Peut-on vivre par la foi aujourd'hui quand on parle d'argent?
Quelle expression désuète! C'était l'expression usitée par les missionnaires du 19e siècle pour parler de leur financement. Aujourd'hui on préfère utiliser le crownfounding.
Purgatoire et argent
Du côté des protestants, personne n’imagine que le purgatoire est intimement lié à l’argent. Je vous rappelle que le purgatoire est cet espace intermédiaire, selon la doctrine catholique, où le mort séjourne avant de rejoindre le paradis. C’est un sas de purification. Les prières des chrétiens encore vivants peuvent accélérer ce processus et un des grands griefs des réformateurs comme Luther a été d’attaquer la merchandisation de cette purification. Dès 1502, le moine Tetzel vendait des indulgences pour faire, entre autres, sortir les âmes du purgatoire. Mais cette doctrine ne date pas de ce temps-là. Dès les premiers siècles, c’était une pratique plus ou moins répandue de prier pour la paix des morts, mais le purgatoire, en tant que tel, ne prend vraiment forme que vers le 12e siècle. Le processus de formation est bien plus complexe que mon explication. L’historien Jacques Le Goff en a fait un livre entier (1). Pour ma part, je ne relèverai qu’un des aspects qui touche spécifiquement à l’argent. L’argent avait mauvaise presse dans l’église médiévale. Il ne faut pas oublier que le monachisme a fait vœu de pauvreté et les monastères ont profondément modelé l’inconscient collectif occidental. L’idéal évangélique, c’était la pauvreté. Le clergé dévalorisait le monde terrestre au profit de l’univers céleste. C'était une manière de mettre du baume sur les plaies occasionnées par Mammon. De plus, l’usure était interdite pour les chrétiens, laissant cette activité financière aux juifs. La raison? L’argent, par le biais des intérêts, « travaille » aussi le dimanche, jour de repos. Mais peu à peu des « chrétiens» se sont mis dans ce business lucratif au grand dam du clergé. Et, puis ceux-ci devenaient pour se racheter une certaine virginité, des donateurs assidus pour l’église. Qui sait que les moines de Cluny se finançaient majoritairement en priant pour le salut des âmes au purgatoire?
Comme le clergé, malgré leur hostilité au profit, ne crachèrent pas dans la manne financière qui améliorerait leur soupe quotidienne, il fallait qu’il trouve un subterfuge pour se dédouaner spirituellement parlant. Ils favorisèrent donc la croyance au purgatoire où les usuriers chrétiens pouvaient se préparer, moyennant finance, à un séjour de mise à niveau pour entrer au paradis. Morale de l’histoire. De tout temps, l'église a louvoyé entre le pôle pauvreté et ses besoins financiers. Quels sont nos ajustements actuels pour ne pas froisser les généreux donateurs? Philip Morris, le cigarettier neuchâtelois (CH) par le biais de l’impôt ecclésiastique? Quelles sont nos compromissions?
(1) La naissance du purgatoire, Jacques Le Goff, Gallimard/Folio Histoire, 1981
Flouzeville
C’est le plan d’une ville imaginaire. Elle pourrait être occidentale, asiatique, Sud-américaine ou africaine. Pendant plus de vingt ans, j’ai travaillé dans une entreprise qui aurait pu se situer dans le quartier de la Garde. Dans une assurance qui avait 1.6 millions de membres qui payaient chaque année une somme rondelette pour ne pas rester en rade sur le bord de la chaussée. Alors que les statistiques disaient que ceux-ci ne tombaient en panne, en moyenne, que tous les sept ans. Je gagnais donc ma vie en exploitant la crainte des gens, leur gêne pour demander de l’aide au voisin ou aux autres usagers de la route. Et mon idéal chrétien dans tout cela? Je faisais comme tout le monde. Je ne criais pas à l’exploitation. C’était mon gagne-pain. J’obéissais. Combien de financiers chrétiens ferment les yeux sur les évasions fiscales qui détruisent des pays entiers? Ils obéissent. Non, ne me traitez pas de gauchiste. Je veux juste montrer que je suis habitant d’une « ville », certes imaginaire, qui flingue parfois allègrement les plus faibles. J’achète des produits chinois, en sachant que, par exemple, la production d’une de ces nouveautés de communication ne représente qu’une infime partie du prix de vente, donc du gagne-pain de M. Wong. Et pourtant, j’ai acheté la tablette.
