le sont déjà. Mais c'est le but même de l'exercice. C'est ce qui est demandé et ce qui est fait. Ils n'ont aucune vocation à l'évangélisation...<br /> <br /> Après, chacun, ses goûts, mais quand je lis Christophe Maé et Johnny Halliday dans la même phrase, je fuis et je vais lire Richard Dawkins ;)
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P
Tous les cultes sont-ils atroces à filmer? Je ne crois pas: http://celebrer.ch/index.php?option=com_fabrik&amp;view=details&amp;listid=21&amp;formid=21&amp;rowid=6#.U9fyb0TH5hE
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H
Merci pour votre commentaire et le lien sur le culte à Dombresson. Bravo! C’est une belle prestation et de surcroît bien filmé et surtout bien monté. Le réalisateur et le producteur ont fait du bon boulot. Désolé que vous employez le terme d’”atroce”. J’ai simplement dit qu’il est difficile de filmer un culte protestant pour le rendre culturellement compatible. Ce n’est pas difficile de faire un film ou de le monter et j’admire l’équipe technique pour son talent. Mais ce qui est difficile, c’est de répondre au besoin du téléspectateur, pas seulement au niveau de ses attentes profondes, mais, en premier à ses besoins culturels.<br /> Alors, je me permets d’analyser la prestation de ce culte en sachant bien que nous sommes entre deux cultures. Nous sommes un peu comme assis entre deux chaises et le culte s’en ressent très bien. Le discours est très présent. Bien milimétré, mais c’est aussi pour les besoins du timing. On lit beaucoup. Trop. A la télé, il n’y a que les présentateurs du journal télévisé qui lisent au prompteur, donc le culte a tendance à ressembler à la “messe” du téléjournal. Encore que Darius Rochebin, par exemple, le présentateur du JT de la RSR, ajoute de la spontanéité en invitant des interlocuteurs sur son plateau. Je sais aussi qu’un culte en général est géré par des bénévoles et qu’il n’est pas facile de travailler en live. Pour donner un exemple concret et pour montrer que je ne suis pas seulement un théoricien, des catholiques de la région parisienne, ont demandé à ma femme et à moi, à nous évangéliques, de réaliser un clip de la même histoire qui est lue dans le culte de Dombresson (d’ailleurs très bien lu). Ils ont projeté sur un écran de 5 m sur 20m ce clip sans paroles, pendant que l’officiant lisait le texte de l’évangile. L’auditoire était composé d’environ 12 000 jeunes. Vous trouverez le clip, dont le texte a été adapté pour des enfants, pour notre propre production, sur:<br /> http://youtu.be/UF-d84UHK3g?list=PL36E6CEFE0015C9F1<br /> Maintenant parlons de la musique. C’est une très bonne prestation, mais la musique classique correspond peut-être encore au monde protestant, mais d’emblée, vous allez vous adresser à une minorité. J’écris ces lignes à l’heure où se termine le Paleo Festival à Nyon. A ce titre, je vous donne l’exemple de la paroisse réformée du Marais à Paris dont l’équipe de louange du dimanche matin a fait les choristes de Christophe Maé, en avant première d’un concert de Johnny Hallyday au stade de France. Personnellement, je trouve qu’il y a, dans ce culte, de très bonnes initiatives, culturellement bien adaptées, comme par exemple le sketch de la machine à écrire et sa reprise en chaire. Le problème général, c’est qu’un culte dans sa structure élaborée pour un public en chair et en os, ne correspond pas au format télévisuel. Il faudrait partir du formatage que demande la télé et non pas partir du culte tel qu’il est. A la télé on travaille surtout à partir d’un plateau avec une disposition adéquate pour le public. Pourquoi ne pas s’inspirer de l’agencement d’un plateau pour organiser le culte ou d’une émission comme la Masterclasse de Pierre Lescure sur France 4: http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/article/magazine/72564/la-master-classe-de-pierre-lescure.html<br /> Il suffirait d’y ajouter un moment cultuel avec prières et petit moment de louange.<br /> <br /> A mon avis le problème principal vient de l’origine de ces cultes radiophoniques et maintenant télévisuels. On les faisait pour ceux qui ne pouvaient pas venir physiquement au culte du dimanche matin. Alors si vous estimez devoir répondre à ce genre de besoin, allez-y, continuer, c’est très bien. Mais ne pensez pas que vous allez attirer de nouvelles personnes, non “protestantisées” dans vos communautés. Et puis, se pose une autre question. Si jamais vous jouez à fond le standard culturel de la télé, ceux qui sont intéressés par votre présentation, aurons beaucoup de peine à s’intégrer dans une communauté traditionnelle, le dimanche matin. Il faudrait donc, recréer dans le lieu de culte, la même structure qu’à la télé et avec les mêmes rituels. En marketing commercial ça s’appelle “veiller à la continuité de l’expérience” et à la pertinence tout au long de la chaîne, de la production à la diffusion. C’est comme si on vendait des hamburgers Mc Do, dans leur emballage d’origine, dans un bar à sushi. Et ça ce serait atroce! <br /> Henri Bacher