Comment la culture pervertit l'évangile et son message
La spiritualité et la culture doivent s'interpénétrer pour être efficaces. Si l'évangile ne s'intègre pas dans la culture, il ne pourra pas progresser, ni être facteur de transformation de la société. Pourtant, il est important de comprendre comment les deux vont être en relation et comment elles s'influencent mutuellement. Il y a en fait trois phases importantes: la première, c'est l'évangile qui sert de modèle au monde qu'il est sensé pénétrer, la deuxième phase, c'est l'intégration dans la culture et la troisième, c'est l'évangile qui est muselé par celle-ci. Où en sommes-nous en occident? Sommes-nous un modèle, intégrés ou pervertis ?
Définition de la culture
Communément, lorsqu'on parle de culture dans l'église, on pense aux croyances, aux habitudes sociales, à la religion, aux pratiques spirituelles, à l'art et à la musique. On y met moins l'aspect politique et encore moins, les leviers technologiques qui régissent la culture. Sans le levier technologique de l'imprimerie, l'occident ne serait jamais arrivé au stade de développement actuel. Le levier numérique prend le relais. Quel sera son influence?
Développement de la première phase, celle de l'accrochage
C'est l'accrochage dans la culture, comme à l'image de la plante qui s'accroche sur le fil.
Ce processus se fait surtout par le témoignage du disciple, sa manière de vivre sa foi, de servir la société. Il éveille la curiosité. Ce modèle se retrouve dans les Actes des Apôtres. Le fil de fer barbelé, c'est la culture et les facilités de l'empire romain. Historiquement, cette phase a duré presque quatre siècles, jusqu'à ce que l'évangile entre dans sa phase d'intégration, on pourrait aussi dire d’absorption par l'ensemble de la société.
Développement de la deuxième phase,
celle de l'intégration
Elle commence lorsque l'église est adoubée par l'empereur Constantin. Le fil de fer barbelé est une bonne représentation du politique. Dans l'élevage des bovins, il sert à délimiter des espaces «autorisés». Là où on a le droit de brouter et l'extérieur qui est source de danger ou de distraction pour le bétail. On «enferme» la population pour la protéger, mais aussi pour l'exploiter, comme la vache laitière. C'est l'éternel combat du pouvoir politique pour «gérer» son troupeau et l'église a parfaitement intégré ce modèle. L'enclos de l'église, c'est tout un système de contrôle qui va de la confession obligatoire, à l'obligation de suivre les rites, les fêtes, les ordonnances de l'église. C'est ça la mainmise de la culture sur l'église, d'autant plus que l'état et le politique sont étroitement liés à l'église. L'un utilise l'autre pour asseoir son pouvoir. Pourtant, c'est là qu'intervient la réalité de l'action du Saint Esprit. Il est toujours capable de s’immiscer dans n'importe quel système bancal pour permettre que des choses extraordinaires se passent. Il n'y a qu'à lire la Bible pour voir comment Dieu ne travaille pas seulement avec des situations idéales. Dans cet espace, la foi chrétienne a pu accomplir des choses extraordinaires dont on retrouve encore actuellement les effets, mais la culture ne peut jamais être «sanctifiée» par l'église. Il n'y a pas de culture à proprement parlé chrétienne. Ça peut être une culture influencée par le christianisme, mais elle restera humaine, imparfaite. C'est l'église qui transmet le christianisme pas la culture.
Développement de la troisième phase, celle de la «perversion»
Pour nous aujourd'hui, tout le Moyen-Âge a été perverti et on s'est fait une opinion sur cette période à partir de son déclin. Pourtant, elle a aussi généré de belles choses. C'est sur sa fin où l'évangile et l'église se font pervertir définitivement par le monde politique et sa culture. Pour aller plus loin, l'église devra se réformer.
Dans quelle phase sommes-nous dans l'église occidentale?
