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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Quand les églises se cherchent

4 Mars 2014, 18:03pm

Publié par Melody Bacher-Linder

Melody Bacher-Linder, économiste, se penche sur la ressemblance entre le fonctionnement des églises et la similitude du fonctionnement des entreprises aujourd’hui. Elle constate, avec PME Magazine, que jusque dans les années 60, la direction des entreprises était encore assumée par les ingénieurs. Puis le pouvoir a glissé vers les spécialistes du marketing avant de tomber aux mains des financiers. Sa réflexion s’adresse directement aux responsables de l’EERV (Eglise Réformée du Canton de Vaud).

Percuter et bousculer
L’église primitive était établie selon les principes de la croissance organique, peu à peu, elle s’est structurée, organisée, elle a professionnalisé les fonctions de direction et a dû réfléchir au financement de ces postes. Dans la conjoncture actuelle, les postes ne sont plus seulement pourvus en fonction des nécessités (un pasteur jeunesse, etc… ) mais aussi en fonction des ressources disponibles (humaines et financières).

Pour éviter les dérapages, nos structures ont mis en place un certain nombre de règles à respecter et des procédures strictes pour la prise de décision. Normal, mais l’accès au « marché » des croyants ou plutôt la distance entre la tête (le synode) et le paroissien peut être déconnectée et truffée d’obstacles.

Certes, plus l’organisation est importante, plus il est nécessaire d’avoir des règles de gestion… mais Jésus n’était-il pas le maître pour remettre en cause les règles qui n’étaient pas alignées stratégiquement sur les valeurs centrales du Royaume, en un mot, l’Amour qui pardonne tout? N’était-il pas un peu comme cet entrepreneur qui ne va pas forcément dans le sens de la marche et qui « percute et bouscule », qui fait avancer et propose quelque chose de nouveau et utile sur la marché?

Regroupement stratégique
Parlons de regroupement stratégique. Ici je prends comme exemple la fusion des régions dans l’EERV qui a vu sa première vague aboutir en 2012. Désormais nous avons un pasteur pour plusieurs paroisses qui donne parfois 2-3 cultes à la suite le même dimanche pour 5-10 personnes (au lieu de repenser simplement le culte), dans des lieux différents. Pour ne pas péjorer les différentes communes, le lieu de culte « circule » et change donc chaque semaine… Je vous laisse imaginer, il ne faut pas perdre le fil pour être membre actif de la paroisse, se présenter simplement au temple à 10h c’est un pari devenu risqué, entre l’horaire et le lieu…

L’objectif est pourtant simple : « mieux se positionner dans la société d’aujourd’hui, présenter un visage repérable et rendre compte de son activité en renforçant la cohérence et la cohésion d’Eglise plutôt que de cultiver les particularismes locaux et les congrégationalismes ». Intéressant dans une société toujours plus globalisée avec une tendance à la personnalisation toujours plus poussées de produits sur le marché… Je ne sais pas pour vous, mais je ne ressens pas les choses de cette manière… Le pasteur n’est pas très disponible pour les après-cultes puisqu’il doit courir dans un autre lieu, la gestion de l’agenda devient plus complexe sans parler des transports, on a bien regroupé aussi les secrétariats et donc théoriquement réduit les coûts (je n’ai pas vérifié) mais j’ai le sentiment qu’au niveau des procédures c’est pas encore gagné, chacun y va encore de sa particularité…

Résultat, sous la même enseigne, chaque paroisse reste un peu différente et personne n’est vraiment content. La dimension humaine se perd un peu (le contact et la présence des paroisses dans les communes), l’information passe moins bien car institutionnalisée, les gens se retrouvent par concours de circonstances plus en position de consommateurs que partie prenante. Par exemple, je soupçonne qu’en perdant un peu l’identification à la paroisse il y ait une certaine déresponsabilisation: mon enfant va à l’éveil de la foi, car c’est important mais le dimanche on reste en famille et pendant ce temps, l’animatrice(teur) du culte de l’enfance prend en charge cet enseignement ou pas – c’est un cliché et certes pas une référence absolue mais un risque bien présent. De nos jours, on peine à s’engager et la structure actuelle ne le permet pas.