Sous la dalle de béton, le fleuve
Dans cette ville passe un fleuve qui amène un climat tempéré. Ce fleuve vient de loin. Il s’appelle Jésus-Christ. Dans le passé, il a fait passer la ville, toujours en Europe, pour un petit paradis « climato-éthique », qu'on a appelé les Trente Glorieuses, mais les hommes du 21e siècle endiguent ce fleuve. Certains tronçons sont carrément mis sous une dalle de béton. L’effet climatique s’en fait ressentir. Le respect des autres, de l’autorité, de la parole donnée, la compassion pour les plus faibles disparaissent.
Flouzeville se tourne de plus en plus vers le capital. À l’image de Las Vegas qui vit grâce au jeu, Flouzeville prospère grâce au fric. Et j’y vis! Tous les jours que Dieu fait, je me pose la question de comment vivre dans cette métropole qui brasse jour et nuit de l’argent, semaine et dimanche. Je me suis mis dans des organisations pour remettre le fleuve dans son état d’origine. J’ai milité avec Michée de Just People pour éradiquer la pauvreté, mais je ne vois rien qui bouge dans ma ville. C’est désespérant. Il y a certes le fameux parc du Reposoir qui bénéficie d’un système d’irrigation très performant puisqu’il pompe l’eau du fleuve. J’y vais très souvent pour faire mon jogging spirituel, mais les promeneurs se font de plus en plus rares. Le dimanche, beaucoup de chrétiens s’y rassemblent, mais les autres? Ils n'ont plus goût à la spiritualité chrétienne. Ils préfèrent le quartier Plaisance. Plus animé. Plus fun. Et ne parlons pas du quartier du Don, qui à une époque avait une vie nocturne très branchée: les réunions et les activités de bienfaisance avaient le vent en poupe. On y croisait souvent Coluche et ses potes, mais aujourd’hui, on préfère se rencontrer dans le quartier Plaisance.
Flou, flouze, Flouzeville
La ville tire son nom du quartier du Flouze. Quartier qui n’est pas baigné par le fleuve. Les limites entre magouille et business n’y sont pas toujours bien établies. En Europe, même si la guerre gronde à ses marges, nous ne sommes plus en conflits classiques avec bombes et fantassins, mais nous sommes dans des guerres économiques et bien des entrepreneurs peuvent vous dire que leur « boîte » a été coulée par des prédateurs sans scrupules, épaulés par des banques peu regardantes. Le phénomène n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que nous sommes informés. Les salaires mirobolants des patrons du CAC 40 ne sont pas plus scandaleux que ceux des ducs et des barons de l’ancien temps qui exploitaient le petit peuple. Et ils n’étaient souvent qu’une poignée d’individus. Faut-il s’établir dans ce quartier: même s’il est loin du fleuve?
Je ne vous donnerai pas de réponses. Ce serait peut-être l’occasion de traiter ce thème dans votre groupe de maison.
Prendre le mal par les racines
Y-a-t-il une réponse acceptable à cette question lancinante: que puis-je faire, à mon niveau, pour lutter contre Mamon? Un de nos problèmes fondamental actuellement, c’est que depuis la Réforme nos théologiens et « prêtres » de tous poils, nous ont construit un modèle idéal de comportement. Une sorte d’étalon, de mesure éthique et spirituelle. Comme pour l’étalon du mètre à mesurer. Une structure mentale, alors qu’avant le temps des réformateurs, les modèles étaient les saints. Ce modèle de sainteté a fait long feu et heureusement que les Calvin et Luther ont développé une autre approche. Mais cette dernière s’essouffle également. Analysez un peu les messages que vous entendez le dimanche matin. Souvent, ils font référence à des idéaux de foi qui vous laissent perplexes. Vous vous demandez comment les appliquer. C’est une manière de voir la spiritualité qui a fait ses preuves. Je ne dénigre pas cette théologie-là. Seulement voilà, elle est inopérante aujourd’hui ou de moins en moins opérante. Et les croyants font comme si... Mais que cherchent-ils au fond? À avoir (à voir) des « saints » ? Je ne sais pas, mais en tout cas, il faut déjà admettre qu’on arrive dans une impasse.
