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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Virtualité et incarnation, quels enjeux pour la foi chrétienne?

21 Novembre 2021, 17:55pm

Publié par Henri Bacher

Virtualité et incarnation, quels enjeux pour la foi chrétienne?

Mark Zuckerberg (montagne de sucre en français) promet de nous caraméliser avec le métavers (ou metaverse). Va-t-on se lécher les babines dans ces nouveaux pièges à fric? Selon l'économiste Julien Pillot, « c'est la fusion d'un univers virtuel avec des fonctionnalités qui sont, elles, bien ancrées dans le réel. Dans cet univers, on pourrait greffer des éléments très concrets, des concerts ou des boutiques, dans lesquels on pourrait vivre des expériences ». Forcément un certain nombre de chrétiens va également se « métaverser ». Est-ce un bien ou un mal supplémentaire pour notre civilisation numérisée?

L'église a toujours eu l'audace d'intégrer les nouveautés culturelles et techniques

C'est bien pour ça qu'elle a pu se maintenir, se renouveler, atteindre d'autres publics et se projeter hors de son contexte historique de la Palestine. L'une des avancées qui a le plus aidé l'église, ces derniers siècles, c'est bien le levier technologique de l'imprimerie et la scolarisation systématique qui aura permis de catéchiser une grande partie de l'Europe, en tout cas. Comme le texte biblique requiert un support parchemin et plus tard papier, on s'est senti encouragé à investir massivement dans la diffusion sur papier de nos idées, de nos théologies, de nos catéchismes, de nos expériences. On incitait, surtout au 20ème et 21ème siècle, plus les chrétiens à s'approprier la foi au travers de la lecture qu'au travers du contact direct avec une personne qui pratiquait celle-ci. La grande force du Christ, c'est qu'il était dans l'évènement du moment, dans le quotidien, au bord du puits, dans une fête de mariage, au contact d'un enterrement ou d'un « fou », comme celui du cimetière. Il était parfaitement incarné et on le voyait agir, vivre, parler. 

Les leviers technologiques comme l'imprimerie et maintenant le numérique nous font zapper l'incarnation. Entre nous et les gens, il y a des textes, des clips vidéos, des jeux électroniques. Nous sommes de plus en plus pris au piège d'une spiritualité désincarnée. Or, la foi d'une personne ne se vérifie pas au travers de ce qu'elle écrit ou montre par vidéo interposée. On ne peut voir la véracité de la foi qu'au travers de notre vie de tous les jours. Un bon prof de théologie devrait vivre avec ses élèves, autrement que dans une salle de classe, les membres d'une communauté chrétienne devraient voir le pasteur faire ses courses, se balader avec ses enfants, participer à la vie culturelle du lieu où il habite. Le pasteur protestant du temps de ma jeunesse, dans un village alsacien, faisait son jardin. Maintenant pour le pasteur numérique, son jardin c'est Instagram et c'est un miroir éminemment déformant et falsificateur de la réalité. Aujourd'hui avec le streaming des cultes, cet éloignement de la réalité, s'accentue d'une façon exponentielle, donc on peut arranger la réalité à son avantage.

Notre spiritualité sera de plus en plus déformée, instrumentalisée, dévoyée par le numérique

N'accusons pas seulement la montée du numérique, mais commençons par accuser l'utilisation massive de l'imprimerie et du livre qui a donné le la à cette désincarnation. Heureusement que le livre  a eu moins d'impact que le numérique aujourd'hui. Les supports culturels ont toujours été bénéfiques pour la transmission de la foi, mais dès qu'il y a des enjeux politiques, financiers, personnels comme le besoin d'assouvir son égo, qui s'y mêlent, c'est le début de la dérive. Heureusement que le livre et l'école, pour l'église, étaient peu propices pour amasser des fortunes. Avant l'imprimerie, l'église a construit des cathédrales. C'était certes des « livres d'images », mais qui ont coûté des fortunes, souvent pour magnifier un prince, une ville, et qui avaient très peu d'influence sur la diffusion de la foi personnelle. Celle qui se vit au quotidien, incarnée dans la famille, dans le lieu de vie, dans l'environnement de travail. Le problème aujourd'hui, c'est que le métavers va coûter des fortunes. De plus en plus, se développent des entreprises dites chrétiennes dont l'église est le principal client. C'est elles qui vont pousser à la construction des « cathédrales numériques ». Vérifiez bien qui est derrière votre prestataire de service numérique. Est-ce une entreprise privée, parfois camouflée derrière une association à but non lucratif ou soi-disant un « service » d'évangélisation? Le marchand a besoin de développer son entreprise et c'est tout à fait légitime, mais il va forcément conseiller l'église pour que celle-ci investisse massivement dans des projets… qui rapportent, car si l'entreprise se comporte comme une œuvre de bienfaisance, elle va rapidement couler. Il ne faut pas écarter systématiquement l'entreprise, mais lui donner la place qu'elle a le droit d'avoir, comme prestataire et non comme initiatrice et propulseur. Bon, il faudrait aussi montrer du doigt ces organisations chrétiennes à but non lucratif qui fonctionnent dans la mentalité de l'entreprise et qui utilisent le croyant comme une vache à lait en faisant miroiter la prospérité au donateur.

