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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Les réseaux sociaux, nouvelle liturgie numérique?

13 Février 2020, 18:18pm

Publié par Henri Bacher

Les réseaux sociaux, nouvelle liturgie numérique?

Selon le sociologue Michel Maffesoli* nous passons d'une tradition logocentrée, où la parole était souveraine, à une autre tradition centrée sur l'espace où prévaut le site partagé avec d'autres.

Logocentrée?
Depuis la Renaissance et grâce à l'émergence de l'imprimerie, il a été possible de faire circuler une parole imprimée. Le problème c'est qu'un levier technologique, comme la machine de Gutenberg, n'est pas un support neutre. Et la culture qui émerge grâce à ce support est forcément façonnée par celui-ci. Le support conditionne le contenu. Un peu comme un pot en terre cuite qui ne peut accueillir que du liquide, une substance molle ou un produit en poudre. Pour y mettre quelque chose de dur, comme une pierre, il faut la casser et en la cassant on détruit l'original. Ainsi en est-il de la culture liée au levier technologique de l'imprimerie qui a permis des choses formidables, mais en a limité d'autres, comme par exemple le travail avec l'émotion qu'on a réduit à une activité au niveau des tripes. Cette culture, surtout celle héritée de la Réforme et des mouvements issus des Réveils du XIXème siècle, s'est principalement centrée sur le message qui a dû s'adapter au "pot de terre cuite". Le problème aujourd'hui, c'est qu'on a pensé que notre pot devenait juste numérique et qu'on peut transposer nos messages du passé sur ces nouveaux médias et supports. Hélas, il n'y a plus de "pot", il y autre chose et même si les réseaux sociaux permettent l'utilisation de la formulation écrite, elle ne se "lit" plus de la même manière. 

Centré sur l'espace
Lorsque Michel Maffesoli parle d'espace et de site partagé, il fait justement référence à ce nouveau contenant, on pourrait aussi dire conteneur. Mais cet espace est plat (c'est une image, comme pour le pot), il n'a plus la forme du "pot". Si vous y versez du liquide, il s'évapore très vite. Si c'est de la poudre, elle s'envole au moindre souffle de vent. Ainsi en va-t-il de nos messages du passé. Ils deviennent volatils sur le net. Réactions de notre part, on multiplie les messages conditionnés pour les "pots".

Nous avons l'habitude de créer des communautés de pensées qui donnent sens à la vie. On met l'accent sur le sens final, la finalité des choses. Or, les réseaux sociaux mettent l'accent sur "l'espace partagé". Il faut être sur Facebook, Instagram, Youtube, TikTok et autres réseaux. Bien plus que de "penser" sur ces réseaux, il faut se faire voir. Être présent, le plus souvent possible, par des photos, des vidéos, des blagues, de petites histoires, de la morale. Les chrétiens squattent cet espace par le tapissage de versets bibliques. Certains pasteurs montrent les endroits où ils mangent et ce qu'ils mangent, les lieux où ils suivent des conférences, les photos de leur vacances. En fait on "parle" pour ne rien dire d'essentiel! 

La liturgie des réseaux
Les hommes ont toujours eu le besoin de s'unir les uns aux autres. La communion fraternelle des chrétiens en est un exemple. Le mouvement des gilets jaunes en France est un autre exemple du besoin de faire cause commune, de se sentir comme un corps social en marche ou plutôt en marge. Dommage que par le passé, dans nos églises, on a peu valorisé ce besoin fraternel et que nos pasteurs ont pris les chrétiens comme des écoliers à éduquer spirituellement parlant. C'est vrai, que ces dernières décennies on a mis plus l'accent sur la fraternité, mais elle est considérée comme un écrin pour enseigner au lieu de devenir le centre de diffusion de la foi.

Les réseaux deviennent comme un espace liturgique semblable à la messe catholique du Moyen-Âge. On y va pour avoir le sentiment de participer à une communauté. Le philosophe allemand Romano Gardini n'hésitait pas à qualifier la liturgie de "zwecklos aber sinnvoll". Sans intérêt, mais plein de sens. Le contenu importe peu, mais par contre le lien, généré par la participation à la liturgie, donne tout son sens à l'existence.

Et voilà, le problème de l'église, les réseaux sociaux remplacent la "communauté" et la "liturgie" chrétienne par la leur. Dans les réseaux, ils trouvent des réponses, de l'aide, des conseils, des loisirs, de la musique, des échanges comme à la sortie du culte. Pas besoin d'aller à l'église pour chanter, comme mon père vigneron qui n'avait que le dimanche matin pour avoir du plaisir à chanter puisqu'il n'avait pas de smartphone, ni de tourne-disque, ni de lecteur de CD.

