Quand les églises se cherchent
Melody Bacher-Linder, économiste, se penche sur la ressemblance entre le fonctionnement des églises et la similitude du fonctionnement des entreprises aujourd’hui. Elle constate que, jusque dans les années 60, la direction des entreprises était encore assumée par les ingénieurs. Puis le pouvoir a glissé vers les spécialistes du marketing avant de tomber aux mains des financiers. Sa réflexion s’adresse directement aux responsables de l’EERV (Eglise Réformée du Canton de Vaud).
Percuter et bousculer
L’église primitive était établie selon les principes de la croissance organique. Peu à peu, elle s’est structurée, organisée, elle a professionnalisé les fonctions de direction et a dû réfléchir au financement de ces postes. Dans la conjoncture actuelle, les postes ne sont plus seulement pourvus en fonction des nécessités (un pasteur jeunesse, etc… ) mais aussi en fonction des ressources disponibles (humaines et financières).
Pour éviter les dérapages, nos structures ont mis en place un certain nombre de règles à respecter et des procédures strictes pour la prise de décision. Normal, mais l’accès au « marché » des croyants ou plutôt la distance entre la tête (le synode) et le paroissien peut être déconnectée et truffée d’obstacles.
Certes, plus l’organisation est importante, plus il est nécessaire d’avoir des règles de gestion… mais Jésus n’était-il pas le maître pour remettre en cause les règles qui n’étaient pas alignées stratégiquement sur les valeurs centrales du Royaume, en un mot, l’Amour qui pardonne tout? N’était-il pas un peu comme cet entrepreneur qui ne va pas forcément dans le sens de la marche et qui « percute et bouscule », qui fait avancer et propose quelque chose de nouveau et utile sur la marché?
Regroupement stratégique
Parlons de regroupement stratégique. Ici je prends comme exemple la fusion des régions dans l’EERV qui a vu sa première vague aboutir en 2012. Désormais nous avons un pasteur pour plusieurs paroisses qui donne parfois 2-3 cultes à la suite le même dimanche pour 5-10 personnes (au lieu de repenser simplement le culte), dans des lieux différents. Pour ne pas péjorer les différentes communes, le lieu de culte « circule » et change donc chaque semaine… Je vous laisse imaginer, il ne faut pas perdre le fil pour être membre actif de la paroisse. Se présenter simplement au temple à 10 h, c’est un pari devenu risqué, entre l’horaire et le lieu…
L’objectif est pourtant simple : « mieux se positionner dans la société d’aujourd’hui, présenter un visage repérable et rendre compte de son activité en renforçant la cohérence et la cohésion d’Église plutôt que de cultiver les particularismes locaux et les congrégationalismes ». Intéressant dans une société toujours plus globalisée avec une tendance à la personnalisation toujours plus poussées de produits sur le marché… Je ne sais pas pour vous, mais je ne ressens pas les choses de cette manière… Le pasteur n’est pas très disponible pour les après-cultes puisqu’il doit courir dans un autre lieu. La gestion de l’agenda devient plus complexe, sans parler des transports. On a bien regroupé aussi les secrétariats et donc théoriquement réduit les coûts (je n’ai pas vérifié) mais j’ai le sentiment qu’au niveau des procédures ce n’est pas encore gagné, chacun y va encore de sa particularité…
Résultat, sous la même enseigne, chaque paroisse reste un peu différente et personne n’est vraiment content. La dimension humaine se perd un peu (le contact et la présence des paroisses dans les communes), l’information passe moins bien car institutionnalisée, les gens se retrouvent par concours de circonstances plus en position de consommateurs que partie prenante. Par exemple, je soupçonne qu’en perdant un peu l’identification à la paroisse il y ait une certaine déresponsabilisation: mon enfant va à l’éveil de la foi, car c’est important mais le dimanche on reste en famille et pendant ce temps, l’animatrice(teur) du culte de l’enfance prend en charge cet enseignement ou pas – c’est un cliché et certes pas une référence absolue mais un risque bien présent. De nos jours, on peine à s’engager et la structure actuelle ne le permet pas.
Pourquoi nous éloignons-nous de Dieu?
Autre menu délai: lorsqu’on devient une grande structure, on doit créer et se conformer aux règles pour que ça marche (sauf si on met l’Amour au centre et qu’on part du principe que tout le monde joue le jeu). Or, je crois que pour réussir dans le monde comme dans le royaume, la clé est d’être passionné. Passionné de Dieu, passionné pour son prochain, vibrer pour quelque chose, comme l’entrepreneur est passionné par son produit/service. Normaliser cela est nécessaire si on atteint une certaine taille, mais c’est du registre de la croissance externe: les paroisses sont individuellement plus fortes (nombre de fidèles) financièrement c’est avantageux (augmentation des chiffres et création d’économies d’échelle) mais cela ne crée pas de valeur réelle (croissance endogène). Pour créer de la valeur il faut augmenter globalement la masse de croyant et leur ferveur, bref, autre chose. Un réveil? Peut-être… Il faut fondamentalement s’attaquer à la source : le pourquoi nous éloignons-nous de Dieu? Pourquoi les pas-encore-chrétiens ne pensent-ils pas à regarder à Dieu dans la difficulté mais cherchent des solutions ailleurs? Où nous, en tant que serviteur du royaume sommes-nous déficients à transmettre notre message? Est-ce une question de forme? de positionnement (manque de visibilité)? Si c’est le cas, d’où cela vient-il? De l’intérieur? Si oui alors nous pouvons agir…
Si, dans l’économie de marché, les anciennes règles ne marchent plus et qu’il faut innover constamment, personnaliser tout en tenant compte d’un marché concurrentiel et globalisé, qu’en est-il des structures au service du Royaume? Nous sommes bombardés d’informations et d’options pour nous réaliser et investir notre temps, mais condamnés par notre appartenance à Christ à malgré tout faire la différence…. Sacré défi!
Bref, l’église telle que nous la connaissons serait-elle condamnée? Et si oui, quel mal y a-t-il à cela, ne serait-ce pas une occasion de recommencer? Combien d’entrepreneurs, qui sont souvent récidivistes, pourraient témoigner de l’abandon forcé ou non de l’une de leur entreprise et qui se sont lancés, non pas à temps partiel, mais à 100% dans une nouvelle idée encore plus géniale qui finalement sera le succès de leur carrière? Oser lâcher prise, renoncer aux acquis et tout recommencer, peut-être est-ce cela que nos églises devraient tenter… Car si l’église croit en Jésus, elle ne mourra point (Jean 3:16)