À chaque période de décadence émerge donc aussi un mouvement de réforme. Ce fut le cas avec l'avènement de la Renaissance au XVème siècle et du côté de l'église le début des Réformes protestantes. La phase d'accrochage du protestantisme, ne ressemblait pas à celle des Actes des Apôtres. Les réformateurs, comme Calvin et Luther, étaient parfaitement intégrés dans la culture de l'époque. Ils n'étaient pas extérieur à leur monde culturel, contrairement aux chrétiens de Actes, dans le monde romain. Les réformateurs ont profité de la force politique pour s'imposer, comme Calvin à Genève ou Luther avec l'appui des princes allemands dégoûtés de devoir financer le Vatican. C'est là qu'on voit les réformateurs, bien de leur époque utiliser une partie du savoir-faire des politiques du Moyen-Âge. Mais le vrai pouvoir qui va servir l'expansion du protestantisme, ce sera l'humanisme des Lefebvre d'Étaples et d'Érasme de Rotterdam, le levier technologique de l'imprimerie et plus tard la généralisation des écoles. Les églises protestantes deviendront des écoles spirituelles. Je ne minimise pas le travail du Saint Esprit. Là aussi il va faire partie de l'aventure, comme au Moyen-Âge. On ne discerne pas toujours si c'est la culture de l'école qui porte la spiritualité réformée ou le contraire, comme sur l'illustration suivante:
Les églises protestantes se sont accrochées, dans un «grillage» très subtil, qui mettra l'accent sur l'analyse, la systématique, la raison, «l'académique». Leurs lieux de formation des pasteurs, feront partie intégrante des universités étatiques dans les pays dits protestants. Ce n'est pas pour rien que Calvin a créé à Genève, un collège qui existe encore aujourd'hui, sous son nom. Les pasteurs auront les mêmes titres et grades que dans le système scolaire laïc. Aujourd'hui un pasteur se targue d'être théologien, comme le clinicien, le généticien, l'informaticien, etc... Signe de l'absorption et de l'intégration. Là aussi dans cette phase d'intégration, les églises étaient un facteur de changement sociétal phénoménal. Hélas, nous sommes aussi actuellement sur la phase descendante de la culture dont l'école était le fer de lance. Depuis la Réforme la Bible a été mise au centre de ce système culturel. On la faisait lire, on l'étudiait. L'exégèse devient un des piliers de cette nouvelle approche culturelle et bien sûr son explication au travers de la prédication, canal principal de la transmission du «savoir» protestant. La musique avait son importance et le psautier chanté protestant était l'autre facteur de diffusion, mais les aspects liturgiques étaient réduits au minimum.
La matrice culturelle d'aujourd'hui ne ressemble plus à celle du passé. L'école perd sa capacité de modélisation de la société. Comme nous faisions corps avec la culture de l'école, sa décadence nous atteint au cœur. C'est ça la perversion. La réaction de nos élites évangéliques, c'est de croire qu'il faut encore augmenter le niveau de formation «académique» de nos pasteurs pour freiner la «décadence» dans nos églises. Je précise que ce n'ai pas une décadence spirituelle ou éthique, mais culturelle.
La culture numérique prend le relais
C'est le nouveau pouvoir qui s'installe. Le levier technologique qui ne ressemblera plus à l'ancien modèle. J'utiliserais l'image d'un bateau pour visualiser le nouveau support ou matrice où il faut s'accrocher.
Ce bateau en forme de cocotte, aussi pour montrer sa fragilité, flotte sur l'océan émotionnel d'aujourd'hui. Notre culture bascule de la tête dans les tripes. En médecine, lorsqu'on parle de l'intestin, on n'hésite pas à dire que c'est notre deuxième cerveau. Nous avons oublié avec la culture de l'écrit, de la lecture, que l'homme n'est pas seulement régit par l'analytique, le rationnel, l'aspect systématique, mais aussi par les émotions. Celles-ci ne sont pas simplement une «crème chantilly» sur le gâteau. L'émotionnel, notre «deuxième cerveau», fait aussi comprendre certains aspects importants de la vie, pas tous, comme le prétend, de son côté, la culture du livre et de l'école. Il s'agit donc de sauter dans ce bateau. Le problème c'est que l'école républicaine n'est pas une école de navigation sur «eau». On sait bien naviguer dans l'esprit et les pensées. Dans le nouveau monde culturel, on flotte et nous avons de plus en plus de spiritualités qui flottent à la surface des émotions, au gré des courants. La théologie élaborée par le passé ne fonctionne plus vraiment dans une embarcation. Au lieu de livres qui décrivent la navigation, on a besoin de cartographie, de sextants et de boussole spirituelles. De plus, les anciens navigateurs se dirigeaient d'après la position du soleil et des étoiles. Comment apprendre à nos théologiens à regarder dans les étoiles et de moins en moins dans les livres, dans le «grillage»? Désolé, je viens d'émettre une vraie hérésie aux yeux des poseurs de grillages. C'est plus facile de décréter que ces nouveaux navigateurs, ces surfeurs d'existence, sont des «barbares». Je vous rappelle que les prophètes de l'Ancien Testament étaient, entre autre, des «scrutateurs d'étoiles». Même la naissance du Christ a guidé certains observateurs d'étoiles à le visiter à Bethléhem.
Dans quel esprit embarquer?
Surtout pas dans l'esprit du «grillage». Il faudra accepter d'être limité par son savoir «académique». Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut plus lire, écrire, penser, étudier à la manière scolaire. Mais ce sera important d'aller naviguer avec ces personnes du monde de «l'eau». Apprendre leur vocabulaire, leur manière de vivre, de penser la réalité, leur réalité. Les Actes peuvent nous être utiles. C'était des «explorateurs» de la nouvelle donne du monde romain. Certaines fois, ils se sont cassés la figure, ont dû louvoyer entre le judaïsme et le nouveau monde, entre Jérusalem et Antioche. Comme nous entre la «grille de lecture» et la «navigation océanique».