Le nouveau modèle pour le développement de l'église
Le modèle du passé, c'était celui de l'école. L'église a calqué son développement sur le modèle scolaire. Nos élites ecclésiastiques sont formées dans des écoles. On enseigne la foi (à la manière scolaire) avant de demander de la pratiquer. Jésus enseignait tout en pratiquant. Les missionnaires, du courant protestant, qui sont allés dans l'hémisphère sud, ont d'abord créé des écoles, qui elles, étaient les starters pour les églises. On garde toujours cette mentalité d'enseignant "scolaire" pour aborder nos concitoyens.

Comment développer une communauté qui prend comme modèle les réseaux sociaux et non l'école?
Le maître mot qui régit ces réseaux, c'est "partager" et non "enseigner". On partage des idées, des photos, des expériences, des aventures, des choses parfois intimes. Imaginons une communauté de partage. Le dimanche une personne vient au culte avec des besoins différents. Elle peut avoir besoin de partager un fardeau très lourd. Le matin même, elle s'est engueulé avec son mari. La première chose dont elle aura besoin, avant de participer à la cérémonie cultuelle, c'est de partager sa douleur. Et c'est justement un des aspects qu'elle ne pourra pas faire sur les réseaux sociaux. Mais peut-être une autre personne va amener des croissants et du café pour fêter la réussite de son gamin. Parce qu'elle avait demandé à la communauté de prier pour cette réussite. Il y a ceux qui voudraient partager une superbe lecture qu'ils auront faite pendant la semaine. Le pasteur aura peut-être discerné un talent spécifique pour l'enseignement et il donnera l'occasion à la personne de le proposer, pas pour une prédication, mais dans un espace dédié pour un petit groupe. D'autres auront peut-être un don de prophétie, de vision, de guérison à partager et se mettront à disposition de ceux qui le demandent. Mes propositions semblent ressembler à du n'importe quoi, mais regardez les réseaux sociaux, ils fonctionnent ainsi. Et observez la nature que Dieu a créée. Elle donne aussi cette impression de fouillis. Ce qui veut dire que le pasteur aura un rôle très différent à jouer. Il n'appliquera plus un programme, mais il va devoir harmoniser le tout, comme Dieu harmonise sa création. C'est un métier différent!

Comment commencer dans le partage?
Je martelle toujours la même proposition. N'essayez pas de changer votre communauté existante. Vous allez la détruire au lieu de la construire. On ne change pas aussi facilement un corps social et vous allez vous fatiguer. D'autre part, vous n'avez pas été formé pour ce job. Donc, faites des expérimentations, à côté de l'ancienne manière de faire. Ça vous permettra de vous faire la main. Commencez par exemple par une activité le dimanche soir, en mettant comme leitmotiv le partage. Il y a même des personnes qui peuvent venir pour offrir gratuitement des objets dont ils veulent se débarrasser. Vous pouvez conclure ces moments de partage, par un petit moment cultuel, d'une vingtaine de minutes comprenant une exhortation, un moment de prière communautaire. Bref, une activité commune et communautaire toute simple sans grands artifices.

Les questions de finances
Toute activité ecclésiastique a un volet financier. Souvent on n'a pas trop envie de changer parce-que le changement affecte le porte-monnaie. Comment va-t-on financer la nouvelle activité? N'oubliez pas que les réseaux sociaux fonctionnent sur le mode de la gratuité, même si on "paye" au travers de la pub qu'on nous impose, mais il y a rarement de paiements directs. Donc, avant de commencer, il faut absolument réfléchir au volet financier. Et là, il faudra aussi être créatif. De part notre expérience, on a toujours fonctionné, sans faire d'appels d'argent et on n'a jamais fait connaître nos besoins à la manière de Georges Muller, un puissant modèle:

 

Ce clip parle de notre manière de nous financer, surtout à partir de la deuxième partie. Dieu aura peut-être une autre solution pour vous. Vous pourriez constituer une groupe "d'activistes" autour de vous, qui entre dans cette vision de partage et vous pourriez leur demander de partager leurs ressources financières pour ce projet. Une manière de commencer par quelque chose d'éminemment concret.

* Imaginaire et postmodernité, Michel Maffesoli, Ed Manucius

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