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ÉGLISE. CULTURE. NUMÉRIQUE.

Affectif contre normatif ou peut-on encore imposer des limites en église?

2 Novembre 2014, 11:24am

Publié par Henri Bacher

Qui se soucie encore de prêcher et de promouvoir des interdits et des règles à l’intérieur de nos communautés? Bien sûr on s’attaque à des problèmes comme l’homosexualité, mais franchement ce n’est pas, de loin, le problème dominant dans nos cercles chrétiens et parmi nos responsables. Je nous soupçonne même de privilégier certaines règles qui ne nous coûtent pas vraiment, mais qui sauvent les apparences. Lorsque dans certains milieux on met l’alcool à l’index, est-ce une marque fondamentalement chrétienne? Ou bien la danse? Ou le style de loisirs? Des non-chrétiens peuvent parfaitement être abstinents, ne pas danser et honnir la télé!

Les règles et les interdits ont à voir avec les limites. Osons-nous encore imposer des limites à nous-mêmes, à nos enfants, à nos conjoints, à nos dirigeants, à nos chers paroissiens? Dans le domaine des relations, de la pratique sociale et religieuse?

Dès qu’on parle d’interdits, les gens autour de nous agitent le spectre de l’intégrisme, du conservatisme, du fondamentalisme et du passéisme.
Personnellement, je crois que la révolution de mai 68 a été une bonne chose. Les femmes ont eu raison d’être féministes vis-à-vis d’un monde macho à outrance. L’enfant avait besoin de devenir un peu «roi», mais comme d’habitude nous n’avons pas su nous arrêter en chemin et nous nous laissons invariablement aller dans les extrêmes.
Or, une société qui ne pose pas de barrières s’autodétruit. C’est comme si dans le monde de tous les jours, on enlevait peu à peu les rampes d’escalier, les glissières de sécurité sur les ponts, les panneaux avertisseurs de danger devant les chantiers d’autoroutes, les signaux lumineux sur les carrefours. Ce que nous ne tolérons pas dans notre quotidien, nous l’admettons dans le domaine de notre vie sociale et religieuse. Nous avons systématiquement démantelé, ces dernières décennies, la majorité des interdits en les remplaçant par un certain nombre de recommandations, de systèmes de persuasion qui utilisent majoritairement l’affectif comme levier pour faire bouger les choses. Avec les enfants, on parlemente. On essaye de les convaincre du bien-fondé d’une décision. On fait jouer les sentiments. On supplie et on arrive parfois jusqu’au chantage affectif pour s’imposer. Le commun des mortels accepte certaines directives parce que la personne qui les donne a du charme, de l’entregent, mais les ordres ont de la peine à passer surtout ceux donnés par une personne qui ne nous est pas sympathique.

C’est l’économie qui forge notre vie sociale
Il ne s’agit absolument pas de revenir en arrière et d’appliquer les vieilles recettes de nos grands-parents qui tannaient le derrière de leurs gamins à coup de ceinturons ou de tape-tapis. Les feux du carrefour ont été remplacés par les rond-points qui s’avèrent être moins restrictifs, tout en gardant quelques directives ou quelques interdits, comme ceux de ne pas rouler à contresens.

Dans nos sociétés nous devons redevenir créatifs, imaginatifs pour garder certaines libertés chèrement acquises tout en introduisant de solides gardes-fous.
Celles qui ont pris les devants, ce sont les entreprises. Elles ont compris depuis longtemps que si leurs employés n’étaient pas cadrés, elles perdaient de l’argent. Le système économique a donc inventé les timbreuses pour vérifier l’horaire de leurs employés, les cours de formation pour éduquer leur personnel à mieux servir le client, les systèmes de qualification et d’évaluation (en religion on parlerait de sanctification) pour encourager les travailleurs et les travailleuses à entrer docilement et efficacement dans un cycle productif à la gloire de Mamon. Le sociologue Frédéric de Coninck, dans un de ses livres (1), soutient que c’est l’entreprise qui est actuellement intégratrice dans nos sociétés occidentales et non plus les églises ou les écoles. L’entreprise va éduquer ou «catéchiser» la société selon sa philosophie de vie, selon ses objectifs qui n’ont rien ou peu à voir avec ceux de l’église. Si l’église continue à ne vouloir jouer que la carte affective, elle manquera le coche de sa mission sur terre.