La vraie question qui se pose

C'est bien celle de la construction de la « cathédrale ». Ce sont les marchands qui nous font miroiter l'effet « cathédrale », pas l'évangile. Il faut revenir à l'aspect le plus simple et qui ne coûte pas grand-chose, celui de l'incarnation. Incarné dans nos cœurs, dans notre regard, dans nos paroles, dans nos mains, dans nos pieds. C'est d'ailleurs ce que les gens recherchent aujourd'hui. L'OBS (N°2978) de fin novembre 2021 sort un article sur la « folle histoire du yoga » où l'auteur Rémi Noyon montre, d'après un sondage sérieux, commandité par le Syndicat national des Professeurs de Yoga, que le cinquième de la population française pratique le yoga, soit régulièrement, soit sporadiquement. Il avance l'argument suivant pour expliquer l'engouement pour cette pratique qui ne requiert aucun instrument, aucune « machine », sauf un tapis de sol, c'est que le yoga se présente comme une sagesse incarnée. Loin de moi, de faire la promotion du yoga, mais force est de constater que les gens ne sont pas forcément nourris par l'« effet cathédrale ». Ils veulent retrouver leur corps, leur respiration (intérieure et extérieure). Aussi une respiration communautaire non liée à des appareils numériques.

Une expérience « incarnée » lors d'un culte

Tout récemment lors d'un culte à l'église de la Fraternelle à Nyon (suisse), le culte qui avait comme thème la souffrance, a interrompu pendant une dizaine de minutes le déroulé liturgique, pour que les gens puissent partager verbalement leur point de souffrance, avec quelqu'un dans l'auditoire et qu'ils puissent prier les uns pour les autres. Ça c'est l'effet incarnation qui contrebalance l'effet « cathédrale »

Une expérience « incarnée » pour une personne qui s'est fait opérer du cœur (7 heures d'opération)

Une personne ne faisant pas partie de la communauté de l'opéré a lancé une chaîne de prières par internet (vive le numérique) où les personnes se relayaient, selon un timing, pour prier pour le malade pendant l'opération. Il s'en est sorti avec une guérison à la clé et une expérience spirituelle très intéressante. Ceci pour montrer qu'il ne s'agit pas d'éliminer le numérique, mais de le mettre au service de la personne et non d'utiliser la culture numérique pour son propre bénéfice.

Retrouver l'incarnation

Est-ce une chance pour l'église de se retrouver dans un monde tellement sophistiqué à la « Dark Vador », affublé d'un casque pour communiquer? Elle a tous les outils en main pour répondre à de nouveaux besoins qui vont émerger, à condition de quitter les harnachements culturels hérités de la culture de l'école et du livre. Ces harnachements philosophico-théologiques pour nous cornaquer et maintenant ces nouvelles selles et mors numériques pour nous conduire dans le paradis des marchands. Il faut d'abord apprendre aux disciples à savoir pardonner, se consoler mutuellement, faire plaisir, s'entraider, accueillir l'étranger. Passer une main chaleureusement dans le dos d'un souffrant. Apprendre à écouter. Savoir poser des limites au mal et à l'intrusion des autres dans son espace intime. S'incarner, c'est s'inspirer du Christ. Il ne se promenait pas dans la nature avec des rouleaux de la loi de Moïse sous le bras, comme nos pasteurs à qui on a appris à voyager en Bible comme dans un carrosse intellectuel. Vous le verriez aujourd'hui se promener avec un casque de réalité augmentée?

Retrouver l'incarnation, c'est aussi retrouver l'impact direct du Saint Esprit par les dons de 1 Corinthiens 12.

C'est ça nos outils les plus performants, bien supérieurs à n'importe quelle réalité augmentée. La personne qui s'est fait opérer, dont je parle plus haut, a reçu d'un « voyant* » (1 Samuel 9:9), le jour avant l'opération, l'image d'un tiroir ouvert. L'image disait que sa situation était ouverte et non pas fermée: message d'espoir. Alors que les chirurgiens n'étaient absolument pas certains qu'il allait se réveiller. Le malade a pu s'allonger dans les bras de Dieu, avec confiance. Les dons spirituels sont les seuls outils que Dieu nous met à disposition pour être performants dans le métavers. Vous comprendrez donc, aisément que l'ennemi de Dieu a tout intérêt à nous faire construire des cathédrales numériques. Ça nous occupe longtemps et ça pompe nos finances tandis qu'une imposition des mains pour une maladie ou une chaîne de prières, c'est rapide et gratuit. Bien sûr, on retrouve aussi dans l'évangile l'échec des disciples face à une guérison. Nous resterons faillibles et il n'y a pas d'automatisme.

Je ne veux pas vous convertir au charismatisme, ni au pentecôtisme, seulement vous encourager à ne pas passer à côté des outils que Dieu nous donne. Il faudra s'entraîner. Ça ne peut pas s'apprendre comme on assimile une doctrine ou un traité de théologie. 

* À ne pas confondre avec un voyant ou voyante du monde ésotérique

Ni vélomoteur, ni casque à réalité augmentée

Ni vélomoteur, ni casque à réalité augmentée

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