Dans le domaine de l’argent et des finances, on voudrait qu’un spécialiste chrétien de la finance nous brosse une ligne idéale de comportement dans le domaine de notre relation à l’argent. Entre nous, lorsque le Défi Michée s’est lancé, n’était-ce pas une vue idéale de la réalité? Vouloir éradiquer la pauvreté au plus tard en 2015, n’était-ce pas un peu jouer sur un idéal? Ce défi est certes important, mais on n’y croit plus dans la perspective de l’éradication de la pauvreté en l’espace de quelques années.
Nous avons affaire à un déséquilibre qui date de la nuit des temps, depuis qu’Adam et Eve ont été chassés du paradis et que le travail est devenu une malédiction. Le travail est fortement lié à l’argent. Lisez les petits prophètes de l’Ancien Testament. On dirait qu’ils ont écrit pour nous les riches d’aujourd’hui. Je ne crois pas que c’est pire aujourd’hui. On en sait juste plus et on est plus nombreux sur terre, donc le mal s’étend plus qu’avant. Mais l’essence du mal reste la même.
Durant une dizaine d’années, j’ai fait pousser un bonzaï à travers des râpes de fromage. Le mini-arbuste est mort pour mauvais traitements de ma part. J’ai fait grandir cette plante pour en faire une parabole. L’argent, c’est comme des râpes à fromage. Ou plutôt, le problème n’est pas la râpe, c’est ceux qui l’utilisent. Les plus pauvres se font peler par des instruments financiers que d’autres manipulent sans compassion et sans scrupules.
Le croyant selon le psaume 1, est un arbre planté au bord de l’eau et qui se nourrit de celle-ci pour prospérer. Je pousse un peu plus loin l’image de cet arbre en lui faisant traverser les « râpes » avec ses racines. Nous ne pouvons pas éliminer le mal. Dieu le fera à la fin des temps, mais il nous appelle à le contrôler. Si nos racines sont bien développées et que beaucoup de chrétiens deviennent des « contrôleurs » de mal, des « empêcheurs » de tourner en rond, des fixateurs de mal, Mammon ne pourra pas se la jouer à sa guise. L’avantage de cette manière de voir, c’est qu’elle peut s’appliquer à mon niveau comme simple ouvrier, mais aussi comme directeur et acteur important du système financier. L’économiste Yunus, le fondateur du micro-crédit, est pour moi un « contrôleur ». Voulez-vous devenir des fixateurs du mal « financier » ? Ou bien attendez-vous que ce mal vous tienne à sa merci?
Peut-on encore vivre par la foi aujourd’hui?
Par « vivre par la foi », j’entends des personnes qui, pour leur salaire, font confiance exclusivement à des donateurs. Des concertistes chrétiens qui font payer une entrée à leur spectacle ne rentrent pas dans cette catégorie-là. Les éditeurs et producteurs vidéos qui vendent des produits ou des services sont des marchands. Lorsqu’on paye pour un produit avant de le recevoir, on est dans une relation marchande. Par contre, un chanteur ou une troupe de théâtre qui fait une collecte à la fin d’un spectacle vit par la foi. Un donateur, c’est celui qui donne sans contrepartie. Le sponsoring par pub interposée est une activité commerciale. Il n’est pas interdit de faire du commerce avec l’église, mais ne mélangeons pas les torchons et les serviettes. Ce sont surtout les pionniers de la mission moderne comme Hudson Taylor ou Georges Muller et bien d’autres par la suite qui ont vécu dans cet esprit du « vivre par la foi ».