Se présente alors une situation paradoxale. La majorité des gens étant à journée faite dans un système normatif, ne veut plus se retrouver à l’église dans un autre type de contrainte, alors que jusqu’à maintenant c’était l’objectif principal de toute religion, y compris chrétienne. Or on attend de l’église qu’elle ne nous dicte plus nos choix, mais qu’elle accompagne nos propres décisions. Les couples vivent en concubinage, mais exige du prêtre ou du pasteur un service religieux comme si c’était leur première union. En définitive, la communauté est surtout là pour jouer au bon samaritain. Elle ressemble de plus en plus à une société de service.

Le pasteur deviendra un pourvoyeur affectif plus qu’un éducateur spirituel et gare à lui s’il n’arrive pas à combler les attentes de ses paroissiens. Il faut que les membres de sa communauté soient bien dans leur peau, qu’ils souffrent le moins possible de la vie et qu’ils aient un maximum de «fun» en allant au culte. Ce n’est pas le fait de vouloir du plaisir qui fait problème. Dieu a inventé le plaisir, à commencer par le plaisir des yeux avec la création de la terre et de l’univers. Ce qui nous cause des difficultés, c’est que l’affectif domine par rapport au normatif. Or, dans la vie spirituelle on ne peut pas minimiser le rôle de pédagogue dévolu aux Lois par rapport à la compassion que demande l’évangile.

L’affectif et le normatif réunis pour le bien de tout le monde
Dieu ne veut pas nous mettre dans un goulag spirituel sous prétexte qu’il nous sauve. La norme ne nous sauve pas, elle permet juste de mieux vivre et de marcher droit. Dieu a donné les dix commandements non pour asseoir son pouvoir, mais pour nous octroyer une ceinture de sécurité. Qui oserait accuser le constructeur automobile d’avoir inventé une telle ceinture, rien que pour nous clouer sur un siège de voiture? Nous sommes toujours destinés à vivre dans un «jardin», comme Adam et Eve. Pas uniquement dans un jardin «affectif», mais dans un espace qui offre à la fois de beaux fruits savoureux, agréables à la vue, bons pour le palais … et une interdiction: «Tu ne mangeras pas du fruit de l’arbre de la connaissance …». L’affectif et le normatif réunis pour le bien de tout le monde. Il ne s’agit plus de revenir au siècle passé, mais ne nous laissons pas charmer par le levier affectif qui dit : «Tu deviendras tout puissant, si tu ne t’impose pas de limites». «C’est les limites imposées par Dieu qui t’empêchent de t’épanouir, de grandir, de vivre!». Au diable ces affirmations!

Par peur de perdre «l’amour» de ses paroissiens, le pasteur peut être tenté de délaisser le terrain de la Loi au profit d’une relation plus sentimentale, plus affective. Il préfère endosser le rôle du berger «cool» qui soigne son troupeau que du berger «baston» qui use de son bâton et de sa houlette. Lorsqu’on éduque des enfants on n’a aucune envie de passer pour un parent dur, exigeant, mais parfois il faut le devenir pour le bien de notre progéniture. Le plus important c’est de définir sur quoi nous allons nous battre. Quelles sont les normes essentielles, fondamentales que tout chrétien doit respecter et appliquer, qu’il travaille, qu’il se repose, qu’il vive en société ? C’est probablement le plus dur, car souvent nous nous battons pour des normes culturelles et nous délaissons les vrais enjeux spirituels. Il faut avoir le courage de nager à contre-courant. Si nos choix sont réellement dictés par l’Esprit Saint, les croyants vont en découvrir les bénéfices. L’affectif soulage, console, protège, mais c’est la Loi qui forge de vraies colonnes vertébrales. Dieu souhaite avoir des croyants qui soient debout et avec beaucoup de cœur.

(1) Frédéric de Coninck, Travail intégré, Société éclatée, PUF, 1995.

Henri Bacher
youtube.com/logoscom

Exemple de "règlementation" dans une famille

Exemple de "règlementation" dans une famille

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