Pourquoi nous éloignons-nous de Dieu?
Autre menu délai: lorsqu’on devient une grande structure, on doit créer et se conformer aux règles pour que ça marche (sauf si on met l’Amour au centre et qu’on part du principe que tout le monde joue le jeu). Or, je crois que pour réussir dans le monde comme dans le royaume la clé est d’être passionné. Passionné de Dieu, passionné pour son prochain, vibrer pour quelque chose, comme l’entrepreneur est passionné par son produit/service. Normaliser cela est nécessaire si on atteint une certaine taille, mais c’est du registre de la croissance externe: les paroisses sont individuellement plus fortes (nombre de fidèles) financièrement c’est avantageux (augmentation des chiffres et création d’économies d’échelle) mais cela ne crée pas de valeur réelle (croissance endogène). Pour créer de la valeur il faut augmenter globalement la masse de croyant et leur ferveur, bref, autre chose. Un réveil? Peut-être… il faut fondamentalement s’attaquer à la source : le pourquoi nous éloignons-nous de Dieu? Pourquoi les pas-encore-chrétiens ne pensent-ils pas à regarder à Dieu dans la difficulté mais cherchent des solutions ailleurs? Où nous, en tant que serviteur du royaume sommes-nous déficients à transmettre notre message? Est-ce une question de forme? de positionnement (manque de visibilité)? Si c’est le cas, d’où cela vient-il? De l’intérieur? Si oui alors nous pouvons agir…

Si dans l’économie de marché, les anciennes règles ne marchent plus et qu’il faut innover constamment, personnaliser tout en tenant compte d’un marché concurrentiel et globalisé, qu’en est-il des structures au service du Royaume? Nous sommes bombardés d’informations et d’options pour nous réaliser et investir notre temps, mais condamnés par notre appartenance à Christ à malgré tout faire la différence…. Sacré défi!

Bref, l’église telle que nous la connaissons serait-elle condamnée? Et si oui, quel mal y a-t-il à cela, ne serait-ce pas une occasion de recommencer? Combien d’entrepreneurs, qui sont souvent récidivistes, pourraient témoigner de l’abandon forcé ou non de l’une de leur entreprise et qui se sont lancés, non pas à temps partiel, mais à 100% dans une nouvelle idée encore plus géniale qui finalement sera le succès de leur carrière? Oser lâcher prise, renoncer aux acquis et tout recommencer, peut-être est-ce cela que nos églises devraient tenter… Car si l’église croit en Jésus, elle ne mourra point (Jean 3:16)

Source d’inspiration:

http://www.pme.ch/de/artikelanzeige/artikelanzeige.asp?pkBerichtNr=186824

(1) Rapport vitrine 2012 de l’EERV, p. 6 ; http://eerv.ch/wp-content/blogs.dir/1/files/downloads/2013/10/Rapport-annuel-Vitrine-2012.pdf