Contentez-vous de ce que vous avez
À notre insu, ma femme et moi avons été contraints par nos responsables de communauté à vivre par la foi. C’était il y a environ 40 ans. Nous avions un appel pour un pays d’Amérique du Sud et personne n’était d’accord avec notre vocation. Bref, à notre insistance, probablement aussi excédés par notre attitude intransigeante, ils décidèrent de nous laisser partir si Dieu pourvoyait financièrement, en tout cas, pour notre départ. Nous n’avions pas le droit de faire des appels d’argent, ni de faire connaître nos besoins. À la suite de cette demande que nous avons acceptée (qu’est-ce qu’on peut parfois être naïf sur soi-même) avec confiance, nous avions ouvert un compte en banque avec quelques dizaines de francs suisses. Nous devions revoir nos anciens quatre semaines plus tard pour faire le point. Nous étions convaincus que Dieu allait pourvoir. Notre appel était tellement profond. C’était évident que Dieu n’allait pas nous laisser tomber. Le jour avant notre rencontre avec nos responsables, nous n’avions pas un kopeck en poche. Par contre, nos deux gamines, nous ont ramené un verset de leur club d’enfants:
« En effet, Dieu ne reprend jamais ce qu’il a donné, il ne rejette jamais ceux qu’il a appelés » (Romains 11:29) et “Ne soyez pas attachés à l’argent, soyez contents de ce que vous avez. En effet, Dieu lui-même a dit: « Non, je ne te laisserai pas, je ne t’abandonnerai pas. » Hébreux 13:5.
C’était évident, mais nous avons mis trois ans à partir, en grande partie à cause de notre propre incrédulité, malgré notre profonde conviction. Je vous passe les combats contre nous-mêmes et en partie contre l’opinion négative de nos frères que nous estimions par ailleurs et que nous considérions comme des modèles de foi. Mais Dieu a pourvu d’une manière très spéciale, sans faire d’appels d’argent, sans faire connaître nos besoins et en janvier 1986 nous embarquions au Luxembourg dans un avion d’Aéroflot (c’était les premiers Low Cost) à destination de l’Amérique du Sud. Avec la bénédiction entière de notre communauté! Il n’y avait aucune ombre au tableau. Je pense que nos responsables étaient inspirés, à leur insu également. Ils ne nous avaient imposés cette manière de faire que pour le départ et les premiers frais sur place, mais c’est devenu le leitmotiv de nos dernières 40 années. Dieu a pourvu. Il a suscité des donateurs. Rien que notre retour en vacances, au bout de deux ans, avec toute la famille, nous a coûté à l’époque le prix d’une voiture neuve (enfin pas une Tesla, mais le low-cost actuel n'était pas encore au point). Nous sommes revenus définitivement quatre ans et demi plus tard, avec quatre gamins entre 5 et 15 ans, 10 $ en poche et aucune dette.
C’est pas beau!
En rentrant, j’ai trouvé rapidement du travail, un logement et, comme notre vocation d’un ministère à plein temps restait intacte, j’étais convaincu que mon passage en entreprise serait très limité. Nous voulions développer un ministère pour mettre les gens au contact de la Bible, sans passer forcément par la lecture. Forts de notre expérience et spécialement de notre expérience financière, nous nous sommes lancés en créant l’association Logoscom. Dieu allait pourvoir. La naïveté ne nous avait toujours pas quittés. Je fais court. Je suis resté 20 ans dans la même entreprise tout en développant à côté de mon travail de « faiseur de tentes » le ministère de Logoscom. Toujours sans faire d’appels d’argent ni faire connaître nos besoins. Dieu a pourvu pour tout ce qui concernait les enregistrements en studio professionnel, les locuteurs-journalistes de la Radio Suisse romande, le matériel et les caméras professionnelles. Les frais de déplacement et de fonctionnement. Mais Dieu ne m’a jamais libéré de mon travail séculier. Une autre manière de réaliser sa promesse: 20 ans sans soucis de chomâge, ni de soucis financiers tout en ayant du temps pour mon ministère. Je suis à la retraite et il n’y a plus de donateurs. Dieu a donc estimé que nous avions fait notre temps avec une structure juridique. Nous avons dissous l’association, tout en continuant notre ministère avec notre retraite payée en francs suisses et dépensée en euros, puisque nous vivons en France. Avec le change, nous vivons confortablement. C’est pas beau! Faut-il préciser que cette démarche est très personnelle. Nous n’en faisons pas une généralité.
Ci-dessous, l'expérience retransmise en vidéo: