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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Camioning spirituel

19 Novembre 2020, 09:00am

Publié par Henri Bacher

Camioning spirituel

Les «ing» anglophones font florès dans nos églises. Celui qu’on connaît le mieux, c’est le streaming! Je vais parler du «camioning», que personne ne connaît, mais qui est d’une efficacité redoutable, sans qu’on s’en rende compte. Ces dernières années, l’église s’est penchée, avec raison, sur les questions écologiques. Pourtant, je voudrais attirer l’attention sur le fait que les mêmes distorsions que l’on observe dans la nature se font jour dans les cultures liées à des leviers technologiques comme l’imprimerie et maintenant le numérique. L’écologie nous enseigne que la mainmise d’une ou plusieurs technologies à haut potentiel d’exploitation, de diffusion et d’utilisation, mues par des «machines» et par le monde des finances, dérèglent durablement le monde et les hommes. L’église se fait subvertir par ces leviers, mais elle ne s’en rend pas encore compte. C’est ce que j’appelle le «camioning».

Obnubilé par le message
Sans exagérer, nous pouvons dire que nous avons souvent réduit le Dieu qui parle à une divinité qui crache des messages. Comme nous avons été servis par de puissants leviers technologiques de multicopies, on les a transformés en «machines» à cracher le feu des messages divins. Un peu ce que dénonce les protecteurs de l’environnement en fustigeant l’agriculture extensive qui a éliminé les bocages, les clôtures et par la suite toute une faune génératrice d’équilibre. Les nouvelles activités numériques, via les réseaux sociaux, ressemblent à ces grandes étendues de la Beauce, uniquement dédiées à la culture du blé, avec des champs à perte de vue. Luther a pu imposer le même catéchisme du haut en bas de l’Allemagne grâce au levier de l’imprimerie. Certains types de chants de louange inspirés par des multinationales de l’évangile ressemblent aussi à ce genre de rouleau compresseur. Est-ce le type de spiritualité que nous voulons produire? Une sorte de monoculture, très facile à produire et à diffuser? Justement, la Bible, elle-même, n’est pas un livre «monoculturé». 66 livres, donc aussi 66 points de vue différents pour parler de Dieu. Dieu parle pour nous aider à vivre tous les jours d’une manière saine, dans l’amour de notre prochain, pas pour écouter ou lire inlassablement des messages ou des clips qu’on déverse sur nous. On a l’impression qu’on est au bout d’une autoroute numérique et que des files de camions, chargés à bloc de messages, nous submergent de leurs cargaisons.

Camioning spirituel

L’exemple de la spiritualité de la fin du Moyen-Âge
L’église de la fin du Moyen-Âge était dans un temps culturel qui arrivait au bout de ses possibilités, comme notre temps à nous, qui disparaît dans les méandres du numérique. La Renaissance pointait son nez et les humanistes comme Lefèvre d’Etaples ou Erasme de Rotterdam ouvraient une nouvelle ère de prospérité intellectuelle. Les Calvin, Luther, Zwingli et Bucer s’y sont engouffrés. Pourquoi le monde nord-européen a-t-il été attiré par cette nouvelle spiritualité? L’église de la fin du Moyen-Âge sentait bien que le pouvoir lui échappait, comme il nous échappe à nous. Elle a augmenté la diffusion de son savoir-faire religieux: pèlerinages, cultes des saints, imageries religieuses, etc. Je sais que je prends un peu des raccourcis par rapport à l’Histoire, mais je rapproche cette expérience à ce qui se passe aujourd'hui. Lorsque Calvin a invité ses «followers» à s'asseoir sur un banc, à croiser les bras et à l’écouter prêcher, ils se sentaient soulagés. Plus besoin de faire des signes de croix, de tremper ses doigts dans l’eau bénite, de réciter le chapelet, de payer des messes pour les morts, etc... Ces «camions» religieux de la fin du Moyen-Âge arrêtaient de se déverser sur eux. Le temps avait changé.