Quand les églises se cherchent
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R
Conclusion: une solution? Parce que sur le terrain ( 10 lieux de culte dans ma paroisse) on cherche...
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B
D’un point de vue purement pratique, une piste à explorer est réellement de « figer » le lieu de culte dans l’un des endroits. Bien entendu, cela ne va pas sans dommage collatéral : il faudra penser à reconvertir les autres lieux de cultes historiques - tant qu’à faire, autant en faire des lieux à vocation sociale et culturelle, ce qui ne déroge en rien de la mission de l’église qui est servir Dieu et son prochain. Cela s’est fait à Lausanne avec le temple de St-Luc qui s’est transformé en maison de quartier ouverte l’an dernier. Il faudra aussi repenser la ventilation des coûts sur les différents bailleurs de fonds.<br /> Je pense que nous ne devons pas craindre la perte de nos fidèles dans la démarche, en effet nous vivons aujourd’hui dans un monde mobile, les distances ne constituent plus, comme il y a 20 ans, des barrières pour les loisirs, l’emploi ou notre vie spirituelle. Ce phénomène est particulièrement visible chez les jeunes qui n’hésitent pas à se déplacer vers les villes pour rejoindre la communauté de leurs amis ou simplement celle qui répond le mieux à leur attente. Pour les plus âgés, ne nous inquiétons pas tant, ils sont bien plus flexibles que nous ne le croyons. Pour participer, ils seront créatifs et sauront s’organiser pour se regrouper dans des voitures au départ des différentes communes. Comme me disait souvent un ami, « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Sans jeter le bébé avec l’eau du bain, il est tout à fait envisageable de maintenir des activités dans un découpage territoriale, par exemple les groupes de maison qui se réunissent chez les particuliers en semaine et surtout ne pas rompre les relations et l’implication de la paroisse dans la vie des communes.<br /> A la demande, il est aussi possible de célébrer le culte chez un particulier ou un lieu de culte non dédié… mais cela doit venir des fidèles. Aux Marcottes, la grand-maman catholique d’un ami suite à des problèmes de mobilité a simplement ouvert sa porte, rassemblé ses copines chez elle quotidiennement et demandé au prêtre de venir donner la messe à domicile. Je trouve cela intéressant.<br /> Concrètement, il m’est difficile de donner des solutions. Ce que je sais c’est que je ne suis pas la seule à avoir choisi de me rendre dans la paroisse voisine pour la dynamique communautaire que j’y ai trouvé. Une des grandes forces c’est qu’à l’image des églises évangéliques dites libres, nous avons fait le choix d’une forte intégration des croyants. Nous essayons de confier à chacun une tâche qui le rende ainsi participant. Cela peut-être servir le café à la fin du culte, aider à préparer les envois, s’occuper des enfants, participer à la louange, passer les slides pendant le culte, s’impliquer dans la chaîne de prière et bien entendu s’intégrer dans un groupe de maison,.. mais tous recevons une invitation individuelle au service. Je crois que le sentiment d’appartenance au corps, non pas intellectuellement mais dans le cœur, passe par le service et l’implication que nous pouvons/devons rendre concret via de petits gestes. Comme nous nous sentons faire partie de la famille, les décisions prisent nous importent tout comme le financement des activités que nous jugeons à valeur ajoutée. Notre force ce n’est pas (seulement) le pasteur mais la communauté tout entière et son énergie contagieuse.
B
Melody, l’auteur de l’article, est membre de cette église dont elle parle, moi par contre, je fais partie d’un circuit évangélique non réformé (sociologiquement parlant). Je crois que l’obstacle principal pour l’EERV c’est qu’elle raisonne en terme de territoire (territoire cantonal et territoire paroissial) et non de réseau. Le réseau n’est jamais multitudiniste (ouvert et intégrant tous les courants théologiques à la fois). Les évangéliques sont organisés en réseau et celui-ci est souvent très homogène dans sa pensée et sa théologie, même s’il y a aussi des courants différents parmi les évangéliques. En leur sein, les responsables de l’EERV conbattent les communautés réformées qui se “spécialisent”. Souvent ces communautés drainent des gens de tout le territoire, parce que ses membres cherchent plutôt des gens qui fonctionnent comme eux. Ils ne se concentrent plus sur le territoire paroissial. C’est la tendance actuelle dans tous les domaines, pas seulement dans l’église. C’est une tendance sociétale et l’église réformée est simplement obsolète dans sa conception d’église de territoire au lieu de penser église de réseau. Les évangéliques ne progressent pas parce qu’ils sont plus spirituels que les réformés, mais parce que simplement ils s’organisent en réseau. Donc ma réponse, c’est d’abandonner, en tout cas, en partie, le concept du territoire pour favoriser le réseautage à l’heure où les réseaux sociaux dominent la vie culturelle des gens. Elle doit aussi abandonner son exigence de forcer les gens à mettre tous les courants, libéraux avec évangéliques, classiques et modernistes, dans le même panier. D’ailleurs les communautés chez les réformés qui fonctionnent en réseau, sont celles qui se développent et qui forcément “pompent” des paroissiens d’un autre territoire. <br /> Par contre, elle devra réfléchir à une nouvelle unité qui n’est plus basée sur le concept multitudiniste et territorial. Mais évidemment, cette question de territoire est aussi liée au financement de l’EERV par l’Etat de Vaud. C’est là le vrai problème!