Nos églises issues de la Réforme et des Réveils du XIXème sentent bien que l’on est dans un basculement culturel, comme à l’aube de la Renaissance. J’ai l’impression qu’on se précipite dans le «camioning» pour freiner la décadence. D’autant plus, qu’on a des autoroutes numérique à disposition. C’est impossible de mettre en pratique ce qu’on nous envoie par Facebook, Instagram, Twitter, Tik-Tok, Pinterest, Youtube, email, etc… On aspire à une spiritualité plus simple à mettre en pratique et non liée à la fréquentation des réseaux sociaux, à la lecture de bouquins, à l’écoute d’une prédication tout droit sorti d’un livre et qu’on lit en chaire. L’église cherche surtout des «followers», des «likes» quitte à flatter les réseauteurs pour les avoir comme «clients». Je parle en connaissance de cause. Ne vous faites pas de soucis, je suis comme vous!

Que voudrait dire, cultiver une spiritualité simple?
La base de la foi chrétienne, c’est de vivre la foi et non d’en parler. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas témoigner verbalement, mais de ne pas mettre, au premier plan, le «discours» sur la foi par voie numérique, ni par les livres. Les internautes sont de plus en plus sceptiques sur l’authenticité de ce qui se dit sur les réseaux sociaux. Pourquoi, feraient-ils confiance à une personne qui témoigne d’une guérison miraculeuse dans un clip Youtube? Ils ont besoin de voir, devant leurs yeux, en «live», la véracité de ce que nous professons ou de ce que nous vivons. Le vrai réseau social, c’est nous, notre couple, notre famille, nos amis. C’est là qu’ils «lisent» l’évangile et qu’ils pourront aussi «toucher» l’évangile.

Retour sur le «fraternel»
Nous avons beaucoup conçu la vie spirituelle d’une communauté à partir de la vie liturgique (culte, prière communautaire, étude biblique, concert de louange). Comme nous trouvons sur internet beaucoup de ressources d’excellente qualité, le pôle de formation de l’église décroît. Ce qui reste et qui devra prendre de l’ampleur, parce qu’impossible à reproduire en numérique, c’est le pôle fraternel. La notion de vie communautaire qui n’a pas grand-chose ou peu à faire avec la vie liturgique. Le fraternel, c’est de pouvoir se confier à un proche, de pouvoir partager ses joies, mais aussi ses douleurs, de se sentir porté par un groupe restreint qu’on connaît personnellement, de partager nos ressources financières. De s’épauler dans l’éducation des adolescents, par exemple. Nous nous sommes souvent contentés de faire du «fraternel» au travers du culte et de l’après-culte. Les gens recherchent aujourd’hui le «fraternel», mais pas au travers d’un circuit liturgique. Personnellement, je suis convaincu que dans notre monde occidental déchristianisé, l’attrait «liturgique», même relooké à la culture numérique de nos multinationales évangéliques, fera long feu. Nous ne garderons que les personnes encore dans nos communautés, mais le pas-encore-chrétien n’y trouvera pas sa place. Il faut refluer sur les petits groupes qui mettent le «fraternel» en pôle position et non l’étude de la Bible. Je ne suis pas en train de dire que la Bible n’a plus de rôle à jouer, mais nous avons trop souvent confondu le rôle de l’église à une école spirituelle pour enseigner la Bible. Devenons des pôles d’apprentissage de la fraternité, à tous les niveaux, en nous inspirant des histoires et des conseils de fraternité de la Bible. Il faudra, bien sûr, à partir du «fraternel» créer une vie spirituelle communautaire simple, avec des prières, peut-être la lecture d’un texte biblique, sans viser une église de groupe ou de maison. Une vie spirituelle qui se vit sur le moment, au moment opportun, dont les expériences spirituelles se partagent au moment où elles arrivent. Un petit peu ce que le Christ vivait avec ses disciples. Ils ne pratiquaient pas une activité liturgique liée au calendrier. La cheville ouvrière du groupe «fraternel» devra donner des pistes pour s’alimenter peut-être plus «copieusement» sur le net. La visée ne sera donc pas la création d’une fraternité qui réunit toutes les petites fraternités dans un ensemble cultuel le dimanche matin. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne pourrait pas élaborer un réseau interactif et interconnecté.

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